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Le corps de ferme délabré se déployait. Écrasés par la chaleur et la lourdeur du ciel, ces bâtiments d'un autre âge trônaient au milieu du blé sauvage. Autrefois soigneusement cultivé, ce champ anarchique poussait en toute liberté, mais vivotait. Un marcheur solitaire s'engagea sur une allée poussiéreuse. L'herbe jaunie craqua sous ses pas.

Lourdement chargé d'un havresac résonnant de bruits métalliques, il se réjouissait de sa moisson d'objets. La porte d'entrée s'ouvrit en grinçant. Il sourit à sa compagne.

— Tu étais inquiète ?

— Un peu, tu aurais pu faire une mauvaise rencontre.

— Aucun risque, Tu sais bien qu'ils ne sortent que la nuit.

— Ils pourraient changer leurs habitudes.

— Tu vois toujours le pire.

Il passa le seuil sur ces mots. Fataliste, elle le suivit puis referma à double tour. Le cliquetis de l'antique serrure le fit sourire. L'homme longea un petit hall aux murs humides et dénués de décorations. Constellé de taches brunâtres et d'éraflures anciennes, on devinait que ce lieu exigu avait été le théâtre d'affrontements.

La femme sur ses talons, il arriva rapidement dans une pièce aussi dégradée que le couloir. Une banquette défoncée côtoyait des sièges écorchés sommairement réparés et un buffet massif et décati. Les volets tirés et consolidés de planches, donnaient à l'endroit une ambiance glauque. Pas de fraîcheur ici, mais une lourdeur dûe à la canicule qui régnait sur la région.

L'homme vida le contenu de sa besace sur une table en bois bancale. Elle, s'avança et examina avec perplexité les objets trouvés par son compagnon.

— Ça ne vaut pas grand-chose ...

— Je ne suis pas d'accord, regarde..

L'homme aligna plusieurs dizaines de petits cylindres sur lesquels on pouvait lire : "WP15"

— Des piles d'énergie ?

— Je le crois, il faudra les tester.

— C'est intéressant.

Il tria sommairement les ustensiles, pêcha dans le buffet quelques boîtes. Après les avoir alignées côte à côte, il commença à y répartir ses trouvailles, sous le regard de sa compagne.

— J'ai bien travaillé durant ton absence, j'ai réussi à réparer le transmetteur. Par contre, sa zone d'émission reste limitée.

Surpris, il releva ses prunelles anthracite sur la femme.

— C'est une excellente nouvelle. Comment as-tu fait ?

— J'ai utilisé le matériel hertzien trouvé dans le hangar à notre arrivée ici. Primitif, mais en bon état. Je suis parvenue à le coupler avec le nôtre. Par contre, comme je te l'ai dit, le champ d'action est limité. Problème de puissance.

— Hum... Les accumulateurs que j'ai dénichés permettront sûrement d'y remédier, Je termine ça et tu me montres.

La femme acquiesça. Il poursuivit sa répartition...

*

Le soleil continuait sa course brûlante et asséchante. Pas un chant d'oiseau, à peine une stridulation d'insecte pour troubler la pesanteur de la saison chaude. Une plainte soudaine brisa le calme ambiant.

Un appel, une réponse, un appel, une réponse, un appel...

Bientôt, ce fut assourdissant, les modulations vocales envahissaient l'éther.

Un message circulait...

*

Dans la ferme, le couple se figea, leurs visages se tendirent, la peur les empoigna sans crier gare.

— Ils se manifestent tôt, parvint à articuler la femme.

— Je placerai le système de sécurité sous tension, dès que mon tri sera terminé.

— Fais-le maintenant, autant ne pas prendre de risque.

— Encore de l'énergie gaspillée, elle risque de nous manquer pour nos travaux.

— S'ils entrent ici, l'énergie sera le dernier de nos soucis.

L'homme cilla puis acquiesça, il laissa tomber son ouvrage et quitta la pièce. Cela ne lui prit que quelques minutes. À son retour, sa compagne assura :

— Je crois qu'ils parlent entre eux.

— Que vas-tu chercher là ?

— Je perçois la différence entre des sons sans sens et un langage réfléchi.

Il la contempla et se rappella qu'elle était phonologue. Il nota aussi l'angoisse qui brillait dans ses yeux d'argent fondu, ses lèvres qui tremblaient légèrement.

— Je te fais confiance, mais j'espère que tu te trompes. Que peut-on faire, si ce n'est travailler le plus rapidement possible ?

La femme écarta les bras dans un geste d'impuissance. Il ne remarqua qu'à cet instant à quel point elle semblait lasse. En revanche, il ne voulut pas s'y arrêter, encore moins lui en parler. Détestant la faiblesse, avant tout la sienne, elle s'en serait offusquée. Il sourit, changea de sujet.

— Et si tu me montrais ce transmetteur ?

Sa conjointe ne se fit pas prier pour le guider dans une autre pièce...

*

Les prunelles opalines se fermaient, la face pâle et anguleuse se roidissait. À l'écoute du chant commun, la créature demeurait figée sur le seuil de la grotte. Pour empêcher la clarté flamboyante de l'atteindre, elle n'avançait pas. Cependant, elle se sentait fière de sa victoire sur l'embrasement diurne. Aucun au sein du groupe ne se risquait aussi loin lorsque la voûte brûlait.

C'était là son devoir en tant que sentinelle, cela ne changeait rien au prestige obtenu ; les privilèges adoucissait l'existence. L'être ne laissa pas l'orgueil primer sur sa circonspection naturelle. Il hulula sa réponse et recula prudemment. L'obscurité l'enveloppa en son cocon bienveillant, il devait à présent transmettre le message au clan.

La nuit, les ténèbres, la relative fraicheur, les troubles, s'accompliraient plus tard ; la créature serait prête.
Les mélopées se turent, le monde retrouva son immobilité saturée de chaleur.

*

L'arrêt des déclamations soulagea le couple. À cet instant, la femme expliquait en détail la progression de ses tâches matinales. Lui, manipulait entre ses doigts un cube d'acier constellé de diodes lumineuses et hérissé de fils. En parlant, elle lui présentait un second objet creux et doré. Le compte-rendu terminé, il glissa le sien dans la cavité, posa le tout sur un établi. L'ensemble irradia de lueurs bleues magnétiques ; le même sourire illumina le couple.

Mais le matériel commença à crépiter, à envoyer des étincelles, l'or et l'acier rougeoyèrent ; les visages se figèrent de surprise. Un arc électrique jaillit de l'appareil, traversa la pièce, frappa une fenêtre, dont le verre se brisa ; le bois de l'établi s'enflamma. Cela ne dura que l'espace d'un souffle, l'homme réagit très vite. À l'aide d'une vieille couverture qui traînait dans la pièce, il étouffa l'incendie naissant.

Elle restait immobile. Le regard écarquillé brillant de consternation, d'incompréhension.

Puis un rire nerveux la secoua, se changea en spasmes, en sanglots. Brusquement, elle hurla son désespoir !

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