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Sur les écrans du centre de surveillance, la tragédie du peuple de l'ombre s'affichait. À cela s'ajoutaient la destruction des soldats robots et la découverte de 6A42, inexplicablement fonctionnelle. Quoique ce n'était pas véritablement le mot. Elle suivait plutôt sa programmation initiale, mais en s'appuyant sur des données fragmentaires, voire perverties. Tous ces événements perturbaient gravement le projet et obligeaient la gardienne à envisager des mesures radicales dont elle se serait bien passée.
Quoi que ce soit, l'entité tutélaire devait agir sur plusieurs fronts ; elle s'y attela.

*

L'appel des veilleurs retentissait dans la chaleur du jour déclinant. Ainsi, de communauté en communauté, la funeste nouvelle circulait et la peur, à l'égal de la colère, rongeait les cœurs. Dans les abris commençait le temps du chagrin et du deuil. Celui de la vengeance lui succéderait, mais pour l'heure, l'hommage aux martyrs mobilisait les énergies.

Après la purification, et en file indienne, hommes, femmes et enfants s'engagèrent à la suite des morts dans l'étroite galerie menant à l'antre de "Celle qui Dévore". On lui confierait les corps, qu'elle engloutirait, libérant les âmes pour qu'elles rejoignent "l'Obscur". Ainsi, pour l'éternité, les esprits seraient protégés du "Brûlant".

Une mélopée sourde, destinée à éveiller, apaiser la "Dévoreuse", naquit en eux ; Iel sortit de son sommeil.

Le chaman guidait la cérémonie. Avec ostentation, exaltation ; en totale communion avec le clan. Aleei, le premier à tomber face aux monstres diurnes, fut donné en offrande. Par la suite, les autres victimes rejoignirent "Celle qui Dévore." Parmi elles, il y avait quatre enfants.

*

L'homme ne se lamenta pas sur la perte du sac d'Yséov. Il se concentra sur les soins à donner à sa compagne, procéda du mieux qu'il pouvait avec le peu qu'il avait. Il termina par un pansement de fortune et regarda autour de lui.

Le soleil caressait l'horizon. L'air ? Chaud encore, mais supportable. Ses errances en sous-sol l'avaient conduit dans un secteur moins désertique. La végétation encore sèche se révélait pourtant bien présente. Le lieutenant aperçut une assemblée de pins parasols. Il n'hésita pas à endosser son sac et porter sa compagne jusqu'à eux.

Dès qu'il passa sous les arbres, une surprise, aussi inattendue que bienvenue lui apporta espoir : une cabane un peu délabrée, mais d'apparence solide. Le repos leur tendait les bras.

Soudain, des hululements chargés de colère retentirent sous l'empyrée. Le capitaine se figea, frémit, tendit l'oreille. Graduellement, le chant sanglota, provoquant chez l'homme une vague de culpabilité doublée d'un réel chagrin. Il ne comprenait toujours pas pourquoi il s'était laissé aller à de telles extrémités. Un léger gémissement de sa compagne l'empêcha d'y penser davantage, elle reprenait lentement conscience. Le lieutenant se dépêcha de rentrer dans l'habitation et entama son installation.

Une poignée de minutes plus tard, tous deux étaient relativement à l'abri. Le lieutenant bricola une barrière d'énergie semblable à celle de la ferme, hélas moins puissante : un pis-aller. Il espérait toutefois qu'elle suffirait à les protéger. Yséov était allongée sur le seul couchage de l'endroit ; une sorte de matelas éventré, qui vomissait sa paille par nombre de déchirures. Mais, c'était mieux que rien pour la jeune femme plus que vulnérable et surtout fiévreuse.

D'ailleurs sa brève reprise de conscience ne dura pas, elle replongea dans une lourde torpeur. Le lieutenant sut qu'il ne pouvait rien faire de plus pour elle dans l'immédiat. Il se saisit de sa besace, l'ouvrit et entama un minutieux inventaire.

Hors du refuge la nuit s'installait définitivement.

*

La cérémonie achevée, les nocturnes s'en retournèrent dans les habitats. Le temps du deuil ne permettait pas de pourchasser les monstres diurnes dans l'immédiat ; les usages l'exigeaient. Mais, les communautés décidèrent d'organiser une assemblée. Arrêter une stratégie pour que les humains n'échappent pas à leur juste châtiment devenait une nécessité vitale. L'ennemi commun transcendant les éventuelles et rares tensions entre les clans, les échanges promettaient d'être concluants.

Les chefs et les chamans se rendirent en un lieu connu d'eux seuls. La tribu de feu Aleei ne devait être représentée que par son guide spirituel. Ainsi, c'est une vaste caverne qui les accueillît. Sur le plafond étaient peints d'étranges dessins, des mots tracés en une langue oubliée, des suppliques en direction d'anciennes divinités, des gravures aussi : une succession de traits regroupés par groupe de sept ; un ancien calendrier ? Personne n'était plus en mesure de reconnaitre ces mystérieuses marques comme telles. La mémoire collective du peuple de l'ombre assurait que ces lieux furent le théâtre de leur genèse, mais rien dans cette fresque désordonnée ne rappelait les nocturnes. Quelle importance pour eux ? Il ne voyait pas réellement ces témoignages d'un passé depuis longtemps révolu, et de ce fait ne s'interrogeait pas. Cette grotte restait néanmoins un endroit d'importance, on y prenait depuis toujours les décisions communes à tous les clans.

Quoi qu'il en soit, les nocturnes ignoraient que cette réunion, exceptionnelle, allait donner à leurs Némésis le temps de souffler…

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