2 - Une nuit troublante

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La nuit était plus sombre qu'à l'accoutumée. Une brume légère et froide se disséminait aux recoins des troncs d'arbres et des voitures garées le long des trottoirs, et remontait presque aux fenêtres où les enfants dormaient d'un sommeil profond. La glace de l'hiver, aussi dure que le rocher et aussi raide que la mort, se répandait le long du macadam fissuré. Axel, lui, ne dormait pas. Il faisait des cauchemars depuis la mort de Joe. Chaque nuit ou presque, il espérait très fort tomber dans les bras de morphée. Lorsqu'il y parvenait, il entendait dans ses rêves des sons étranges, des murmures, le bruissement des arbres ; mais surtout, il ne voyait rien. En se réveillant, il ne comprenait plus où il était, mais sentait un désespoir tel qu'il n'en avait jamais connu auparavant. Même pas à la mort de Papy Joe. Il regardait toujours sous ses draps afin de vérifier qu'il n'avait pas fait pipi au lit. A treize ans, cela l'aurait rendu honteux. Son corps se transformait déjà et il devenait peu à peu un homme.

La sueur recouvrait son front, mais il avait froid. Il souhaitait plus que tout que les mauvais rêves le laissent tranquille. Il voulait ne plus rêver du tout. Il avait dans la main une petite lampe torche rouillée sur les bords qui devait dater du temps de sa grand-mère. Il balayait de son faisceau lumineux la chambre qui avait autrefois été sa chambre de nouveau-né. De long en large, il inspectait chaque recoin, chaque petit trou dans le mur de peur d'y voir sortir quelque créature répugnante. Sa fenêtre, recouverte par de fins rideaux blancs, ne cachait pas complètement la faible lumière des réverbères allumant son quartier. Il tentait vainement de ne pas avoir peur, de se dire qu'il n'était plus un petit garçon à présent. Les mauvais rêves et les peurs nocturnes n'étaient rien d'autre que l'affaire des gamins en couche-culotte. Mais au moindre bruissement des feuilles des arbres, au moindre craquement que faisait la vieille commode située en face de son lit, il sursautait tel un petit animal chétif pris dans un piège. Il décida de se lever et de laisser ses draps bien chauds pour le sol froid d'un vieux parquet en chêne.

Tic Tac... L'horloge accrochée au mur d'en face paraissait plus effrayante qu'à l'ordinaire. Tic Tac... Tic Tac...

L'obscurité se propageait dans la petite pièce. Cette même pièce qu'il avait connue depuis le berceau, celle-là même qui n'avait jamais été aussi effrayante. Un bruit sec perça derrière la porte. Axel sursauta et resta immobile pour écouter. Une, deux, puis trois secondes passèrent, puis CRAC ! CRAC ! Axel courut dans son lit aussi vite qu'il le put et recouvrit sa tête avec ses couvertures. Il laissa sa lampe torche allumée, comme si la lumière était un moyen comme un autre d'éloigner ce qui restait tapi dans l'obscurité. CRAC ! CRAC ! Son esprit devait lui jouer des tours. C'était sûrement la porte d'entrée ou quelque chose du genre. Ses parents venaient probablement de rentrer de leur soirée cocktail. Tout cela devait être le fruit de son imagination et il n'en avait jamais manqué.

Axel eut l'impression que le raffut se calmait. Pourtant, il haletait. Sa porte grinça. Elle s'ouvrait, lentement. Puis il entendit des pas qui s'arrêtèrent brusquement. Il pouvait l'affirmer avec certitude, il s'agissait d'un bipède. Aurait-il pu en être autrement ? Ce devait être un cambrioleur. Quoiqu'il n'aurait pas grand chose à dérober dans une chambre d'adolescent. Peut-être l'un de ces types pas nets qui kidnappent les enfants pour les revendre, ou pire encore ? Pourvu que ce ne soit pas cela !

Aucune respiration ni aucun autre bruit n'était désormais audible. Seul le silence était roi. A cet instant précis, il savait que quelqu'un, ou quelque chose était en train de l'observer. Il sentait son coeur battre à tout rompre dans sa poitrine, tel les énormes tambours composant les orchestres symphoniques et leurs lourdes percussions. Sa lampe, qui fonctionnait très bien jusque-là, se mit à clignoter, de plus en plus vite. Les piles avaient été changées la veille. Le faisceau eut encore quelques soubresauts, puis il s'éteignit.

La peur le tenaillait, il haletait. Non, il suffoquait. Il aurait voulu être une minuscule fourmi afin de s'échapper de ses draps, d'ordinaire si douillets. Il voulait être invisible.

L'être qui se trouvait dans sa chambre se rapprochait. Il le sentait. Les pas étaient légers, comme si celui ou celle qui les dirigeait ne pesait presque rien. Malgré la terreur qu'il éprouvait, il tenta : "Qui... Qui est là ?"

Seul le silence lui répondit. Axel se concentra et essaya de prendre sur lui, espèrant très fort qu'il s'agissait là d'un simple cauchemar et rien d'autre. Il prit son courage à deux mains et souleva d'un grand coup sa couette, qui valdingua et se retrouva à moitié hors du lit. D'après ce qu'il voyait - ses yeux étaient maintenant habitués à la pénombre - il n'y avait rien. Seulement le noir, presque absolu.

Mais il en était maintenant persuadé : quelqu'un avait été là quelques secondes plus tôt. Je ne suis pas fou. Je ne perd pas la tête, pensa-t-il. Il se répéta intérieurement ces quelques mots plusieurs fois, comme pour se les faire rentrer une bonne fois pour toutes dans le crâne. Il alla se recoucher, encore stressé. Le haut de son pyjama à carreaux était trempé de sueur. Il remit sa couette à sa place et ferma les yeux. Je ne perd pas la tête, se répéta-t-il. Je ne perd pas la... Soudain, aussi violemment que le son écrasant d'un tonnerre grondant, la fenêtre donnant sur la rue s'ouvrit à la volée. Le choc était si fort qu'il cassa quelques carreaux de verre. Axel, pris de panique, se redressa d'un coup dans son lit. Un vent glacial pénétra dans la petite pièce. Les battants tapaient de plus en plus vite. Axel put apercevoir que les gonds situés aux extérieurs de l'encadrement étaient en train de sauter. Bientôt, il n'y aurait plus de fenêtre du tout.

Alors qu'il regardait bouche bée le vacarme incessant qui se produisait devant lui, il eut tout à coup une impression étrange. Bien qu'il paniquait quelques instants plus tôt, une sensation surprenante de bien-être l'envahit subitement. Il était là, à demi relevé sous ses draps, les cheveux ébouriffés par les bourrasques d'un vent comme il n'en avait jamais connu. D'autant que dans sa région, il soufflait habituellement à la vitesse maximale d'un petit courant d'air.

Avec les rafales et l'air glacial, saisissant, un son à peine perceptible arriva à faire peu à peu son chemin jusqu'aux oreilles d'Axel. Dans un état de béatitude quasi-totale, celui-ci regardait le néant d'une nuit sans nuages.

Il aurait juré que le vent prononçait son nom.

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