3 - En retard !

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Le matin qui suivit, le père d'Axel, bien que rentré tard dans la nuit, était monté dans la chambre de son fils pour constater les dégâts. Axel n'avait prévenu ses parents que lors du petit-déjeuner. Il était resté éveillé presque toute la nuit, et s'était endormi au petit matin, à peine une heure avant que son réveil ne sonne. L'atmosphère glaciale de sa chambre lui avait valu un bon gros rhume.

Son père, une tasse de café à la main, cravate remontée jusqu'au cou et propre comme un sou neuf, regardait d'un air effaré les débris de verre qui jonchaient le sol. Il demanda à son fils : "Tu es sûr que tu ne sais pas comment cela est arrivé ?"
Aussi étrange que cela puisse paraître, il était à s'y méprendre en train d'insinuer que son fils y était pour quelque chose. Axel répondit calmement : "Il y avait beaucoup de vent la nuit dernière".

— Ah oui ? Et comment expliques-tu que ce fameux vent ainsi que le bruit du verre cassé n'aient pas réveillé ta soeur ? Axel haussa les épaules.

— Papa, je ne vois pas pourquoi je m'amuserais à casser ma fenêtre en pleine nuit. Je te dis qu'il y avait de grosses rafales.

— Tu sais tout comme moi qu'il n'y a presque jamais de vent dans le coin, fiston.

Axel détestait lorsqu'il l'appelait fiston. Il trouvait ça étrange. Pourquoi les pères ont-ils ce besoin d'appeler leurs fils "fiston" ? Et pourquoi avait-il toujours cette manie de l'accuser sans raison ? Surtout pour des histoires sans queue ni tête. Les yeux de Jack ne cessaient de faire des va-et-vient entre le verre et ce qu'il restait de cette pauvre fenêtre. Il continuait à réfléchir.

— Ce doit être des jeunes du quartier. Je crois que les fils McAllister sont de vrais teignes. Enfin, ça c'est selon ta mère. Et tu sais que ce qui vient de ta mère est à prendre avec des pincettes. Tout en disant cela, il leva les yeux au ciel. Il poursuivit : Je vais appeler le fenêtrier en allant travailler. Ne t'inquiète pas, fiston, elle sera réparée en deux temps, trois mouvements. Ce soir tu pourras dormir comme un bébé ! Sur ce, il partit, visiblement pressé de prendre sa superbe cabriolet noire et de tracer la route pour se tuer à la tâche jusqu'à pas d'heure.

Axel ne doutait pas que la fenêtre serait réparée dans la journée, comme il ne doutait pas que son père aurait toujours les moyens de lui apporter un certain confort de vie. Mais si seulement confort rimait avec amour. Il ne voyait pas beaucoup ses parents, et il avait parfois cette mauvaise impression qu'il n'était rien d'autre qu'une voiture, une peinture comme celle accrochée dans l'entrée, ou encore l'un des derniers gadgets technologiques sortis sur le marché.

Il était maintenant temps pour lui de s'habiller et de prendre le chemin de cette bonne vieille école privée collet monté, loin d'être chère à son coeur.
Le bus scolaire passait pratiquement juste devant la maison où il vivait. Il n'avait pas beaucoup à marcher, mais se débrouillait presque toujours (involontairement) pour être en retard. Non pas qu'il souhaitait absolument rater son bus et rester à la maison, mais il avait beaucoup de mal à être énergique le matin. Et la nuit dernière ne fit que confirmer cela. D'ordinaire fatigué, Axel l'était encore plus en cette matinée de début décembre.

Il avait froid, le nez qui coulait à n'en plus finir, et couvait certainement quelque chose. Pourtant, il n'avait pas demandé à ses parents de rester à la maison. De toutes manières, ceux-ci n'auraient sûrement pas accepté. Ils étaient beaucoup trop à cheval sur la réussite scolaire de leurs enfants, eux qui avaient si bien réussi, comme sa mère aimait le rappeler souvent.
Les feuilles d'automne étaient pour la plupart regroupées en petit tas au bord des trottoirs ainsi que dans les jardins du voisinage. Il n'y avait pas encore eu de neige cette année, mais cela n'allait plus tarder. Décembre était un mois froid, très froid en cette région.

Axel sortit en trombe de la maison tout en mettant sa parka bleue marine. Il s'exclama, à l'attention de sa mère, qui n'était pas encore partie (elle devait amener Lily à l'école primaire) : "J'y vais, m'man !". En guise de réponse, il n'avait rien eu d'autre qu'un petit "hmm hmm" de la part de sa mère. Celle-ci était dans la cuisine, faisant sa manucure. La routine.


Tout en sortant sur le porche, Axel se rendit compte qu'il avait oublié son bonnet. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Au point où il en était, un peu plus ou un peu moins froid revenait finalement à la même chose. Il se mit à courir, commençant à être affolé par l'heure qu'affichait sa montre : 7h28. Le ramassage scolaire était à 7h30. Bien que l'arrêt n'était pas très loin, il fallait se dépêcher. Un peu de course à pied ne lui ferait pas de mal, ça le réchaufferait même. Axel n'était pas du genre sportif, mais c'était ça ou se faire enguirlander à la fois par Jack, Emily et par le proviseur Monsieur Carlson parce qu'il serait arrivé en retard.

7h29. Axel avait déjà mal aux jambes. Il aperçut le bus qui commençait à ralentir pour prendre les quelques élèves qui attendaient sagement leur carosse. Il fit signe avec ses deux bras au chauffeur, comme un échoué sur une île déserte essayant d'attirer l'attention d'un hélicoptère passant par là.
Tout le monde était monté, sauf lui. Les portes coulissantes de l'autobus se refermèrent. Axel y était presque. Il arrivait au niveau des phares arrières du véhicule jaune.
Le pot d'échappement cracha, l'enfumant au passage. Puis il partit, aussi brusquement que les portes s'étaient refermées. Axel avait envie de jurer. Déjà qu'il n'était pas très populaire à l'école, qu'il se faisait rabrouer cinq jours sur cinq, maintenant il ratait son bus !

Un choix s'offrait désormais à lui : rentrer et dire à sa mère, qui était probablement en train de monter dans sa porsche, qu'il avait raté son bus. Ou continuer à pieds. Le collège ne se trouvait qu'à quelques kilomètres de là, peut-être quatre ou cinq. Il opta pour la deuxième option.
Il décida, là aussi, de courir. Il s'arrêtait de temps à autre pour souffler quelques secondes, puis repartait. Ses poumons brûlaient, et il avait une envie irrépressible de tousser. Ça y est, je suis malade. Génial, commenta-t-il pour lui-même.

Bien que connaissant l'itinéraire du bus par coeur, il prit l'initiative d'empruter un nouveau chemin qu'il ne connaissait pas. Il se dit que cela devait être un raccourci. Juste avant d'arriver à l'angle de deux rues surplombées par un feu tricolore, un petit sentier sinueux coupait par la droite. Les feuilles jaunes et orangées des arbres étaient tombées en masse ces derniers temps, et recouvraient l'herbe sur les côtés sans toucher un seul centimètre de la voie principale, quant à elle un peu boueuse. Une rangée d'arbres encadrait parfaitement le chemin, comme si ceux-ci l'escortaient. Axel n'était pas certain que cela diminuerait son temps de trajet, mais cela valait le coup d'essayer.
Il croisait les doigts intérieurement qu'il n'allait pas être réprimandé en arrivant. Brighton était le plus huppé des établissements scolaires du coin. Médecins, avocats célèbres et pontes de la finance envoyaient tous leurs rejetons là-bas. Il faut dire que c'était une institution, et sa réputation n'était plus à faire. Axel était ce qu'on pourrait dire un élève moyen. Cela avait le don d'agacer ses géniteurs. Malheureusement pour eux, l'école n'était pas sa tasse de thé. Lorsqu'il imaginait l'avenir, il pensait plutôt voyager, voir le monde. Il y avait tant à découvrir ! Et puis, ses parents étaient pour lui un bon exemple de ce qu'il ne fallait surtout pas faire dans la vie.

Il s'engouffra entre les arbres, dont certaines des branches étaient prêtes à tomber, à moitié cassées. Sûrement le vent de la nuit dernière, se dit-il.
Au bout de l'allée, un tunnel. L'un de ces tunnels bien noir où des adolescents disparaissent, comme dans les films d'horreur. Sa partie supérieure était recouverte d'un lierre épais dont les extrémités tombaient telles de petites lianes.
Axel eut un léger mouvement de recul, instinctif, alors qu'il marchait droit sur la voie. Le tunnel ressemblait plutôt à un gouffre, ou une caverne sans fin, tant il paraissait long. Le jeune garçon ne distinguait qu'un faible point lumineux à l'horizon, et il se demandait sur combien la distance s'étirait. Il avança à pas de loup, en ayant presque peur de faire du bruit. C'est idiot, il n'y a personne, pensa-t-il. Il n'y voyait quasiment rien. Il s'aida alors de son téléphone portable, qu'il sortit de la poche de sa veste. L'heure affichait 7h45. Il était dans de beaux draps. De plus, son smartphone avait peu de batterie. Il allait bientôt s'éteindre.
Le son de ses pas résonnait, leur écho se propageant sur toute la surface cylindrique. Ses baskets Nike étaient mouillées, et l'eau commençait à pénétrer dans ses chaussettes. Un goutte à goutte se faisait entendre, comme lorsqu'on ferme mal le robinet de l'évier de la cuisine. Il résonnait lui aussi, tombant à intervalles réguliers dans l'eau probablement pas très propre dans laquelle Axel pataugeait. De ses mains, il touchait les parois du mur de béton afin de se repérer. Celles-ci étaient rugueuses et glacées, et à certains endroits elles faisaient place à de petites plaques de givre. Il faisait plus froid qu'à l'extérieur, cela ne faisait aucun doute.

Son téléphone émit un petit bip, signe qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Axel avait peur du noir ces derniers temps, il ne voulait pas se retouver dans une obscurité totale, là où il était sans défense. La lumière diminua, puis vacilla. Noir complet.
La peur s'immiscait lentement en lui. "Ne panique pas, le noir n'est pas mauvais. Et là où il y a du noir il y a aussi de la lumière". Il se rappela cette phrase que Joe lui avait dit une fois, alors qu'il passait quelques jours chez lui. Axel devait avoir pas plus de sept ans. Il s'était levé en pleine nuit, terrorisé par la noirceur de la chambre dans laquelle il dormait et où il n'avait pas sa veilleuse, restée chez ses parents. Il se la répéta mentalement, comme pour s'en imprégner alors qu'il continuait son chemin vers le point brillant qui grossissait peu à peu.

Soudain, une sorte de grattement. Il s'arrêta net. L'oreille tendue, il écoutait, sans bouger, à l'affût du moindre son. Le bruit s'était stoppé. Axel continua, se disant que ce devait être un rat ou autre rongeur. Ce n'était pas cela qui manquait dans ce genre d'endroit.

Une seconde fois, cela s'était remis à gratter, gratter, gratter encore. Axel accéléra le pas, pressé de retrouver la lumière du jour.

Il dut à nouveau s'arrêter. Cette fois, il sursauta. Pile en face de lui, enfin ce qu'il estimait être en face de lui, deux billes le regardaient. Elles étaient parfaitement rondes et le fixait, sans cligner. Leur couleur oscillait entre le vert et le bleu, alternant selon qu'Axel tournait ou non la tête.
La chose ne bougeait pas. Elle se contentait de le fixer, comme si elle n'avait rien de mieux à faire. Axel frappa dans ses mains. Une fois, deux fois, trois fois. Le probable animal ne bronchait pas. Il fit alors des bruits avec sa bouche pour l'effrayer, ainsi que des "oust !" et des "dégage !". Rien ne se produisit.

Ce qui était en train de le lorgner ne clignait pas des yeux. Axel, bien qu'effrayé, se mit à courir. Il courait du plus vite qu'il pouvait. Le trou grossissait, grandissait, il allait arriver au bout du tunnel. Un petit sourire en coin se dessina sur son visage alors que les rayons du soleil éclairaient de nouveau son visage.
Il était soulagé. Il s'était fait une légère frayeur, rien de bien méchant. En y pensant, c'était un peu ridicule. Ce n'était plus un gamin.

De vieux chênes aux feuilles jaunies étaient là. Axel entendit une branche se casser. Alors qu'il levait la tête, elle lui tomba en plein sur la face. Elle avait failli lui crever un oeil, cette satanée branche ! Délicatement installé dans l'arbre, quelque chose faisait tranquillement sa toilette. C'était un chat au pelage soigné, aussi sombre que le charbon sauf sous la tête, en haut de la poitrine, où était dessinée une petite tâche blanche en forme de losange. L'animal, comme dérangé par la présence d'Axel, s'interrompit de lécher sa fourrure soyeuse.
Le chat le regarda. Ses yeux étaient d'une intensité remarquable. D'un bleu aussi pur que le pacifique, ils le scrutaient. La bête à poils était extrêmement belle, et Axel se dit qu'elle était de race.
Mais le chat avait une particularité, et Axel fit vite le lien : il ne clignait pas des yeux. Il comprit alors que c'était lui qui lui barrait la route dans le tunnel, c'était lui qui lui avait foutu la frousse.

— C'était donc toi ! lança-t-il. Tu es un chat vraiment bizarre, j'ai eu la trouille tout à l'heure.

La fourrure noire, comme pour lui répondre, cligna cette fois. Puis elle descendit, lentement, agilement. Aussi discret et souple qu'un ninja, sa queue touffue balayant l'air, elle sauta au sol et vint se poster sur les chaussures mouillées d'Axel.

— T'es mignon, toi, lui dit-il. Axel caressa sous le menton de l'animal, qui se mit aussitôt à ronronner très fort. Je suis pressé, mon vieux. Je suis déjà bien en retard pour l'école, et si je ne me dépêche pas, ça va être ma fête.
L'adolescent était en train de succomber au regard flamboyant. Il vit que c'était un mâle. Il avait bien envie de le prendre avec lui, mais il était probablement à quelqu'un, bien qu'il n'ait ni collier ni tatouage dans une oreille.

— Je dois y aller, continua-t-il. Je suis désolé, petit chat.

Axel pensa de suite à ses parents. Papa détestait tout ce qui avait des poils, et maman était allergique aux poils de chat.
A contrecoeur, il dégagea chacun de ses pieds de dessous les ron-rons incessants, vombrissant tel un moteur de formule un.

Brighton était si vaste qu'on n'en distinguait parfois pas le bout. Les bâtiments, datant du dix-neuvième siècle, arboraient de grandes fenêtres longilignes, dans lesquelles le soleil miroitait. Les murs étaient d'une pierre épaisse, brunie par le temps, et sentaient le passé. L'établissement était constitué à ses extrêmités de hautes tours. Elles faisaient un peu penser à celles des châteaux forts, où chevaliers ou autres archers se postaient autrefois pour faire le guet. Vu du ciel, Brighton était parfaitement carré. Il avait été pensé pour l'être absolument, et les éléves l'arpentant devaient l'être tout autant. Aucun écart n'était permis. Mâcher un chewing-gum, porter une casquette dans l'enceinte étaient prohibés. Discipline, rigueur et travail acharné étaient les mots d'ordre. La devise de l'école était : "La réussite pour servir la nation". Ce slogan pompeux en disait long sur l'ambiance qui y régnait. Axel avait horreur de ça, mais il n'avait pas le choix. S'il l'avait eu, cela ferait belle lurette qu'il se serait fait la malle vers d'autres territoires.

Il arriva devant le portail, cadenacé de l'intérieur. N'ayant plus son téléphone en état de marche, il estima l'heure à environ 8h10. Les cours avaient déjà commencé. Une petite sonnette éléctrique était encastrée dans le mur attenant au portail, lui-même surplombé d'une magnifique statue d'un aigle majestueux.
DIng-DOng, fit la sonnette. DIIIng-DOOng !!! Le son était tellement fort qu'il y avait fort à parier qu'il se répandait jusqu'au fond du collège. Assez vite, des pas résonnèrent dans les graviers de l'allée principale. C'était ceux d'un homme très grand, mince et à l'air très distingué. Il était vêtu d'un costume trois-pièces gris foncé d'où pendait d'une des poches de son veston ce qui ressemblait à la chaîne d'une montre à gousset. En or, visiblement. La peau mate et les cheveux coupés très courts, l'homme avait au-dessus de la lèvre supérieure de fines moustaches bien entretenues. Ses traits ne laissaient que peu d'hésitation quant à ce qu'il pensait à ce moment-là.
Se faire accueillir par le proviseur n'était pas bon signe. Pas bon signe du tout.

Tout en ouvrant le grand portail en fer forgé, il dit en guise de bonjour : "Monsieur Flint, quelle bonne surprise. Amer, il avait sur la figure un sourire forcé, presque narquois. Si je ne m'abuse, ce n'est pas la première fois que vous êtes en retard, jeune homme". Il sortit la montre de sa poche. Axel put constater qu'il avait largement vu à la baisse l'heure qu'il était. Il était maintenant 8h30. Il faut croire que ce foutu tunnel n'était pas un raccourci. S'il n'avait pas eu la frousse à cause de ce chat...

Monsieur Carlson continua : "l'excellence n'est jamais en retard, elle, Monsieur Flint". Son regard était dur, il toisait Axel comme on toise de dégoût les excréments de chien dans lesquels on a marché.

— Monsieur le proviseur, je vais vous expliquer. J'ai raté mon bus puis...

Monsieur droit comme un i le coupa net.

— Suivez moi. Je n'ai que faire de vos explications. Vos parents ont été prévenus de votre incartade.

Chacun sa conception de l'incartade, pensa Axel.

Tous deux passèrent les énormes murs par l'entrée principale, munie d'une immense porte vitrée à deux battants, dont les poignées, grosses comme des mains d'ogre, étaient en or massif. Etant donné sa composition et l'orfévrerie réalisée, il devait y en avoir au moins pour le prix d'une voiture de sport.
M. Carlson fit entrer Axel dans son vaste bureau, apparemment nettoyé par une fée du logis et rangé par un général de l'armée. Il y reçu l'habituel avertissement, le sermon selon lequel un autre retard serait synonyme d'exclusion de l'école. Mais il le savait très bien, ses parents mettaient assez d'argent comme ça dans les frais d'inscription et autres oeuvres de charité de Brighton pour qu'il en soit exclu.

On envoya Axel en classe, ce qu'il redoutait par dessus tout. Arrivé en retard, il était accompagné par un surveillant jusqu'à la salle où Madame Foxbury était en train de donner un cour d'anglais. Derrière ses petites lunettes à écailles passées de mode, elle le regarda d'un coup d'oeil bref, sans expression.
Lorsqu'il entra, elle continua sa tirade comme s'il n'était pas là. Aucun mot ni remontrance. Par contre, il sentait tous les regards se tourner vers lui, et il avait l'impression que son visage brûlait tant sa couleur devait se rapprocher de celle de la tomate. Il entendait des "tiens, voilà le gnome" ou des "Ben alors, Flint le rase-mottes, tu es tombé du trottoir ? Tu t'es tordu la cheville ?". Axel était plus petit que la moyenne de son âge, certes, mais ce n'était pas une raison pour être raillé. Il avait l'habitude de tout cela. Ces phrases ô combien intelligentes et sympathiques lui étaient rappelées depuis maintenant quelques années. Il ne réagit pas, se disant que l'ignorance était la meilleure des armes.
Leurs auteurs n'étaient autres que Tom Hopkins et Bernie Mcphy, ses tortionnaires principaux. De bien deux têtes de plus que lui et approchant du double de son poids, ils étaient aussi fûtés que leurs belles paroles.

A la récréation, il alla s'asseoir dans un coin dans la grande cour pavée jouxtant la salle de classe. La journée allait être longue. Alors qu'il mangeait une barre de chocolat, il sentit la capuche de son manteau se rabattre sur le sommet de son crâne.

— Salut, nabot. Les mots de Tom étaient narquois, vicieux, sans pitié.

Bernie, derrière lui, ricanait. Son rire se rapprochait plus du couinement d'un cochon en pleine séance de bain de boue. Qu'est-ce que tu as là ? Il lorgnait ce qu'il restait du repas d'Axel.

Son accolyte chipa la barre de ses mains pour l'enfourner tout droit dans sa gueule. Pour être honnête, il était loin de mourir de faim. Tom lui asséna un coup sur l'épaule, puis se retourna vers Axel.

— On va faire un petit tour, tous les trois...

Le petit tour en question s'avérait être une visite très rafraîchissante aux toilettes.

Ce n'était pas la première fois mais tout de même, Axel détestait cela. Qui pourrait ne pas détester cela ? Bernie lui maintenait fermement les mains dans le dos, tandis que l'un de ses genoux pressait contre son dos. L'autre brute, elle, se faisait une joie de lui enfoncer la tête dans le trou des toilettes. Tous deux ricanaient à n'en plus finir, d'un rire presque démoniaque. Alors qu'il explorait les cavités plus que douteuses des latrines tout en se débattant, Axel pria. Il ne priait jamais, et pour dire la vérité, avait du mal à croire en dieu. Il pria très fort une force supérieure ou quelque puissance invisible de le rendre plus fort. Il souhaitait plus que tout que les gens mal intentionnés, cruels et horribles soient sanctionnés. Il voulait être quelqu'un d'autre. Il aurait voulu être plus grand, plus musclé pour s'occuper du cas de ces deux gros balourds. Il priait pour que cela marche, pour que quelque chose ou quelqu'un le change.

On le tira dans le dos par le tissu trempé collé à sa peau. Il grelottait. Alors qu'il reprenait son souffle pour ensuite retenir sa respiration avant d'aller récurer les w.c., il priait. Encore et toujours.

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