Chapitre 66

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Février 2043

(Elïo - 17 ans)

   Le silence règne dans la chambre de convalescence. Un silence morbide, rythmé par les passages pluriquotidiens des soignants. Un silence où l'espoir ne trouve guère d’horizon à mesure que les journées s’enchaînent. Installée au chevet de Jean depuis le début d’après-midi, Louise se contente de l’observer. Les discussions unilatérales ont fait leur temps et entendre sa voix rebondir dans le vide est désormais au-dessus de ses forces. Pourtant, à chacune de ses visites, elle ne peut pas s’empêcher d’enrouler sa main autour de celle du pompier. Sous ses doigts crispés, la peau de Jean ne lui a jamais paru aussi décharnée. Son corps est chaud, ses poumons se gonflent puis se vident par alternance. Ce ballet incessant n’est qu’un leurre, car si le sang continue de couler dans ses veines, son organisme tout entier est en état végétatif. Son visage anguleux, au premier abord froid et sérieux, est aujourd’hui dépossédé de toute expression. Derrière l’absence de tonus musculaire, c’est un faciès paisible, délesté de tout tracas qui s'affiche sur ses traits alors que son nez et ses joues gardent les stigmates de ses brûlures.

Tous les jours, Louise se figure l’impossible. Tous les jours, elle s’imagine pousser la porte de la chambre et retrouver le regard ténébreux de son amoureux. Jusqu’à son départ, tard le soir, elle maintiendra sans relâche son étreinte palmaire, car en dépit de la lassitude, elle pressent que sa présence physique incite l’élu de son cœur à continuer le combat. Son esprit ne doit pas s’envoler.

Malgré tout, sa compagnie n'a pas permis jusqu'alors le retour de son petit-ami. Pourrait-elle seulement faire autrement ? Sophie, la mamie de Jean , lui a conseillé de prendre du recul, d’espacer ses visites et même de se préparer au pire. Jamais elle n’abandonnera. L’unique chose dont elle veut se préparer, c'est au retour de son bien-aimé.

Quelqu’un toque tout à coup à la porte. Louise, épuisée, ne réagit pas, dans l’attente que l'importun veuille bien se dévoiler. Qui peut bien venir la déranger à cette heure-ci ? L'infirmière est passée tout récemment et Sophie n’arrivera pas avant une bonne heure.

Sans piper mot, elle accueille le visiteur et le suit lentement du regard comme s’il s’agissait d’un extraterrestre. Il s’avance d’un pas certain, attrape la dernière chaise disponible et s’installe aux côtés de Jean, face à elle. Louise le fixe avec insistance, mais n’obtient aucune marque de considération, le jeune homme est obnubilé par le patient hospitalisé. Ses habits sont usés et sa sombre expression donne froid dans le dos.

  • Qu’est-ce que tu fais là ?
  • Je suis venu rendre visite à mon ami.
  • Je… Je ne comprends pas.
  • Il n’y a rien à comprendre, Louise.
  • Tu es recherché dans toute la région et même au-delà. Il existe un avis de recherche te concernant, tous les médias ne parlent que de toi. Pourquoi viens-tu ici et maintenant ? Et comment es-tu arrivé jusqu’ici sans qu’on te reconnaisse ?
  • Peu importe. Je suis ici pour Jean.

Perturbée, Louise ne trouve rien à redire. Elle fixe à son tour le pompier de ses rêves.

  • J’ai entendu dire que c’est toi qui l’a sauvé.

Pour la première fois, Elïo se tourne vers son ancienne camarade de classe. Il n’y a plus aucune chaleur au fond de ses yeux, son regard n’est que tristesse et il s’abat sur Louise tel un reproche injuste et silencieux.

  • Quand je le vois dans cet état, je ne suis pas certain de l’avoir sauvé de quoi que ce soit.
  • Tu es trop sévère. Tant que son cœur bat, l’espoir subsiste.
  • Détrompe-toi.

Louise se pétrifie. Elle bégaie un semblant de réponse avant de se ressaisir.

  • Elïo, tu es libre de penser ce que tu veux, mais, quelle que soit l’humeur qui t’habite, évite ce genre de remarque devant moi. Je sais que c’est dur pour toi aussi, mais tu n’es pas obligé de me parler de la sorte…

Le jeune homme ne cille pas.

  • Excuse-moi, Louise.
  • Ne t’en fais pas pour moi, je suis plus forte que tu ne le penses. C’est plutôt auprès d’Emma et de tes parents que tu devrais t’excuser. Ils n’ont aucune nouvelle de toi…
  • Ce temps viendra. Pour l’heure, je suis là pour Jean.
  • Dans ce cas, respecte-le.

Elïo acquiesce puis se tourne à nouveau vers son meilleur ami. Il l’examine des pieds à la tête.

  • Vous êtes un beau couple, Jean sera très heureux à tes côtés.
  • Qu'est-ce qu’il te prend tout à coup ?

La question se perd. Elïo se dresse et dans un geste lent et machinal pose une première main sur le front de son ami puis l’autre sur son thorax.

  • Qu’est-ce que tu fais ?

Un halo s'échappe soudain de ses phalanges. L’épiderme de Jean blanchit tandis que ses veines transparaissent d’une lumière dorée sinuant le long de ses membres telle une arborescence divine.

  • Qu’est-ce que tu lui fais ? Arrête !

Louise bondit, tente de le repousser, en vain. À peine a-t-elle effleuré Elïo qu’un réflexe douloureux la contraint. Elle recule, se recroqueville sur elle-même, médusée et impuissante, en se laissant tomber sur sa chaise. La peur, l’épuisement, la colère, trop d'émotions s’invitent au bord de ses yeux. Les larmes s’accumulent, roulent et se déversent.

  • Elïo… s’il te plait…
  • Ne t’en fais pas. Très bientôt, tu le retrouveras.
  • Qu’est-ce que tu veux dire ? articule-t-elle entre deux sanglots.
  • Jean se réveillera.
  • Comment peux-tu le savoir ?
  • Je le sais. Aussi, je te demande une faveur. À son réveil, remets-lui ceci.

Louise attrape l'enveloppe tendue intitulée au nom de son petit ami.

  • Pourquoi moi ?
  • Parce que je te fais confiance.
  • Je veux dire : pourquoi ne lui donnerais-tu pas par toi-même ?
  • Il se peut que je sois loin lorsqu' il reviendra à lui.
  • Tu comptes partir en voyage ?
  • En quelque sorte. Promets-moi de lui donner à son réveil.

Louise fixe Elïo avec circonspection puis consent d’un hochement de tête.

  • Je te le promets.

Elïo opine à son tour.

  • Prends soin de toi.

D’un geste d’Adieu, il s’échappe sans plus de politesse. Louise sèche d’un revers de doigt ses larmes alors que son ancien camarade disparaît dans un silence étrange et solennel. La porte claque, Louise se retourne vers Jean. Rien n’a changé, mais les paroles énigmatiques du garçon aux yeux d’or restent en suspens.

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