❂ Epilogue ❂

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  • Vous vous faites remarquer dès le premier jour, mademoiselle…
  • Emma.
  • Et bien, Emma, vous n’avez pas jugé utile de faire vos commissions avant notre mise au point, mais je vous octroie exceptionnellement l’autorisation, répond Karine, infirmière en gastro-pédiatrie. Nous allons commencer le tour du service sans vous si vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

En dépit du ton acerbe, la jeune apprentie garde la tête haute.

  • Ne me regardez pas avec ces grands yeux et rejoignez-nous dès que possible. Bien que votre aplomb mériterait une sanction, je ne le notifierai pas dans votre rapport.

Emma continue de soutenir du regard la condescendance qui lui est adressée. Son interlocutrice, ne se doutant pas un seul instant de son désintérêt éperdu pour son évaluation de stage, elle continue de la toiser.

Autour d’eux, le spectacle amuse. Les étudiants de première année ont formé une allée de part et d’autre de la salle de soins, tandis que les soignants titulaires de gastro-pédiatrie préparent leur matériel sur la paillasse en arrière plan. D’aucuns se demandent pourquoi, dès le premier jour, cette jolie blonde se met à dos leur responsable de formation. Le plus souvent seule, dans l'amphithéâtre comme lors des travaux pratiques, elle échange et côtoie peu ses homologues, mais il faut bien avouer que cette fois-ci elle franchit une nouvelle ligne de curiosité voire même d'impertinence.

Emma se détourne finalement, le menton droit. Elle remonte avec lenteur le corridor d’élève infirmier sous leurs regards indiscrets et franchit la porte de la salle de soin pour remonter le couloir de l’hôpital. Très vite son élan, au première enjambée assurée, ralentit. Ses forces semblent la quitter. Elle vacille, titube, est presque sur le point de s’effondrer lorsque sa main trouve un rempart, nulle autre que le mur, lui évitant la chute. Ainsi appuyée, ses épaules tressaillent un court instant avant qu’elle ne reprenne la direction des toilettes. Une fois arrivée, elle s'enferme à double tour, s’adosse contre la porte, respire profondément. Elle libère ses longs cheveux blonds de leur chignon et fixe le plafond. Ses yeux cherchent l’invisible. Tout à coup, de nouveaux tremblements parcourent l'intégralité de son corps. Elle glisse de toute sa hauteur, termine assise, genoux repliés contre elle-même. Dans sa poche de pyjama d’infirmière se trouve un bout de papier replié. Sa présence ne cesse de monopoliser ses pensées. Les extrémités chevrotantes, elle décide de l’attraper, le défroisse avec difficulté et parcourt le texte manuscrit d’un œil empreint de trémulations. Pour la énième fois, des larmes profuses accompagnent ses hoquets.

Emma,

Lorsque tu liras cette lettre, je serai déjà loin. Je sais que tu la maudiras autant que j’ai souffert à coucher ces quelques mots. Ceux-là même s’inscrivent un peu plus profondément dans ma chair tandis que mon stylo noircit, tandis que ma peine grandit. Les mots sont une arme à double tranchant, disait mon grand-père. Celui qui ne les maîtrise pas s’engage dans un affrontement affectif perdu d’avance. Infirme de sa propre pensée, il luttera ainsi, dans la débâcle de ses émotions libérant de sa maigre parole, le sentiment coupable, conscient et honteux de sa propre impuissance, incapable de délivrer le cri de son âme. Aujourd'hui je mesure la réelle portée de ses dires, car je ne sais pas vraiment par où commencer et le choix de chacun de ces mots m'afflige de remords et d’incertitude. Mais je ne peux te mentir, je ne peux me mentir. Une épée de damoclès plane au-dessus de mon être et à mesure que l’encre s'écoule au gré de mon tourment, mon cœur saigne, scarifié lettre après lettre, au point de me faire miroiter une révision possible de ma destinée.

Ta tristesse infinie, je l’emporte dans mon sillage. Ce sera ma malédiction, les chaînes expiatrices qui me rappelleront ce chagrin semé sciemment derrière moi. Oui, Emma, je suis un couard. Je n’ai pas le courage de te dire de vive voix ce qui te revient de droit, l’amour sincère qui n’a cessé de m’habiter depuis que nos lèvres se sont effleurées. L’amour sincère d’un être insignifiant envers une femme d’exception. Toute ma vie, j’ai côtoyé la lumière et de plus bel éclat, il n'y a jamais eu que toi. Emma, tu es une personne authentique, intègre et rayonnante. Une personne attentionnée, portée vers son prochain, vers un avenir commun au détriment trop souvent de son propre bien. Aussi douce que généreuse, tu donnes sans compter, tu livres sans arrière-pensée. Tu es cette femme que tout homme sain d’esprit rêverait de suivre jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout de sa vie et jusqu’à son dernier souffle. Je te souhaite de rencontrer cet être rare, car mon dernier soupir ne trouvera pas le chemin de la Terre. Mon avenir est ailleurs, dans l’au-delà, quelque part où nul ne me trouvera.

Tu l’auras compris, par cette lettre je me dérobe, encore. Il s’agit de mon seul exutoire. Je mentirai si je disais que c’est pour te préserver. Celui qui est épargné de cet ultime tête à tête c’est bien moi, car je n’ose défier ton regard. Ensorcelé par le bleu de tes yeux, perdu dans la profondeur de ton désespoir, il me serait difficile d’assumer mes responsabilités, de ne pas enrouler mes doigts dans le tourbillon de tes boucles et surtout trop aisée d’ignorer ce chemin qui m’est désigné. Je t’ai caché beaucoup de choses Emma et, une fois de plus, je ne te ménage pas, je le sais. Je ne veux pas t'impliquer dans l’engrenage obscure de mon existence, allégorie mystique du monde cosmique, mais sache que j’ai dû faire un choix. Le monde, notre monde se meurt et tu le sais, à mes yeux, la civilisation humaine est le pire poison ayant jamais souillé notre Terre. Pourtant je décide de t’abandonner. Un sacrifice pour le salut de l’Homme. Ce choix paradoxal surprendra, mais entre deux dénouement malheureux, je choisis le moins pire des deux. Et c’est avant tout pour les gens comme toi que je prends cette décision. Peut-être ai-je tort, peut-être que l'humanité ne mérite pas le pardon, mais j’ose espérer que les esprits se réveilleront et que le bon sens supplantera la bêtise abjecte et destructrice qui gangrènent ce bas monde. Si tel n’est pas le cas, d’une manière ou d'une autre la nature reprendra ses droits et je ne serai plus que le spectateur lointain de ce dénouement regrettable, mais inévitable.

Ma Emma, je te dis Adieu. Ne change rien, reste tel que tu es et rappelle-toi : tu es aussi insignifiante qu'extraordinaire, ne l’oublie jamais.* De là-haut, à ton bonheur, je veillerai. Je t’aime pour l’infini, dans l’infini.

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