❂❂ Epilogue ❂❂

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   La clarté m'éblouit. Je cligne des yeux à plusieurs reprises, mais rien n’y fait. Un voile occulte mes rétines, incapables d'accommodation à cette lueur nouvelle. Mon esprit n’échappe guère à la brume, je nage dans un brouillard épais comme une matinée d'automne à la montagne tandis que l’ankylose des mes quatres membres me donne la sensation de revenir d'un long périple, de me réveiller d’un sommeil profond. À mesure de mon éveil, des bribes de rêves étranges surgissent tout comme la voix filtrée de certains de mes proches qui se répètent tels des fantômes errant dans les limbes de ma conscience.

Je tente une nouvelle fois d’appréhender le monde qui m’entoure, les paupières plissées de sorte que le minimum de lumière ne filtre au travers de mon cristallin. La nuque encore grippée, je tourne la tête de part et d’autre. Mes premières impressions se confirment. Je me trouve recouvert de draps blancs au beau milieu d’une chambre monotone dont le profil ne m’est pas étranger. Je l’examine dans chaque recoin à la recherche d'indices qui m'aideraient à retrouver la mémoire, à comprendre la raison de ma présence dans ce lit d’hôpital, mais le reste de mes souvenirs est impénétrable.

Je m’assieds tout à coup au bord du matelas avec élan. Le mouvement est rapide, trop rapide car la vivacité entreprise me surprend, au point de me faire vaciller à la limite de la bascule complète qui aurait pu me faire embrasser le sol froid hospitalier. De quelques mouvements des bras, je me stabilise puis reste immobile à contempler mes pieds. Ils sont quelconques, nus et leur poids me semble anormalement lourd. Mon corps tout entier est engourdi pour être exact, pourtant une chaleur extatique sinue jusqu’à la plus petite de mes extrémités. Sous mes yeux timorés, je tourne les mains dans un sens, puis dans l’autre. Elles n’ont en rien changé et pourtant elles ne me semblent plus si familières.

Du bout des orteils, je mesure mon appui à tâtons. Mon pas se déroule avec précaution sur le carrelage, de l’avant vers l’arrière, des voûtes plantaires jusqu'aux talons. Je me redresse, concentré sur mes sensations, sur mes nouvelles impressions. Ce que j’avais pris au départ pour une anesthésie est en réalité tout autre. Il y a cette énergie chaude, cette force ondulant dans chacun de mes muscles au point d’avoir un temps de réflexion pour le plus simple des mouvements. Et puis il y a mes sens, exacerbés au paroxysme de leur acuité, m'octroyant une appréciation inédite de mon environnement tel un nouveau né naïf du monde qui l’entoure. Les paroles des infirmières au bout du couloir me parviennent par exemple comme si je me tenais à leurs côtés et dehors, malgré la fenêtre fermée, la partition matinale d’oiseaux reculés chante jusqu’à mes oreilles. Mon épiderme, lui, capte le plus petit des appels d’air comme si je me trouvais en mouvement perpétuel et quant à la pesanteur terrestre ? Elle m'apparaît tout à fait dérisoire. Je me sens léger. Je suis léger. Je me concentre pour articuler quelques pas et me voilà déjà devant la fenêtre à admirer au loin, le soleil levant. Il est beau, il est grand. Il est lumineux et imposant. Ses rayons caressent ma peau avec délice, à l’origine d'une vigueur grisante. Je respire à plein poumons. Lui, s'élève avec splendeur. Je ne suis pas gêné par sa luminosité, au contraire, captivé par sa majesté, je continue de l’observer sans fin. Souverain de l’horizon, il magnifie les cieux de sa lumière céleste. Il y a bien longtemps que je ne l’avais pas vu si éclatant. Quel jour sommes-nous d’ailleurs ? Et quelle saison ?

Un courant électrique me traverse. J’attrape mes tempes. Une partie de mes souvenirs émerge des tréfonds de mon inconscient. Les images de l'incendie envahissent mes pensées. Mes coéquipiers et moi-même sommes encerclés, les flammes s’agitent autour de nous tandis que nous libérons méthodiquement les appartements, ravagés, les uns après les autres. Nous luttons contre la chaleur infernale, contre le poids de notre équipement, contre la mort elle-même dont la perfidie grandit à mesure que nous grimpons les étages, suçant toujours davantage notre énergie, mais ô grand jamais notre volonté. Nous progressons. Mon front ruisselle, la transpiration entrave ma vue. Mes bras tétanisent et mes forces se raréfient. Je lutte. Les derniers civils sont évacués lorsque, dans le dernier foyer secourus, un tremblement du sol sous mes pieds me fait tituber. Le plafond s’effondre, je m’écroule, ensevelis sous un amas de gravats. Paralysé et séparé de mes camarades, je perds connaissance sans tarder. Lorsque la quelque vitalité résiduelle m’accorde une fraction de conscience, je reconnais l’incessante sirène d’une ambulance. Couché sur un brancard, autour de moi s’affaire du personnel soignant. J’ai froid, mes paupières se ferment, l’obscurité s’abat.

Me revoilà dans la chambre d’hôpital. Cette remémoration me déstabilise. Combien de temps suis-je resté endormi ? C’est alors qu’une nouvelle voix pénètre mes pensées. Une voix reconnaissable entre toutes. Une voix que j’ai souvent côtoyée. Je crois qu’elle vient de moi, du plus profond de mon être, restée jusque là en marge de mon esprit et dont je n’avais pas encore conscience. Je suis subitement attiré par la table de chevet à ma droite. Le tiroir, je l’ouvre sans attendre et découvre une lettre intitulée à mon nom, Jean. Je la contemple, hésite, puis la saisis. Décachetée avec minutie, le manuscrit se porte à mes yeux. Je le parcours. La relis encore et encore. Je ne comprends pas, je ne suis pas sûr de comprendre, mais au fond de moi un pressentiment domine. Je plonge à nouveau dans le texte que je répète d’une voix à peine audible.

  • Jean, tu te réveilleras avec l’étrange sentiment de renaître d’un repos éternel. Un repos mérité quand on connaît la bravoure qui t’a poussé à te mettre dans le plus sombre des dangers. Mais peut-être ne te rappeleras-tu pas immédiatement du combat que tu as mené. Les souvenirs te reviendront, rassure-toi. Aussi, le monde t’apparaîtra différent. Il le sera. Tu le découvriras avec un tout autre regard que par le passé car je t’ai fait un présent. Une partie de moi. Mon ami, mon plus bel ami…

La lecture se poursuit, les tournures déchirantes se succèdent et le déni s’évanouit, emportant avec lui l’exaltation de cette journée ensoleillée. Des secousses traversent mon âme, je voudrais pleurer, accuser à juste titre la tristesse qui me bouleverse, pourtant mes doigts restent d’une inertie totale tout comme mes yeux dépourvus fatalement d’une quelconque trace d’émotion.

  • Jean, tu es un homme bon, tu es un homme vrai… Ne cherche pas à me retrouver. Où que je sois, regarde dans le ciel. Tu n’appercevras rien, mais moi je te verrai et je consacrerai ma lumière à ton éveil. Signé Elïo

Je repose la lettre. Pendant de longues minutes, je l'observe sans bouger. L’indifférence de mon corps, je la maudis, car en mon sein, je suis ébranlé et je n'arrive pas à l'extérioriser. La flamme nouvelle qui m’anime, aussi chaude soit-elle, chavire, se lamente et s’apitoie sans plus de signe apparent. Avec dépit, je me poste une nouvelle fois devant la fenêtre et contemple l'étendue céleste. Je répète les mots de mon meilleur ami. Je les répète en boucle, encore et encore. Nombre d’éléments attise ma curiosité, des questions implicites restent en suspens. Dans ma poitrine, le rythme effréné de mon cœur en fait partie.

Face à moi, le soleil rayonne toujours. Sa lumière m’inonde, me rassure et panse ma tristesse. Malgré tout, je me dirige vers la salle d’eau sans entrain. J’ai besoin de rafraîchir mon esprit et je sais qu’en cet instant seul le ruissellement de l’eau froide sur mon corps apaisera ma frustration. Je revois le visage d’Elïo, je nous revois grandir, se soutenir mutuellement, converser avec philosophie, je nous revois nous charrier, jouer au rugby, chuter, trébucher, se relever… Je n’ai même pas pu lui dire au revoir…

Mes jambes oscillent machinalement alors que mon regard balaye le sol. Je ne prends pas la peine d’appuyer sur l’interrupteur de la douche, mais mon intérêt se porte tout à coup droit devant. Je m’approche du miroir tout près, très près, examine un à un chacun de mes traits et reste ainsi à me dévisager.

  • Comment est-ce possible ?

Dans le pourtour de mes iris, une lumière dorée scintille.

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