Chapitre 1 : Trouple - Trouble
À dix-sept heures, Hugo salue ses collègues et quitte l’agence. La journée est terminée, il peut enfin souffler. Il enfile ses écouteurs et lance une playlist douce pour son trajet à pied jusqu’à chez lui. L’automne s’installe, l’air est frais, mais les journées sont encore agréables en cette fin septembre. Il passe devant un supermarché et s’arrête pour faire quelques emplettes. « Je pourrai nous faire des croque-monsieur avec une salade verte ? Joris adore ça ».
Au détour du rayon charcuterie, il manque de bousculer un grand blond plutôt charmant. Hugo s’excuse, l’autre sourit, il est déjà amoureux.
— Vous habitez le quartier ? lance nonchalamment Hugo pour entamer la conversation.
Mais le bonhomme fronce les sourcils avec un air dégouté, avant de rejoindre une jeune femme qui pousse un caddie. Hugo soupire et les regarde s’éloigner en chuchotant. « Un de plus… »
Il attrape la barquette de jambon qui lui manquait avant de se diriger vers les caisses. Devant lui, un jeune homme qu’il a régulièrement croisé dans le quartier dépose un tube de gel lubrifiant et une boite de préservatifs sur le tapis en plus d’autres bricoles. Ce dernier esquisse un sourire gêné en remarquant le regard scrutateur d’Hugo.
— Oh ! Pardon… j’ai vu… le lubrifiant et… ça m’a fait penser que je n’en avais presque plus, tente-t-il en se frottant la nuque avec un sourire gêné.
— Ils en ont au rayon pharmacie, lâche sèchement l’autre en se retournant.
Hugo ne répond pas et soupire. « Ce n’est décidément pas mon jour… »
—
À une centaine de mètres de là, Hugo pénètre dans son appartement. Il ne peut retenir un râle d’agacement en manquant de trébucher sur les baskets que Joris a retirées anarchiquement. Il fronce les sourcils en remarquant deux autres paires qui ne leur appartiennent pas. Blasé, il claque la porte pour signaler sa présence puis se dirige vers la cuisine avec son sachet. À peine l’a-t-il posé sur la table que Joris se précipite derrière lui seulement vêtu d’une minuscule serviette autour de la taille. Il sourit à Hugo, essoufflé et en sueur.
— Tu es déjà là ?
— Il est dix-sept heures quarante-cinq, Joris…
— Quoi ? Déjà ?
Joris lève les yeux vers l’horloge et s’étonne.
— Merde… j’ai pas fait gaffe qu’il était déjà si tard…
Apparaissent soudain derrière lui une jeune femme blonde légèrement vêtue, accompagnée d’un charmant black dont le petit slip blanc ne laisse pas grand-place à l’imagination. Hugo rougit et n’ose pas soutenir son regard avenant et coquin.
— J’te présente Reynald et Berengère, des… collègues…
Hugo les salue timidement.
— C’est ton p’tit copain ? demande Berengère.
— Il est craquant, ajoute Reynald en se mordant la lèvre inférieure.
Hugo se fige, flatté et intimidé. Joris éclate de rire.
— C’est mon p’tit frère !
— N’importe quoi, le corrige Hugo. Joris est mon meilleur ami.
— Oh, tu n’es pas… comme lui, alors ? demande Reynald, l’air déçu.
— Heureusement, il n’y en a pas deux comme Joris, mais si tu parles de sa bisexualité, c’est non. Je suis gay.
— Encore mieux, murmure Reynald en étirant un sourire.
— On peut vous laisser, lance Berengère en haussant les sourcils. C’est pas pour faire ma relou, mais on m’a promis un orgasme !
— Hey, moi d’abord, ajoute Joris avant d’embrasser avidement Reynald puis Berengère. Après, vous aurez tout le temps de draguer.
— OK, ben… à très vite, Hugo, lance Reynald en lui faisant un clin d’œil.
Berengère lui fait un signe de la main et précipite ses deux partenaires vers la chambre de Joris. Hugo reste plusieurs secondes immobile, partagé par cette rencontre. Ce n’est pas la première fois qu’il tombe nez à nez avec des « amis » de Joris et il sait que ce ne sera sûrement pas la dernière, mais il ne peut nier que le charme de Reynald ne le laisse pas indifférent. Il soupire et s’empresse de ranger ses courses avant de quitter l’appartement. Malgré le banal de la situation, il n’a pas vraiment le cœur à écouter leur partie de jambe en l’air. Il redescend la rue et entre dans le bar qui fait l’angle, puis s’installe à une table.
Après avoir commandé une boisson, il tire de son sac un vieil exemplaire usé de - Lune pour Caméléon - de Piers Anthony. Bien que la littérature fantastique ne soit pas forcément sa préférée, ce livre et cette histoire ont une importance toute particulière pour Hugo.
Petit Hugo,
À chaque fois que tu te sentiras différent ou rejeté, je veux que tu lises cette histoire et que tu te mettes à la place de Bink. Comme lui, ton pouvoir ne se voit pas forcément, mais il est bien là, au fond de ton cœur, ne l’oublie jamais. Tu es un garçon merveilleux, Hugo, exceptionnel sous bien des aspects. Ne laisse jamais personne te dire le contraire.
Joyeux anniversaire.
Oncle Dom.
Ces quelques lignes, son oncle Dominique les avait notées sur la première page, avant de le lui offrir pour ses dix ans. Hugo n’en avait compris le sens que bien des années plus tard. Oncle Dom était une personne bienveillante, une âme lumineuse par sa gentillesse et son altruisme qu’Hugo adorait et admirait. Il était son unique modèle gay. Malheureusement, le sida l’emporta trois ans plus tard.
Une larme roule sur la joue d’Hugo tandis qu’il caresse l’inscription en soupirant.
— Tout va bien ?
La voix de Joris le tire soudain de ses pensées.
— Oui, ça va.
— Tu as sorti le livre d’oncle Dom, donc j’en doute. Raconte-moi.
Joris s’assoit en face d’Hugo et pose ses mains sur les siennes.
— Ce n’est rien, je t’assure. Je ne veux pas t’embêter avec mes histoires.
Hugo baisse la tête.
— Hey ? Tu sais que jamais tu ne m’embêteras avec tes histoires.
Joris lui attrape le menton et plonge son regard compatissant dans celui d’Hugo qui lui sourit timidement.
— Il faut que tu cesses de te mettre dans des états pareils. Tu es trop impatient, l’amour de ta vie viendra, c’est certain.
— Et s’il était déjà passé et que je ne l’avais pas remarqué ? Ou pire, si je l’avais ignoré…
— Tu sais parfaitement que c’est un impossible. Comment passer à côté d’un beau garçon comme toi sans le remarquer ? Surtout avec un joli p’tit cul pareil !
Hugo le repousse en esquissant un sourire.
— T’es vraiment qu’un obsédé sexuel, lance-t-il en riant et en secouant la tête.
Avec un sourire coquin, Joris s’affale dans sa chaise et lui fait un clin d’œil.
— D’ailleurs, Reynald en a grave après toi. Il était déçu que tu sois parti.
— C’est flatteur, mais je n’avais vraiment pas la tête à entendre votre « bouquet final », si tu vois ce que je veux dire.
— Il m’a dit de te donner son numéro.
Joris tire son téléphone de sa poche et le tend à Hugo.
— Appelle-le, OK ?
— Je sais pas trop… tu sais bien que les bi, c’est pas ma tasse de thé.
— Ah non, il est gay. C’est Berengère qui a insisté pour qu’il participe, mais il s’est pas occupé d’elle, si tu vois ce que je veux dire.
— Joris ? Je vois toujours ce que tu veux dire…
Un air blasé sur le visage, Hugo lève les yeux au ciel et Joris lui donne une tape sur l’épaule.
— Je veux juste un mec sympa, intelligent, quelqu’un qui m’aime sincèrement et pas juste pour mon p’tit cul…
Hugo tourne la tête et aperçoit par la fenêtre l’explosion d’orange et d’or que le soleil couchant projette dans le ciel. Le brouhaha des clients l’hypnotise, l’enferme dans sa tête l’espace d’un instant.
« Où es-tu, mon amour ? »
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