Chapitre 1 — Différente

La rentrée en maternelle.

La plupart des gens, je pense, ne s’en souviennent pas. Certains diront même que c’est impossible.

Mais moi, si. Je m’en souviens.

Je ne vais pas prétendre me rappeler de toute l’année, ni des visages des maîtresses ou des copains. Non. Il y a juste des flashs. Des souvenirs très précis, très clairs.

Mais dans chacun de ces souvenirs, il n’y a que moi. Comme si j’étais seule dans un monde flou. Une petite fille seule dans ses émotions.

Et ce qui est étrange, c’est que même aujourd’hui, à 30 ans, ces flashbacks me font encore quelque chose.

Je ne suis plus cette enfant, et pourtant, je ressens encore exactement ce qu’elle ressentait.

C’est comme si ce moment ne m’avait jamais quittée.

Ma mère n’était pas là pour cette première rentrée.

Mais je ne veux pas qu’on la blâme.

Je fais ici une parenthèse importante : tout au long de ce livre, il y aura des moments où ma mère n’apparaîtra pas comme la mère idéale.

Mais ce n’est pas un procès. Ce n’est pas un règlement de comptes.

C’est juste mon histoire, avec ses douleurs et ses nuances.

Ma mère travaillait. Ce n’était pas un abandon.

Certes, je l’ai vécu comme tel, mais aujourd’hui encore, je refuse de douter de son amour.

Je ne cherche pas de coupable. Ce livre n’est pas là pour pointer du doigt.

Il est là pour témoigner, pour transmettre, pour éveiller.

Donc ce jour-là, elle n’était pas là.

Elle me laissait chez une dame, une nourrice, qui avait des enfants bien plus âgés que moi.

C’est l’un de ces enfants qui m’a accompagnée à l’école ce matin-là.

Et j’ai pleuré.

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Je me sentais nue, sans protection.

Je n’avais ni main à tenir, ni regard pour me rassurer.

Aucune voix familière pour me dire : « Ça va aller, je reviendrai. »

Je me suis sentie en insécurité totale.

Et cette insécurité-là, je la ressens encore en l’écrivant.

Ce n’est pas une exagération. Ce n’est pas un effet dramatique. C’est une réalité qui colle à mon corps.

Je n’étais qu’une petite fille de trois ans.

Aujourd’hui, je suis une femme. Une mère. Mais cette petite, elle est toujours là, quelque part en moi.

Ce jour-là, je savais que j’avais une mère.

Mais elle n’était pas là. Pas ce jour-là.

Et personne ne m’avait vraiment préparée.

Pas de mot rassurant, pas d’explication, pas de promesse douce. Rien.

Je me suis retrouvée à la cantine, à manger avec mes mains, comme à la maison.

Mais ici, on me regardait de travers.

Les plats, je ne les connaissais pas.

La fourchette, l’assiette, la posture à table… rien ne m’était familier.

Je me suis sentie étrangère. Vraiment étrangère.

Et pourtant, j’étais née en France.

Mais dans ces moments-là, c’était comme si j’étais arrivée tout juste du Maroc.

Ah oui, d’ailleurs — je suis d’origine marocaine. C’est important à savoir pour la suite.

Ce jour-là, j’ai compris que j’étais différente.

Et ce ne serait pas la dernière fois.

En fait, j’ai presque envie de dire que “Différente” était mon prénom pendant toute mon enfance.

On sentait que je n’étais pas comme les autres.

Les autres avaient des repères. Un foyer. Des parents à l’entrée de l’école.

Moi, j’avais le flou.

J’avais cette absence.

Et c’est là que ça commence.

Le manque de confiance.

Le sentiment d’être à côté.

La frustration d’exister sans cadre.

Je n’avais même pas de chambre à moi.

Je m’asseyais un peu partout, là où je pouvais.

Ça a duré jusqu’à mes 6 ans et demi, presque 7.

C’est pendant mon année de CP qu’on a déménagé.

Je suis allée dans une nouvelle école.

Et c’est là… qu’un autre enfer a commencé.