Chapitre 2 : Silver Spur

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Silver Spur n’était pas un village à proprement parl. C'était une rue rectiligne où commerces et petites habitations se faisaient face dans un mélange de bois et de poussière. On n’y trouvait l’essentiel, pour la plupart des habitants, et parfois, passé une certaine heure, un peu plus que cela.

L’épicerie dans laquelle travaillait Rachel était enclavée entre un croque-mort et une cabane branlante pompeusement autoproclamée « Officine », alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’un étalage d’herbes sauvage et de quelques épices. Cette « officine » était tenue par la vieille Martha Beaumont. Une échappée de la Louisiane à la peau tannée - certains l’avaient attribué à un métissage natchez- qui avait atterri on ne savait comment à Silver Spur. Elle était sourde mais voyait clair en chaque être humain. Progressivement les habitants s’étaient habitués à elle et à ses excentricités.

Rachel l’aimait bien. Elle ne manquait jamais de lui rendre visite. Et parfois arfois lui achetait quelques « fameux remèdes » par pure sympathie, qu’elle jetait presque aussitôt qu’elle rentrait chez elle.

Tous ces commerces étaient soit surplombés par des habitations, pour ceux qui avaient le plus de moyens, soit dotés d’ « arrières boutiques » où logeaient les propriétaires. Ce qui était le cas de l’épicerie de l’oncle Obadiah.

La boutique était surmontée d’une grande enseigne de bois peint en blanc où l’on pouvait lire en grosses lettres vert sapin : « Carver grocery » et en plus petit caractère en dessous : « Munitions et Tabac ». Une petite porte en bois plein était toujours ouverte pour laisser entrer la lumière du jour. Mais même sans cela, l’épicerie conservait son aspect chaleureux et accueillant.

Rachel, son panier sous le bras, grimpa la première marche de plancher qui craquait toujours à cet endroit, puis entra. L’oncle, un gros homme trapu, à la figure bonhomme et toujours parfaitement glabre, était derrière le comptoir, consultant un grand registre noirci d’une fine écriture en patte de mouche, que lui seul savait déchiffrer.

Sans même relever la tête il grogna :

-Tu traînes ce matin. J’ai dû faire l’ouverture.

La jeune fille leva les yeux au ciel, Obadiah faisait TOUJOURS l’ouverture. Elle pouvait se lever avant l’aube qu’il viendrait quand même l’ouvrir lui-même sa boutique.

Il continua :

-Tu es pourtant partie de bonne heure ! As-tu rencontré un souci ? J’espère que tu ne t’es pas attardée chez cette vieille sorcière de Martha !

L’oncle n’appréciait que très peu sa voisine. Pragmatique et ordonné, il n’entendait en rien la manière dont la vieille Beaumont tenait son commerce. Pour lui cela relevait plus du troc façon Comanche que de l’honnête vente entre bons citoyens.

À ces paroles Rachel se renfrogna, le mot « rencontre » lui rappela l’inconnu à cheval croisé plus tôt. Elle s’était volontairement mise en retard dans le but de ne pas le revoir plus avant. C’était donc de sa faute à lui si elle se faisait ainsi réprimander. Elle grommela une réponse négative, qui ne fit pas réagir l’homme derrière son comptoir, habitué aux manières bourrues de sa nièce. Puis, elle passa la porte menant au logis, le traversa à grandes enjambées pour étendre au plus vite le linge humide à l’extérieur et s’occuper de la boutique.

Ce jour-là, elle guetta toute la journée l’entrée de l’épicerie, sans oser se l’avouer. Son cœur ratait un bond à chaque fois que des éperons franchissaient le seuil.

Elle fut d’une humeur exécrable.

Le soir, alors qu’elle soufflait la bougie posée sur sa table de nuit, elle se maudit : « Mais que tu es sotte ma pauvre fille ! »

Et elle s’enroula dans ses draps comme pour étouffer un désir naissant. Et avant de sombrer, se promit de ne plus jamais se laisser troubler par un regard d’aigle.

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