Bagarre

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Silas se tenait contre un pilier, dans une pose des plus nonchalantes. La pipe vissée dans la bouche, les pouces dans sa cartouchière, le manteau suffisamment rejeté pour dévoiler un Smith & Wesson prêt à l’emploi.

L’ivrogne jeta Rachel telle une vulgaire poupée de chiffon pour faire face au nouveau venu. Il cracha de côté.

- Dis donc le nouveau… si tu te mêlais de tes affaires, hein ? La demoiselle et moi on aimerait faire un brin de causette, si tu vois ce que je veux dire…

Sur ces paroles, il ramena à portée de main le Remington pendu à sa ceinture. McGraw se redressa calmement, la tête légèrement inclinée en avant et posa sa main sur la crosse de son arme.

- L’ennui, c’est que la demoiselle est avec moi, répondit-il dans un sourire mauvais.

Alors que la crapule s’apprêtait à lui répondre, la main déjà dirigée vers son colt, quelque chose d’inattendu se produisit. Quelque chose que ni l’un ni l’autre n’avait vu venir.

Dans un hurlement de rage, qui s’apparentait plus à un cri de guerre, Rachel s’était ruée dans les jambes de son ennemi. Enlaçant ses maigres genoux avec fermeté, elle le plaqua avec violence. L’homme vociférait, le visage dans la terre. Il tentait en vain de se redresser mais la jeune femme se couchait sur lui.

- Alors ? Vous venez m’aider ou quoi ! Cria-t-elle à Silas

Ce dernier était resté stupéfait, il en avait même redressé son chapeau. Passé le moment de surprise, il prit le fouet qui gisait à côté de son propriétaire. Il lui attacha les mains dans le dos et d’un coup de crosse, assomma la pauvre bête qui suffoquait.

Rachel roula sur le côté.

Allongée du le dos, elle respirait à grands coups. Son châle avait roulé sous ses reins. Les sabots propulsés plus loin. Elle était complètement échevelée. De la terre maculait sa chemise de nuit, ses bras et son visage.

McGraw eut un petit rire à la voir ainsi. Mais en gentleman, lui tendit la main. Rachel grogna et la repoussa d’un revers avant de se lever. Sous le regard amusé de son comparse, elle dégagea de son visage les mèches trempées de sueur. Elle tapa sur sa chemise de nuit pour en retirer, en vain, tout le sable qui s’y était accumulé dans la lutte. Gênée d’être ainsi observée par cet étranger, elle leva haut le menton en air de défi. Silas, toujours narquois, hissa sur ses épaules le soûlard qui ronflait grassement, la face contre le sol.

- Que comptez-vous en faire ? Demanda la jeune fille

- Le laisser faire dodo derrière l’écurie. Les Whitaker auront la surprise demain.

Et il jeta le bougre dans un tas de paille. Il se tourna ensuite vers Rachel et le chapeau à la main lui fit une révérence empreinte d’espièglerie.

- Si Madame voulait bien accepter que je la raccompagne. Les routes ne sont pas sûres à cette heure-ci

- Pff ! Je m’en sors très bien toute seule !

Il fronça les sourcils :

- Allons, allons. Pas de fausse bravoure. Je vous ai trouvée en bien mauvaise posture.

- J’aurais eu le dessus.

- Il est vrai que cette ruade fut mémorable ! éclata-t-il de rire.

Rachel se vexa, les lèvres pincées elle se mit en route, le cavalier hilare à ses côtés.

- Il est vrai que Monsieur doit avoir plutôt l’habitude de fréquenter des dames rencontrées dans certains lieux... Des dames en fanfreluches. Mais nous autres, filles de ferme, nous n’avons pas peur de nous salir les ongles.

- Cela semblerait presque vous ennuyer, se moqua-t-il

- Oh mais vous faites bien ce qu’il vous plait !

Et Rachel, les poings serrés, accéléra le pas.

- Vous pouvez me laisser maintenant ! Bonsoir ! Lui cria-t-elle

- Comme vous l’avez si….aimablement – à ce mot, il marqua une pause, malicieux -

souligné... Je fais ce qu’il me plaît. Et là, tout de suite, mon plaisir c’est de vous raccompagner.

La demoiselle lui jeta un regard ulcéré mais ne répondit rien.

La nuit s’était avancée. Le saloon s’était peu à peu vidé. Même les criquets s’étaient tus. Seuls leurs pas raisonnaient dans la douce tranquillité de la nuit. Rachel, que l’air frais avait peu à peu apaisé, jetait des regards en biais, emplis de curiosité, à son compagnon. Celui-ci fit mine de ne pas s’en apercevoir. Il brisa le silence de sa voix profonde.

- Et d’ailleurs, que faisiez-vous du côté des écuries ?

Rachel soupira :

- Ma chienne… Elle s’est encore enfuie. J’y tiens beaucoup.

Silas ne répondit rien.

Ils étaient arrivés.

Ils avaient contourné la rue pour tomber devant la porte de l’arrière-boutique, celle du logis. Rachel grimpa la petite estrade puis se retourna vers l’homme.

- Je vous remercie d’être venu à mon aide Monsieur McGraw.

- C’est bien normal Mademoiselle.

Le ronflement tonitruant de l’oncle brisa le silence qui venait de s’installer avec douceur. Ils se sourirent.

- Bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit… d’aide… ou d’un partenaire de bagarre…

Rachel sourit, un peu gênée.

- … vous savez où me trouver, termina-t-il.

Il pinça son chapeau, ses yeux plongés dans les siens, du regard fin dont il avait le secret.

Rachel le regarda s’enfoncer dans l’obscurité avant de rentrer. Le cœur battant elle s’adossa contre la porte. Et dit tout bas pour elle-même « Reprends-toi, s’il te plaît... reprends-toi. ».

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