Prologue
L’odeur du soufre s’infiltre dans mes narines et poursuit lentement sa descente plus bas dans ma gorge. Elle s’insinue dans les plus petits recoins de mon être et assèche le reste d'hydratation encore présent dans mes tissus. Ma peau me démange. Si j’en étais capable, je la gratterai jusqu’à l’apparition de l’os mais hélas, aucun de mes muscles ne semblent réceptifs à mes demandes. Je suis tout simplement incapable du moindre mouvement. Ma respiration est laborieuse et une inspiration trop forte réveille la douleur aiguë dans mes côtes suivi de près par mes poumons qui menacent de lâcher à tout instant. Je tente de me redresser mais tout ce que je gagne, ce sont des martèlements violents dans mon crâne et des bourdonnements intensifs dans mes oreilles. J’ai l’impression de mourir.
Une deuxième fois.
Ma gorge est sèche comme du parchemin et remonte un goût âcre qui fait, sans réelle connaissance, écho à celle du sang.
J’ouvre les yeux, supposant pendant un bref moment d’égarement les avoir refermés. L’obscurité qui m’accueille est semblable à de la fumée noire dont on est incapable de voir à travers. Je papillonne plusieurs fois des yeux m’assurant de les avoir bien ouverts. Mais, je ne distingue rien, pas même l’ombre d’un souffle. Tout est noir.
Aucune lumière ne filtre d’une fenêtre ou d'une porte. Je n’ai aucune idée de là où je me trouve et les souvenirs qui se bousculent dans ma mémoire sont d’une inutilité accablante.
Je suis perdue dans mon désarroi quand soudain, des bruits me parviennent. Est-ce des cris de bébé que j’entends ?
Je tends encore plus l’oreille et les notes se confirment. C’est bien un nouveau né qui pleure. Je ne sais pas pourquoi ces cris me compressent la poitrine. Pourquoi laisse-t-on cet enfant pleurer de la sorte, ai-je envie de crier quand le son des pas qui se rapprochent arrive à mes oreilles. Je prends appui sur mes mains et entreprends de me lever mais la douleur qui irradie dans le bas de mon dos me fait tout de suite abandonner l’idée. Mes jambes quant à elles sont aux abonnés absents. Je les sens à peine remuer.
Les pas sont de plus en plus distincts et des murmures commencent à s’élever. A leurs écoutes, je dirai qu’il y a au moins deux personnes dont une femme à moins que mes sens ne me jouent un nouveau tour.
Je retiens mon souffle quand j’entends l’une d’elle demander un nom et qu’on lui répond par le mien. Je devine donc le sujet de la discussion. Je suis soulagée de ne pas être seule même si je n’ai aucune idée de l’endroit où je suis. Les deux individus, j’ai conclu qu'ils étaient deux, se sont tus. J’ai du mal à déterminer à quelle distance ils se situent quand tout d’un coup un souffle chaud caresse mon visage.
J’ai un mouvement de recul n'appréciant pas cette proximité soudaine. Je sens à nouveau ce souffle sur moi alors là je comprends que mon mouvement de recul n’a été effectif que dans mon esprit. Je n’ai pas bougé de ma position. Mon cœur s’emballe et une main vient se poser sur la mienne.
— Catelyn tu m’entends ? dit la femme.
Cette voix est calme et posée. La menthe dans son haleine que je respire vient légèrement chasser le goût âcre du sang dans ma bouche. Au sens du vent, je devine sa position. Elle est juste en face. Mais un mouvement sur mon côté droit me fait douter. J’ai perdu tout sens de l’orientation. Pas que j’en ai déjà beaucoup eu d’ailleurs.
— Catelyn ? répète la femme à mes côtés.
Le ton de sa voix a quelque peu changé. C’est imperceptible mais je le perçois. Je me rappelle alors de sa question.
— Oui je vous entends, parviens-je à dire d’une voix enrouée.
Un vent frais et léger caresse ma joue et chasse l’odeur de la femme. Dans la même foulée, des nouveaux souvenirs m’assaillent. Mais tout est si flou et confus que je n’arrive à rien démêler. Rien du visage de l’homme qui me sourit et me tend la main n’évoque en moi une quelconque émotion. Si ces événements sont récents ou de lointains souvenirs que ma mémoire tente de resurgir de manière si…
— Elle ne m’entends pas, reprend d’un coup la femme me sortant de mes pensées.
— Elle est réveillée mais ne m’entends pas.
Une chaleur vive mais brève m’assaille sonnant les prémices d’une colère sourde.
— Je viens de vous répondre, je vous entends ! dis-je sèchement.
Un long silence suit ma déclaration. De nouvelles personnes se sont ajoutées et s’affairent autour de moi mais aucune d’entre elles ne daigne m’entendre. Cela doit être une mauvaise blague. Suis-je dans l’une de ces mises en scène qui passe chaque mardi soir à la télé qui se veut drôle et qui en réalité est un canular ? Que font d’ailleurs toutes ces personnes à tourner ainsi autour de moi ? Ça fait partie du jeu ? Me désorienter ? Ne voient-ils pas mes lèvres remuées ?
— Elle n’arrive peut-être pas à parler, dit un homme.
Sans aucune résistance de ma part, ma main est retirée de mon genou et posée dans une paume.
— Catelyn si tu m’entends, sert le poing, dit calmement la femme.
Je m’abstiens de souffler d’agacement. Rassemblant mes dernières forces, je mobilise les muscles de mes mains et m’exécute.
— Bien. C'est très bien même Catelyn. J’approche une lampe de tes yeux, déserre le poing si tu la vois.
Je tourne la tête de tous les côtés à sa recherche. J’ouvre et referme les yeux plusieurs fois. Je ne vois aucune lumière, même pas une petite lueur.
Je ne vois pas la femme qui me parle. Je ne vois pas son collègue à qui elle rend des comptes. Je ne vois aucune de ces personnes qui murmurent autour de moi. Je ne sais pas où je suis ni ce que j’y fais.
Je suis aveugle, constatai-je en ne retenant plus le sanglot dans ma voix.
Sans crier gare, les martèlements dans ma tête augmentent d’intensité et m'arrachent une grimace. J’ai l’impression que ma tête va exploser. Les brûlures dans ma gorge et dans mon estomac se répandent partout et mon corps tout entier est en feu. Une affreuse douleur me compresse la poitrine. Je n’entends plus que l’écho des appréhensions de la femme à mes côtés et son souffle sur mon visage n’est plus qu’un lointain souvenir. Les murmures et les chuchotements se sont tus. Plus un souffle. Je n’entends que ma respiration sifflante et tout d’un coup, plus rien.
Mon souffle haché est régulier. Ma tête est légère et mon corps apaisé flotte sur une mer sans vague jusqu’à ce que …
— Elle fait un arrêt cardiaque ! Vite sortez la.
Un violent choc me projette contre mon siège et je sombre dans le noir. Quand je me réveille, une substance visqueuse coule de mon front. À son touché, elle a la couleur et l’odeur du sang. Devant moi, il n’y a plus aucune trace de mes parents. Ils étaient là il y a quelques secondes. Je me penche vers la droite et le mouvement brusque me fait grimacer de douleur mais très vite, j’en oublie la sensation quand je remarque l’absence du passager à mes côtés. A la place, gis dans un état lamentable sa peluche préférée. J’essaie de me lever mais j’en suis incapable. Des élancements parcourent tous mes membres et soudainement une détonation retentit. Je sursaute. Elle suivie d’une et d’une autre et encore d‘une autre.
— Un défibrillateur, on est en train de la perdre.
Quand je regarde à gauche à travers la vitre, je vois un homme ramper et tendre la main vers quelque chose. Les larmes dévalent mon visage quand je reconnais l’homme : mon père. Je m’approche et pose les mains sur la vitre pour remarquer qu’elles sont ensanglantées. J’observe mes doigts réfléchissant à la provenance de tout ce sang quand un mouvement à l’extérieur attire mon attention. Une ombre apparaît sur le sol. Je tourne ma tête dans sa direction mais coincée dans mon siège je ne vois pas qui approche. J’essaie d’attirer l’attention de mon père mais il a la sienne river sur la personne en face. Je tambourine de toutes mes forces sur la vitre en criant son nom et quand je suis sur le point d’abandonner, il se tourne vers moi et pose enfin ses yeux dans les miens.
Pour la première fois, je lis de la peur dans les yeux de mon père.
J’ai toujours connu mon père fort et inébranlable. Mais à cet instant, allongé sur le trottoir, le visage tuméfié, le regard hagard, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Malgré son état, il m'adresse un sourire confiant. Une nouvelle détonation retentit et puis plus rien.
Je sombre à nouveau dans le noir.
Une douleur vive irradie dans ma nuque quand j'essaie de me redresser. Je n’ai pas besoin de porter la main à ma tête pour savoir que du sang en coule et la texture du liquide poisseux entre mes doigts m’indique que j’en perd depuis un moment. Les lumières des réverbères sur le trottoir sont la seule source d'éclairage dans l'habitacle. Les seuls sons qui me parviennent sont celui du vent qui s’infiltre par le pare-brise en morceaux et celui du moteur du véhicule qui refroidit. Mes poils se dressent en observant cet endroit sinistre. Un mouvement sur ma gauche me pousse à regarder par la fenêtre. Mon père est allongé sur le bitume, la tête striée de sang et tente de me dire quelque chose. Son attention se porte subitement sur quelque chose devant lui et si au premier abord, de la stupeur traverse son regard, il est très vite remplacé par de l’effroi. Je tente vainement de déboucler ma ceinture mais elle reste coincée. Je m’étire de toutes mes forces et parviens à me dégager. Faisant fi de la douleur me lancinant le dos, je me tourne dans la même direction que mon père et mon regard tombe sur — moi.
Une arme chargée se trouve dans ma main et est dirigée sur mon père. Mais ce n’est plus mon père que je découvre au sol. Non, c’est lui. Il est allongé à sa place et d'après le regard qu’il me lance, je comprends que je suis l'auteur de ses blessures. Mes yeux se posent sur mes mains et elles sont couvertes de sang. La stupeur me fait lâcher l’arme et le bruit sec qu’elle produit en rejoignant le bitume retentit dans toute l’allée me provoquant des frissons. Quand je repose mon regard sur mon père, non sur lui, il m’adresse un sourire contrit. Pas à moi avec l’arme entre les mains couvertes de sang mais à moi dans la voiture. A mon tour, mon attention se porte sur elle. La ressemblance est frappante mais ses traits sont juvéniles. Ils ne sont pas aussi durs que les miens et son visage est empreint d’une innocence qui m'écœure. Elle me regarde avec le même effroi que mon père quelques instants plus tôt et dans ces yeux de la même couleur que la mienne, je vois un reflet. C’est le reflet d’une femme dont le ventre arrondi pointe de sa chemise et qui adresse un sourire carnassier à sa parfaite copie avant de presser la détente.
J'émerge de mon sommeil agité et prends petit à petit conscience de l’environnement dans lequel je suis. L’odeur familière des draps frais et la texture soyeuse des coussins sous ma tête me rassurent dans l’idée que je suis à l'abri, chez moi. Les voix graves au loin me sont familières mais ma curiosité me dissuade de leur notifier mon réveil. Et au vu de la conversation houleuse qui se déroule à l’instant entre ces deux hommes, je fais bien de ne pas me remarquer.
— Depuis quand ça dure ? demande l’une d’entre elles, l’inquiétude prenant le pas sur la colère.
Un court silence s’installe et je souris à l’idée du combat interne que l'autre en face doit mener contre sa part taciturne pour se livrer à cette conversation.
— Depuis l’incident, dit-il.
Un juron étouffé me parvient.
— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Elle ne pourra pas tenir comme ça, pas dans son état.
Mon sourire disparaît quand une vision fugace s’interpose sous mes yeux.
— Tu lui diras toi-même quand elle sera réveillée.
— Tu es celui qui partage son lit, bon sang !
De la honte et une sensation de trahison. Voilà ce que je ressens à chaque fois que l’un d’entre eux prononce ces mots ou l’insinue ou encore quand je le lis dans le regard des autres moins téméraires pour l’exprimer.
— Je ne partage pas son lit. Pas plus que tu ne partages la sienne, dit-il d’une voix douloureuse.
Ma poitrine se compresse. C’est la première fois que je l’entends laisser libre cours à ses émotions devant une autre personne que moi, et je prends conscience de comment la situation devait le peser pour qu’il en arrive à se livrer. Même de là où je suis, j’arrive à deviner que le silence qui s’est installé est chargé de reproches.
— Elle évite le sujet, reprend t-il la voix plus maîtrisée. Toutes mes tentatives pour la faire parler se soldent par des échecs et quand j’insiste un peu trop, elle m’envoie des jours en mission, loin d’elle. Maintenant tu sais et tu es son frère. Tu sauras y faire face mieux que moi.
J’en avais assez entendu même si la conversation était terminée à l’écoute de la porte qui claque. Je décide de poser un pied en dehors du lit sachant que je ne pourrai pas éviter la discussion, non la dispute qui allait suivre compte tenu du regard froid et dur qui se pose sur moi à l'instant, me faisant comprendre qu’il sait que je suis réveillé depuis longtemps.
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