Chapitre 7
Nous nous trouvons dans le parking au sous-sol rassemblés autour des deux fourgons sortis pour la mission.
Ricky distribue une oreillette et un gilet par balles muni de munitions supplémentaires à chacune des recrues. A ma hauteur, il me tend une semi-automatique légèrement plus petite que la moyenne et que je devine aussi plus légère.
— J’ai passé commande juste après la dernière mission. Elle est parfaitement ajustée comme la précédente.
Je prends l’arme de ses mains et atteste de l’exactitude de ses propos. Après une rapide vérification du barillet et du cran de sûreté, je la place dans le holster noué autour de ma cuisse. Je vérifie de nouveau celle à ma ceinture et passe un dernier coup d'œil sur les deux poignards et trois petits couteaux répartis un peu partout sur mon pantalon.
— Est-ce que vous m’entendez ? demande Jorys depuis la salle de réunion où il est installé.
Je l’entends et demande à tout le monde de tester la communication. Les derniers ajustements finis, nous sommes prêts à prendre la route. Nous formons un demi-cercle autour des fourgons et je m’avance au milieu. Toutes les têtes convergent vers moi et le silence se fait aussitôt.
— C’est notre toute première mission, commencé-je en parcourant toute l’assistance du regard. Nous n’avons pas eu le temps de nous préparer mais il n’y a pas de raisons pour que cela ne se passe pas comme prévu si vous respectez les consignes. Ne prenez pas de risques inutiles.
Mon regard se pose alors sur Adrian.
— Ne jouez pas aux héros.
Mes yeux se posent sur Luis.
— Tant que nous restons organisé, il ne devrait pas y avoir de problème. Jorys, dis-je à l'attention du concerné, tu es nos yeux et nos oreilles, je compte sur toi. Une heure de route nous attend, je ne sais pas pour vous mais moi j’ai bien l’intention de rentrer dormir en un seul morceau. Tâchons de revenir vivant et surtout avec la marchandise, terminé-je en soutenant chacun leurs regards.
Ricky s’approche et me gratifie d’une tape à l’épaule.
— Vous avez écouté la cheffe, revenons en un seul morceau les gars. Allez on y va.
Nous nous répartissons dans les fourgons et je me retrouve avec Luis, Antonio et Taylor. Dans l’autre se trouvent, Roman, Ricky, Adrian et Kyle.
— Et c’est parti ! entends-je Roman dire dans son oreillette.
Il s’engage dans l’allée et sort du parking. Nous le suivons de prêt.
Cela fait une demi-heure que nous roulons et il reste encore une bonne moitié du chemin. Nous sommes en automne, et les températures fluctuent au gré de leur bon vouloir. Tantôt il fait si chaud que l’on peine à respirer et l’instant d’après, il pleut un déluge. Mais en ce début d’après-midi, la température est plutôt agréable et je m’autorise à baisser la vitre de ma portière afin de laisser filtrer une brise d’air frais. J’observe distraitement le paysage défiler et me rappelle avoir détesté cet endroit dès les premiers instants de notre arrivée. Nous étions à cette époque en plein été et la chaleur était insoutenable. L’air était si chaud qu’il vous brûlait les poumons et le contraste avec les températures basses de l’orphelinat n’a rien amélioré à la situation. Pas que maintenant j’apprécie l’endroit. Que je le veuille ou non, c’est chez moi maintenant et ce malgré tous les efforts que j’y mets pour croire le contraire.
Un raclement de gorge à ma gauche me fait sortir de mes pensées. Je me tourne vers Luis qui me jette des coups d’œil dénués de toute subtilité.
— Tu sais déjà qui tu choisiras n’est-ce pas ?
Je me remets à fixer le paysage à ma droite faisant mine de ne pas comprendre espérant qu’il se taise.
— Je parle du binôme… continue-t-il.
Je pose sur lui un regard bref mais emprunt de beaucoup d’irritation parce qu’il me force à sortir de mon mutisme.
— Je n’ai pas encore choisi, lâchai-je du bout des lèvres.
Il se repositionne dans mon siège, un léger sourire aux lèvres avant de déclarer quelques instants plus tard.
— Alors j’ai mes chances !
Voyant que je ne ferai aucun commentaire, il ajoute sur le même ton enthousiaste.
— Tu devrais me choisir.
— Pourquoi ? fais-je faussement curieuse.
Il se tourne vers moi légèrement offusqué comme si la réponse à ma question était une évidence.
— Je suis le plus fort, le plus rapide et le plus intelligent…
Un rire ne provenant pas de notre fourgon fait écho dans mes oreilles coupant Luis dans sa tiraille et augmentant encore plus mon irritation.
— Arrête de raconter des conneries Luis, dit Roman. Tu vois pas que tu casses les couilles à jacter comme ça ? Le plus fort ? pfff, le plus rapide ? Ça m'étonnerait étant donné que c’est moi. Mais le plus intelligent ? Le plus intelligent ? répète-t-il une seconde fois. Tu trouves pas que t’abuses un peu là ?
Du rétroviseur, je vois Luis se renfrogner dans son siège.
— C’était une conversation privée Roman, déclare t-il d’une voix bourrue.
— Alors tu aurais dû désactiver ton oreillette. Tout le monde t’entend abruti, ça prouve encore une fois à quel point tu es débile.
— De quoi je me mêle connard tu …
— Putin fermez là tous les deux. Vous faites chier ! Tonne à son tour Antonio visiblement plus agacé que moi.
— Mais t’es qui toi déjà pour nous dire de la fermer ? s’offusque Luis en lançant dans le rétroviseur un regard mauvais au concerné.
— Je suis qui moi ? Attends qu’on rentre, je vais te montrer qui je suis.
— Tu penses que tu fais peur à quelqu’un ici ? Tes tatouages de merde et tes pecs au silicone n'impressionnent personne Antonio, laisse-moi te le dire.
— Tais-toi tête de gland, dit Antonio le visage rouge.
— Moi tête de gland ? haha t’as vu ta tête mec ? répond Roman.
Sur ce coup il n’a pas tort. Antonio a la tête rasée et d’une forme ovale. De nous tous, celui qui se rapproche le plus d’une tête de gland, c’est bien lui.
— Ça suffit, interviens-je le ton ferme. Le prochain qui l’ouvre, je vous promets, aura une retenue de salaire.
Un hoquet d’indignation me parvient sur ma droite. Je me tourne vers Luis, le défiant du regard de prononcer un mot de plus. Mal à l’aise, il gigote sur son siège et me dévisage étrangement. Puis, il mime l’action de sceller ses lèvres, tend la main par la fenêtre pour jeter quelque chose et reporte son attention sur la route. Je me retiens de lever les yeux au ciel et retourne observer le paysage. Une chose est certaine, avec lui, je ne risque pas de m'ennuyer.
Le silence revient et nous roulons sans perturbations pendant une quinzaine de minutes lorsque Ricky annonce.
— Tenez-vous prêt, nous arrivons.
Moins de deux minutes plus tard, les fourgons ralentissent et finissent par s'arrêter l’une derrière l’autre devant un grand portail. Je fais abstraction de la sensation qui me noue les entrailles et me concentre sur les gardes à l’entrée. Comme prévu, ils sont quatre, tous vêtus d'une combinaison treillis noire identique et tenant en mains des fusils AK-47. Répartis en duo de chaque côté du portail, deux se tiennent debout devant la barrière tandis que les deux autres sont assis dans la petite cabine en retrait. L’un d’eux s’avance tandis que l’autre contourne nos deux fourgons. Celui qui se dirige vers Roman est grand et trapu, tandis que celui qui inspecte actuellement notre véhicule est plus mince mais possède un regard plus affûté.
— Code ! exige le garde à Roman.
De là où je suis, j’arrive à apercevoir l'échange entre les deux hommes. Roman dicte le code reçu sur sa tablette, fourni par Jorys, et le garde le valide sur une autre tablette dans sa main. Une fois terminé, il lève un regard intrigué vers Roman.
— Je ne t’ai jamais vu, déclare t-il.
— A ce que je sache tu ne gères pas les recrutements, répond Roman le ton sec.
Le garde ignore sa réponse et se penche en avant. Il fixe l’intérieur du véhicule.
— Toi non plus je ne t’ai jamais vu, dit-il à l’adresse de Ricky.
Pendant un laps de temps, je retiens mon souffle puis Ricky répond sur un ton calme et posé.
— Nous faisons partie de la nouvelle équipe de livraison.
Le garde se redresse et observe tour à tour Roman et Ricky. Il s’adresse dans son talkie-walkie à ses collègues et reprend.
— Nous n'avons pas été prévenu d’un quelconque changement.
— Moi non plus, on ne m’informe pas de tout, dit Roman. Si t’as des doutes, t’as qu’à appeler le chef pour vérifier.
— A quoi tu joues ? murmure Kyle.
— Jorys ? appelé-je.
— Oui Catelyn, je suis dessus. Je peux rediriger l'appel vers uniquement le téléphone cloné.
— Ça ne suffira pas. Il faut qu’il décroche et confirme, intervient Ricky.
— Tu vois dans quelle merde tu nous mets, Roman ? C’est qui le plus débile de nous deux maintenant, fait Luis.
Le garde se dirige vers son collègue dans la cabine, et ils échangent quelques mots.
— Ils disent quoi Jorys ? demandé-je
— Ils se demandent si oui ou non ils doivent appeler Sanchez ou nous refuser l’accès.
— Putin, jure Antonio.
— Attendez, s’exclame Jorys. J’ai une idée. Je peux prendre un échantillon de la voix de Sanchez et le mettre dans une IA pour lui faire dire tout ce qu’on veut. Mais il me faut quelques minutes.
— Roman et Ricky, faites-nous gagner du temps, dis-je. Jorys fait de ton mieux mais on n’a pas quelques minutes.
Ils ont finalement décidé d’appeler Sanchez parce que le garde sort un téléphone et compose un numéro. Il raccroche et consulte à nouveau son collègue.
— Il ne décroche pas. Dit-il en revenant vers le fourgon. Sans sa confirmation je ne peux pas vous laisser entrer.
— Sais-tu à quel point cette livraison est importante ? Tu vas nous refuser l’accès et nous faire retaper des heures de route pour rien juste parce que tu ne connais pas nos foutus visages ? Le code est bon mec, tu as vu nos noms et nos identités sur ta putain de liste, laisses nous entrer mec. Rappelle, insiste Roman.
Les paroles de Roman font mouche auprès du garde, son regard devient hésitant. S'il nous renvoie et qu’il s'avère s'être trompé, il le paiera assez cher.
— Jorys tu en es où ?
— Encore quelques secondes Catelyn.
Le garde appelle de nouveau.
— Il ne décroche toujours pas.
— Jamais deux sans trois, essaie une dernière fois mon pote, je tiens à ce boulot mec et je pense que toi aussi.
— C’est bon, crie Jorys dans nos oreillettes m’arrachant une grimace. C’est bon c’est fait, dit-il plus calmement. Qu’il rappelle.
— Convainc le de rappeler une dernière fois, Roman.
— Allez mon pote, la troisième sera la bonne. Imagine une seconde, qu’il était aux chiottes.
Le garde se décide et appelle une dernière fois. Son visage se décompose au fur et à mesure que l’appel se prolonge et je me demande ce que le faux Sanchez est en train de dire au pauvre homme.
— C’est bon ouvrez la barrière et laissez-les passer, dit-il aux gardes dans la cabine.
— Bien jouez Jorys. Dis-je. Toi aussi Roman.
Le soleil est couché lorsque nous arrivons et la pénombre deviendra incontestablement notre alliée dans les prochaines minutes. En descendant du fourgon, j’ai Ricky et Roman en visuel à quelques mètres devant moi et Luis de l’autre côté du fourgon.
— Il y a un garde à trois heures au-dessus des conteneurs, lancé-je sur le ton de la conversation en me tournant légèrement vers Ricky.
— J’en vois deux à six heures derrière toi, me dit-il en captant mon regard. Un avec une jumelle et l'autre allongé avec un M16 fixé droit sur toi Luis.
Un mouvement paniqué attire mon attention vers le concerné.
— Comment ça fixé sur moi ?
— Calme toi et reste naturel, dit Roman.
— Me calmer ? j’ai une arme pointée sur ma tête et vous voulez que je reste naturel ? ça me rassure pas du tout les gars …
— Arrête de chipoter. Tu n’es pas le seul sur qui une arme est dirigée. Ce n’est rien d’inhabituel, ils passeront à autre chose dès qu’ils constateront qu’il n’y a rien de suspect, fais-je toujours sur le ton de la conversation.
— Catelyn tu as raison, confirme Roman. Un autre à quatre heures, son arme est dirigée sur toi.
— Il faut localiser les six autres. Jorys, à quand remonte le dernier briefing ?
— A cinq minutes.
— Nous avons donc cinq minutes pour les trouver et dix autres ensuite pour les éliminer. Tu as trouvé l’emplacement des conteneurs, Jorys ?
— Non pas encore, le signal est trop faible. Il faut se déplacer et couvrir le périmètre.
— Ricky ? appelé-je
— Je suis déjà en mouvement.
— Roman viens avec moi. Il faut qu’on trouve les autres gardes. Luis toi tu restes là.
— Pourquoi moi ?
— Fais ce que je te dis. Les autres, notez les emplacements des gardes et tenez-vous prêts.
— On se sépare, je vais à droite, dis-je à Roman.
L'entrepôt est grand et s'étend sur presque un demi kilomètre. Je viens de compter douze rangées de deux conteneurs superposés, chacun allant jusqu’à trois mètres de haut sur deux de large quand j'aperçois un garde. Il est armé d’un M16, le même que ceux à l’entrée. Il tourne la tête dans ma direction mais avant qu’il ne me remarque, je me mets en retrait derrière un conteneur.
— Je viens d'en repérer un dans la douzième rangée à droite, murmuré-je.
— Vingtième rangée du milieu. Il y a en a deux. Dit Ricky
Je sors discrètement ma tête et observe à nouveau le garde. Il se tient cette fois-ci de profil, son regard tourné dans le sens opposé. Je saisis l’occasion et cours me réfugier dans la rangée suivante sans qu'il ne me voit.
— Merde, s’écrie Roman.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demandé-je en entendant des pas approcher.
— Tu fous quoi ici toi ? résonne une voix très nasillarde que je ne reconnais pas.
— Roman tu es où ? dis-je à l’attention du concerné tout en continuant d’avancer.
Même si la pénombre joue en notre faveur, nous devons être très vigilant et surtout nous méfier des gardes se trouvant en hauteur. Le succès de notre mission repose sur notre efficacité pendant les prochaines minutes.
— Hey mon pote. Je suis là pour la livraison, réponds Roman et je comprends aussitôt qu’il est face à un garde.
Un juron m'échappe ce qui attire l’attention du garde à une rangée de moi. Je reviens rapidement sur mes pas et me cache derrière un conteneur.
— T’es bouché ou quoi ? j’ai dit tu fous quoi ici ?
— Dis lui que tu cherches de quoi décharger les caisses, dis-je en serrant les dents pour ne pas me faire entendre du garde qui a décidé de venir fouiner dans ma direction.
J’écoute Roman répéter comme un perroquet mes mots. Au même moment, je fais rapidement le tour de la rangée dans laquelle je me trouve pour échapper à ce garde.
— En plus d'être sourd, t’es aveugle ? Il y a un hangar juste à côté de l'entrée. Maintenant dégage.
— Ouais ouais, pas besoin d'être désagréable mec. Je retourne à l’entrée.
Cette dernière phrase, je comprends qu’elle est adressée plus à nous qu’au garde en face de lui.
Je finis par semer le garde à mes trousses mais me retrouve bloqué ensuite.
— Désolé les gars, j’ai été découvert. Je ne peux plus avancer Catelyn, je retourne aux fourgons. La rangée vingt-cinq à gauche.
— Ce n’est pas grave Roman. Moi non plus je ne peux plus avancer sans me faire repérer.
— C’est bon Ricky ! crie de nouveau Jorys, me faisant légèrement sursauter. Je viens de localiser les deux conteneurs. Ils sont à l'avant-dernière rangée à gauche de là où tu te trouves, les deux conteneurs superposés. Et Catelyn, votre temps est écoulé, ils viennent de faire le débriefing.
— Nous n’avons pas encore localisé le dernier garde dis-je en activant le décompte de dix minutes sur la montre à mon poignet.
— C’est fait, répond la voix basse de Ricky. Il est mort.
C’est tout Ricky ça. Il ne s'étend jamais en bavardage inutile et agit comme un vrai soldat : exécution avant réclamation.
— C’est parti les gars et n’utilisez pas vos armes à feu. Ils ne doivent surtout pas donner l’alerte.
Le garde que j’ai en visuel a changé de position et est maintenant debout sur l’un des conteneurs une cigarette à la main, son arme dans l’autre. Je sors de ma cachette et fais le tour de l’installation à la recherche de l'échelle accrochée. Une fois trouvée, je monte sans aucun bruit. Il ne m'entend pas arriver derrière et tire une longue fumée sur sa cigarette. J’avance lentement vers lui et m'arrête à un cheveu de sa nuque. Il n’est pas très grand, nous faisons presque la même taille. De mon indexe, je tapote son dos large et il sursaute en se tournant vers moi. Mais avant qu’il ne comprenne ce qui lui arrive, je lui fais une clé de jambe et nous tombons tous les deux, dans un bruit sourd, sur la surface du conteneur.
— Un de moins, entends-je Luis s'esclaffer euphorique. Grosse merde !
Rapidement je prends le contrôle et me retrouve à califourchon au-dessus du garde. Il lui faut quelque secondes pour comprendre ce qui est en train de se passer. L’instant de surprise passé, il essaye de me repousser en me donnant un coup bien senti dans les côtes. Étant fine et pas particulièrement musclée, ma force est quasiment tout le temps sous-estimée et c’est là, l’erreur à ne pas commettre. Je fais mine de paraître touchée, ce qui lui fait croire qu’il a l’avantage. Il profite pour me faire basculer sur le dos et se retrouve à califourchon sur moi. Il me dévisage, un sourire sadique aux lèvres me promettant mille et une douleurs. Je lui rends son sourire et d’une manœuvre habile apprise d’un maître de Kung Fu, je le renverse. Il se retrouve allongé, la tête coincée entre mes cuisses et immobilisée par une clé de bras. Je le maintiens dans cette position sans possibilité de s’en dégager. Il essaie mais échoue. Le sang se retire petit à petit de son visage. Il ne tiendra plus longtemps mais ce temps me paraît trop long. Alors, maintenant la pression sur son cou, d’un geste rapide, je tends ma main libre vers ma botte et retire le couteau à l’intérieur et le lui plante dans la jugulaire. Son corps est pris de soubresauts avant de se détendre. Lentement, la pression exercée sur mes jambes se relâche. Je dégage son corps sans vie du mien et prends une profonde inspiration.
— Un de moins. Dis-je simultanément avec Taylor.
Je me relève et fais un tour sur moi même afin d’avoir une vue d’ensemble de l'entrepôt. A mi parcours, je tombe sur un garde à quatre rangées devant moi qui me regarde hébété. Il ne perd pas de temps et dégaine son arme. Je m’allonge immédiatement à plat ventre sur le conteneur pour éviter la balle et rampe pour descendre mais je n’entends aucun coup de feu. Intriguée, je relève doucement la tête dans sa direction et le trouve à genoux, Adrian au-dessus de sa tête.
— Un de moins, dit-il en me fixant.
Il a le regard sombre et l’air dangereux. Un combo incroyablement sexy. Je sens une chaleur naître dans mon bas ventre et me réchauffer les joues.
— Un de moins, dit Roman.
Son intervention rompt notre contact visuel.
— Il n’a rien vu venir cet abruti. Ça t'apprendra à mal me parler connard, continue t-il.
— C’est quoi le compte ? Demande Ricky.
— Il en reste quatre, répond Adrian
— Non trois. J’en ai eu un aussi, intervient Antonio.
Je me lève et repère un garde dans l'allée à trois rangées dos à moi. Je descends du conteneur et cours dans sa direction. A sa hauteur, je ralentis et me cache derrière un conteneur au même moment où il tourne la tête dans ma direction. Je compte quelques secondes avant de sortir. Pas de bol, je me retrouve nez à nez avec lui. Il est immense et son ombre m’engloutit. Un juron m’échappe tandis qu'un sourire carnassier étire ses lèvres. Il va être compliqué à tuer celui-là. Nos regards se croisent au moment où il tend la main vers le talkie-walkie accroché à sa ceinture sans nul doute dans l’intention de donner l’alerte. Le couteau dans ma main atterrit sur le dos de la sienne et lui fait lâcher l’appareil. Dans le regard qu’il me lance, je comprends l’avoir définitivement énervé. De ses deux mètres de long, il s'élance vers moi et je n’attends pas qu’on me le dise, pour en faire de même. A sa hauteur, je glisse entre ses jambes et récupère l’arme fixée à sa cheville. Je me relève promptement et pointe l’arme dans sa direction. Il se retourne le regard hagard et d’un geste dicté par le réflexe, il lève les mains en l’air. Je fais semblant d’appuyer sur la détente ce qui le fait sursauter mais contre toute attente, je vide le chargeur avant de jeter l’arme par terre, à côté de moi.
— Salle petite garce, dit-il en colère.
Je lui réponds par un petit sourire aguicheur et un doigt d’honneur. S’il n’était pas furieux, maintenant il l’est. Il se jette sur moi et me frappe dans le ventre. N’ayant pas pu l’éviter, j’encaisse le coup et retiens un gémissement de douleur. Putin, ça fait un mal de chien.
Il relève ma tête et me tient par la gorge. Sa grosse main entoure toute la circonférence de mon cou. Il me soulève du sol et je me débat de toutes mes forces dans les airs pour le faire lâcher prise en vain. Je lui donne des coups de pieds mais ils lui sont indifférents. Il est trop massif. Je manque peu à peu d’air et mes coups baissent en vigueur. Mes pieds flottent dans le vide, n'ayant plus de force dans les jambes. Je me suis attaquée à la mauvaise personne. Un élan de colère me traverse en réalisant que je vais mourir dans les mains d’une brute pareille.
Tout à coup, sans rien voir venir, il me lâche et je tombe par terre. Je reprends bruyamment ma respiration et observe le géant perdre son équilibre et tomber à genoux révélant derrière lui, Adrian.
Il vient de me sauver la vie pour la deuxième fois, en moins de cinq minutes.
Il jette un coup d'œil inquiet dans ma direction et je monte mon pouce en l’air lui signifiant que je vais bien. Le garde encore sur ses genoux remarque mon geste et se tourne pour découvrir à qui je m’adresse. Ce fut là son dernier geste. Adrian prend sa tête entre ses larges mains et fait craquer son cou. Il tombe au sol dans un bruit sourd soulevant la poussière.
Adrian me tend la main et m’aide à me lever.
— Tu vas bien ? fait-il les sourcils froncés.
— J’ai la gorge en feu, réponds-je la voix rauque.
— C’est normal. Ça va passer.
Il prend mon menton entre ses doigts et à son touché je sens mon souffle s’apaiser et les battements de mon cœur reprendre précipitamment, mais cette fois, pour une toute autre raison. Il tourne délicatement ma tête et observe mon cou sous plusieurs angles. Sa mine est sombre et le regard qu'il porte sur l'homme au sol me donne l’impression qu’il regrette de l'avoir tué aussi rapidement.
Une autre facette de sa personnalité que je découvre. Je ne mentirai pas, cela me donne des fourmillements dans le ventre.
Étrangement, comme mu par une habitude, je pose ma main sur sa poitrine et il se tourne vers moi. L’aura sombre qui l’entoure disparaît et il se détend. Il me fixe, le regard incandescent.
— Un de moins.
La voix de Ricky résonne dans nos oreilles et nous sort de notre bulle. Je recule de quelques pas légèrement confuse.
— Et le dernier pour moi, dit Kyle.
Je regarde le décompte sur ma montre et voit qu’il nous reste une minute avant le prochain débriefing.
— Ricky et Adrian vous savez quoi faire, dis-je à leur attention d’une voix plus maîtrisée.
Je lance un dernier coup d'œil à Adrian avant de le laisser rejoindre Ricky à l’entrée.
— Luis et Roman, amenez les fourgons à l'arrière. Le reste rejoignez moi au fond de l'entrepôt, nous allons charger les armes.
Nous consacrons les prochaines minutes à charger les armes dans les fourgons. On s'apprête à prendre la route quand Jorys déclare d’une voix affolée.
— Merde, il y’a trois fourgons qui arrivent.
— Quoi ? Comment ça trois fourgons ? s’exclame Luis à côté de moi.
— La vraie livraison. Ils sont en avance, observé-je d’une voix calme qui cache ma nervosité.
— On fait quoi Cheffe ? demande Kyle en se tournant vers moi.
— On improvise. Ils seront là dans combien de temps Jorys ?
— Moins d’une minute…
— On ne peut plus partir. Combien sont-ils ?
— Six, deux dans chaque fourgon.
— Ricky ?
— Nous avons pris de la hauteur avec Adrian. Nous avons les fourgons en vue.
— Abattez-les, s’agite Antonio.
— Les fourgons sont blindés abrutis, ça ne servira à rien, dit Roman.
Du coin de l'œil, je vois Antonio s’approcher dangereusement de Roman qui recule les mains en l’air. Il a raison, il y a quelques mois, suite à une attaque sur ses convois, Sanchez a renforcé toutes ses équipes et son matériel.
— Ils ont brisé la barrière, dit Adrian
— On ne peut pas sortir sans les éliminer. Ils ont bloqué la sortie, renchérit Ricky.
Je contourne Luis et me dirige à l'arrière du fourgon pour récupérer une sacoche contenant cinq grenades. Je ne pensais pas que nous en aurions besoin.
— Il faut se rapprocher, dis-je. Vous savez vous en servir ? demandé-je en montrant les grenades à Kyle et Antonio.
Seul Kyle hoche la tête. Je lui remets donc deux.
— Luis et Roman vous restez près des fourgons. A mon signal vous nous rejoignez. Kyle et Antonio, vous partez à droite. Taylor, tu viens avec moi.
Nous longeons les rangées vers la sortie et à vingt mètres des nouveaux arrivants, nous nous cachons derrière des conteneurs en ayant une vue directe sur les fourgons à l’entrée. J’ai derrière moi Taylor et en face de nous dans l’allée opposée Kyle et Antonio.
— Ils foutent quoi ? Pourquoi ne sortent-ils pas ? demande Kyle.
— Ils attendent les renforts, répond Jorys.
— Forçons les à sortir. Cette mission commence à me faire chier, m'exclamé-je.
Je me tourne vers Kyle et lui fais signe de la tête. On dégoupille simultanément nos grenades. Il lance la sienne sous le premier camion et je lance la mienne sous le second. J’en prend une autre des mains de Taylor que je jette sous le troisième.
— Mettez-vous à couvert, crié-je.
Après quelques secondes, nous entendons une détonation suivit de deux autres. Je sors la tête de notre cachette pour constater les dégâts. Les fourgons sont renversés mais je ne vois nul part les gardes. La fumée me cache la vue. Je me remets dans ma position et c’est alors que je vois Kyle sortir à son tour sa tête. D’un mouvement vif il se dégage et au même moment j’entends un coup de feu retentir suivi de plusieurs. J’ai maintenant ma réponse.
— Putin, on est repéré, s’exclame Kyle.
— Ricky et Adrian, vous avez un angle de tir ?
— Non. Ils se cachent derrière les fourgons, répond Ricky.
— J’en compte cinq, je ne sais pas où est passé le dernier, affirme Adrian.
— On les encercle, dis-je.
Je recharge mon arme et voyant l’allée dégagée, je m’avance rapidement, ratant de près une balle au-dessus de mon épaule. Les tirs pleuvent de chaque côté. En sortant de ma cachette je tombe nez à nez avec un garde que j’arrive à désarmer.
— Ça a fortement un goût de répétition là non ! marmonné-je.
Rapidement, il reprend contenance et à son tour il jette mon flingue très loin. S'ensuit un combat au corps à corps que je remporte. Je contourne le corps à mes pieds et je repère Antonio qui est en sévère détresse. Un des gardes exerce une pression sur son cou, tous deux allongés au sol et ayant le même gabarit. Antonio se débat mais je vois ses forces l’abandonner. Je cherche désespérément un angle de tir mais je ne peux rien tenter sans risquer de blesser Antonio. J’essaye d’avancer dans leur direction mais une nouvelle balle m'effleure l’oreille me faisant rebrousser chemin.
— On va perdre Antonio, dis-je précipitamment dans mon oreillette. Je n’ai pas d’angle de tirs.
— Quelle est sa position ? demande Kyle
Je lève la tête, le cherchant du regard. Je l'aperçois en hauteur à environ cinquante mètres de moi.
— A dix heures de ta position actuelle.
Une fraction de seconde plus tard, j’entends Kyle jurer.
— Le fils de pute. Il l’utilise comme bouclier, dit-il me confirmant l’avoir bien repéré. Tiens encore quelques secondes Antonio, je vais te sortir de là.
— Tu es trop loin…
C’est à la réponse de Kyle, que je me rends compte avoir exprimé mon inquiétude à voix haute.
— Fais-moi confiance, je rate rarement une cible.
Kyle à l’air très confiant mais il n’en demeure pas moins qu’il est très éloigné d’Antonio. Il se trouve à environ deux-cent mètres et il tient en main, une arme pas du tout adaptée pour un tir à cette distance. J'appréhende la suite. Et en voyant l’état d’Antonio, il va bientôt y passer. Si Kyle rate sa cible, Antonio meurt et s’il ne tire pas, le résultat reviendrait au même.
Je ne veux perdre aucun de mes hommes.
Je regarde Kyle se repositionner nonchalamment sur le toit du conteneur et ajuster son arme. Je me tourne vers Antonio, mon arme dirigée dans sa direction prête pour ce qui va suivre. J’entends Kyle décompter dans mon oreillette.
— Trois, deux, … zéro.
Et le coup partit.
— Ils sont tombés. Je n’ai plus de visuel, annonce Kyle.
— Couvre-moi.
Je cours vers Antonio et évite les balles grâce à Kyle qui me couvre de sa position. Quand j’arrive, les deux hommes sont allongés inconscients, l’un sur l’autre. Mon ventre est noué. Au premier coup d'œil, je n'arrive pas à déterminer si Antonio est vivant. Je m’approche méfiante et dégage la main du garde. C’est alors que je remarque la balle logée dans son front. Il est mort. Je soupire de soulagement et me précipite vers Antonio. Je ne vois aucune perforation sur son corps pouvant faire écho à celle d’une balle. Je vérifie son pouls. Il est très faible mais présent. Je décide alors de lui faire du bouche-à-bouche pour lui insuffler un peu plus d’oxygène quand je vois du coin de l’œil Taylor accourir dans ma direction. Il s'arrête brusquement et regarde derrière moi le visage fermé. J’ai à peine cligné des yeux qu’il retire un poignard de sa botte qu’il lance avec une précision inégalée au-dessus de mon épaule. Antonio se met à toussoter et je soupire à nouveau de soulagement. Je m’éloigne pour lui donner de l’espace. Je me retourne pour voir derrière moi le dernier garde convulser, une main ensanglantée serrant le poignard que Taylor lui a lancé en pleine gorge.
PS : Merci à tous ceux qui lisent et likent mon histoire. J’essaie d’être régulière et de publier un chapitre chaque vendredi. Vous en pensez quoi jusqu’ici ? Vos retours me feront super plaisir, alors n’hésitez pas ! xoxo
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