Chapitre 16

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On frappe à la porte, le coup est léger.

La matinée est déjà bien avancée, lorsque je me lève du lit et sors de la chambre les pas traînants, peu enthousiaste d’affronter la journée. Pour je ne sais quelles raisons, je suis d’humeur maussade. Plusieurs heures que je suis réveillée, et toujours aucune envie de m’activer.

Un coup plus fort retentit et la porte s’ouvre au moment où j’atteins le séjour. Je ne me retourne pas. Inutile : c’est Ricky. Je passe simplement mon chemin et vais vers la cuisine, sans un mot.

J’ai besoin de café, Dieu seul sait à quel point. J’ouvre le premier placard : vide. Un long juron m’échappe. Je me hisse sur la pointe des pieds, tends le bras vers l’étagère du haut et plonge la tête dans le second placard.

C’est alors que je remarque le silence, trop pesant pour être anodin.

— La vue te plaît ? Continue comme ça et je balance à Katherine que tu reluques mon cul…

Je referme le placard et me tourne vers Ricky, un sourire en coin.

Sauf que ce n’est pas Ricky.

Une exclamation étouffée m’échappe en découvrant Adrian, planté là, immobile.

Il me fixe avec une telle intensité que je peine à soutenir son regard. Ses yeux glissent lentement sur moi, explorant chaque parcelle de peau comme s’il cherchait à graver chaque détail dans sa mémoire.

Un frisson me parcourt, et c’est seulement à cet instant que je prends conscience de ma quasi-nudité.

Je ne porte qu’une brassière à balconnet, qui, soit dit en passant, met outrageusement en valeur ma poitrine, et un tanga. Sans trop savoir pourquoi, ma main se pose sur ma poitrine, comme pour en masquer la vue.

Adrian sort aussitôt de sa torpeur, comme s’il revenait brutalement à la réalité. Il cligne des yeux, le regard trouble. Puis lentement, il détourne les yeux et me tourne le dos.

— Pardonne-moi, dit-il en s’éclaircissant la voix. Je ne pensais pas te trouver… Je croyais que tu dormais encore.

Je me dandine sur mes pieds, mal à l’aise. Chose assez inhabituelle.

— Je m’attendais à voir Ricky, murmuré-je presque. C’est le seul à entrer ici et il m’a déjà vu un nombre incalculable de fois en…

Les épaules d’Adrian se crispent. À peine, mais suffisamment pour que je le remarque. Je me tais aussitôt.

Sans un mot de plus, je me détourne et me dirige vers la salle de bain. Quelques minutes plus tard, propre et entièrement vêtue, je reviens dans la pièce.

Adrian est accoudé au plan de travail. Il m’adresse un sourire fin lorsque je m’approche.

— Je n’aurais pas dû entrer sans ta permission, s’excuse-t-il encore une fois.

Il avance d’un pas et s’arrête à quelques centimètres de moi.

— Ce n’est rien, dis-je le regard fixé dans le sien.

Il lève la main, hésitant, puis suspend son geste à quelques centimètres de mon visage. Sans attendre, je comble la distance et dépose ma joue dans le creux de sa paume. Une douce chaleur m’enveloppe, je laisse échapper un soupir d’aise. Sa main couvre presque tout mon visage, ses doigts glissent lentement dans mes cheveux. Instinctivement, je ferme les yeux, savourant son toucher et inspirant profondément cette odeur familière, à la recherche de la subtile note de vanille qui l’accompagne toujours.

Quand je relève la tête, son regard est tendre, presque solennel. L’émotion qui y brûle me serre la poitrine, et j’y lis un aveu que je refuse d’entendre.

— Ne fais pas ça…

Ma voix se perd en un murmure, presque inaudible, suppliant.

Le sang pulse violemment dans mes veines, mon cœur cogne contre ma poitrine. Adrian se penche lentement, posant son front contre le mien. Mes mains glissent sur ses épaules, épousant la fermeté de ses muscles sous mes paumes. Ses lèvres s’entrouvrent, son souffle chaud caresse mon visage.

Je secoue la tête, refusant d’entendre ce qu’il s’apprête à dire. Je ne suis pas prête à franchir cette ligne. Je veux rester dans l’ignorance, même si, au fond, je sais.

— Ne fais pas ça, Adrian… murmuré-je, chaque mot plus faible que le précédent.

— Catelyn… souffle-t-il à son tour.

Je tente de me dégager, mais son bras, ferme et résolu, m’emprisonne contre lui.

Je connais déjà l’issue de cette histoire, bien avant qu’elle ne commence, et je refuse de céder.

Je refuse de…

— Chacune de mes pensées tourne autour de toi, murmure-t-il.

Mon corps se fige. Je cesse aussitôt de le repousser et plonge mes yeux dans les siens, incapable de détourner le regard. Ma résolution vacille, puis s’effondre lentement, disparaissant comme si elle n’avait jamais existé.

Me voilà suspendue à ses lèvres, avide d’entendre la suite.

— Je te crois quand tu dis que c’est dangereux, mais vois-tu, je ne les contrôle plus. C’est la première fois qu’ils sont tous les deux unanimes sur un sujet, dit-il pressant un doigt contre sa tempe, puis contre son cœur.

— Adrian… soufflé-je.

Son pouce se pose délicatement sur mes lèvres, étouffant le reste de ma phrase.

— Écoute-moi, s’il te plaît. Laisse-moi finir.

Son regard est suppliant, le mien chargé de doutes. C’est le moment d’arrêter, tant que j’en ai encore la force. Pourtant, au lieu de fuir, j’acquiesce doucement et le laisse poursuivre.

— Je m’efforce de détourner les yeux quand tu es près de moi, de peur que l’intensité de mon regard ne me trahisse, que cela te mette en danger, ou que tu me prennes pour un obsédé. Mais c’est inutile. Je le suis déjà. Tu as réussi à t’ancrer en moi, dans chaque cellule de mon corps. Et le pire, c’est que ça me paraît normal.

Il laisse échapper un rire sans joie.

— Tu es un paradoxe vivant, Catelyn. Un mélange de contradictions que je n’arrive pas encore à saisir. Et pourtant… malgré moi, je me surprends à les apprécier. À les respecter, même si elles me laissent sans réponses.

Une larme glisse sur ma joue. Il la sèche d’un geste tendre, presque instinctif. Mon cœur s’emballe, brouillant mes pensées.

— Tu me connais à peine…

— Peut-être. Mais en ces quelques jours, j’ai entrevu qui tu es vraiment. Tu caches tes sentiments, mais je vois la lutte que tu mènes pour ceux que tu aimes. Ta force, ta détermination. Tu es brillante, indomptable. Quand tu veux quelque chose, rien ne peut t’arrêter.

— Arrête, dis-je dans un souffle.

— La première fois que je t’ai vu, ça m’a semblé une évidence, comme la réponse à une question que je cherchais sans savoir.

— Adrian, s’il te plaît…

— Il y a encore beaucoup de zones d’ombre, mais je n’ai pas peur de ce que je découvrirai. Ce dont je suis sûr, c’est que c’est toi que je veux, Catelyn. Je n’ai pas besoin de réfléchir plus que de raison, ni d’attendre des semaines, des mois ou des années pour le comprendre. C’est toi que je veux, et c’est la seule vérité que le temps ne pourra jamais remettre en question.

— Ça suffit ! hurlai-je, m’arrachant à son étreinte.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu de paroles aussi belles et sincères. Elles s’insinuent en moi, envahissant chaque recoin de ma peau, chaque cellule de mon corps, et si je ne fais rien pour les arrêter, elles risquent de m’emporter.

Adrian ravive en moi des émotions que je croyais éteintes pour toujours. Il fait battre mon cœur à un rythme insoutenable. Je n’ai qu’une envie : me jeter dans ses bras et y rester pour toujours.

Mais Adrian est un inconscient. Il se laisse aveugler par ses émotions sans mesurer l’ampleur de ce qui l’attend.

Tous ceux que j’aime me sont arrachés, d’une manière ou d’une autre. Et je refuse d’être témoin de ça encore une fois. Seuls les imbéciles répètent les mêmes erreurs en espérant un résultat différent. Je ne suis pas de ceux-là.

J’ai peur… peur de ce que je deviendrais si je devais, une fois encore, affronter une perte. Sans compter que je n’ai ni le temps ni le luxe de me laisser distraire.

J’essuie les larmes qui coulent sur mes joues et me tourne brusquement vers lui.

— Je t’interdis de dire des telles choses.

Ma voix sonne plus tranchante dans ma tête, mais à l’extérieur, elle ressemble à une supplication.

Il fait un pas vers moi, je recule. Un autre pas, je recule encore, lui lançant un regard si noir qu’il s’arrête net. Sur nos visages respectifs, une détermination farouche se lit.

— Je ne partage pas tes sentiments.

Cette fois, ma voix est ferme.

Mais le regard qu’Adrian me lance me fait comprendre qu’il n’en croit pas un mot.

— Et je t’interdis de prononcer un mot de plus dans ce sens.

— Pourquoi ? me répond-il.

— Parce que ça finira…

— Non. Pourquoi es-tu encore là, Catelyn ?

Je le fixe, déconcertée.

— De qui as-tu peur qu’il s’en prenne ?

Sandra !

Il la vendra comme esclave au plus offrant. Il tuera quiconque osera m’aider, m’empêchant de faire quoi que ce soit pour la sauver. Il me gardera en vie, à peine, juste pour observer ce qu’il adviendra d’elle. Et je serai incapable de me donner la mort.

C’est ce qu’il m’a promis. C’est ce dont j’ai peur. C’est ce qui me retient ici. C’est ce dont il est capable.

C’est ce que je n’ose pas avouer.

Adrian me fixe intensément, ses yeux brûlants semblent vouloir me transmettre un message, un encouragement à parler.

Et pendant un instant, je vacille.

Ses yeux sont comme une main tendue, m’invitant à lui accorder ma confiance. Et une part de moi voudrait se laisser aller, parler librement, sans craindre les conséquences.

J’ai trop souvent senti mon corps étouffé sous le poids des secrets.

Mais la raison me revient brusquement. Même s’il ne me trahit pas, il voudra m’aider. Et je refuse de partager ce fardeau. Il deviendrait une cible, exposé aux dangers à cause de moi.

— Ça ne te regarde pas, lâché-je enfin. Et tu n’as aucun droit d’exiger des explications.

Sa mâchoire tressaute, mais il ne me pousse pas à parler. Il se contente d’hocher la tête.

Sa réaction me surprend, et je ressens une pointe de déception. Je m’attendais à ce qu’il me contredise, qu’il insiste autrement, mais il semble accepter la situation bien plus vite que je ne l’imaginais.

Tant mieux. Ça m’évite de devoir me justifier davantage.

Il passe une main dans ses cheveux, puis effleure son visage. En un instant, il reprend le contrôle de ses émotions.

— Je n’exige rien, et je comprends ta position. J’aurais juste aimé que tu me fasses confiance. Tu peux me parler librement, sans craindre aucune conséquence. Je n’ai pas l’intention de t’abandonner, de disparaître, ni même de mourir. Je serai toujours là pour toi.

Mes yeux, ces traîtres, se remplissent de larmes que je chasse précipitamment.

— Tu n’en sais rien. Ne fais pas de promesses que tu ne peux pas tenir. Tu n’as aucune emprise sur la mort.

Ses lèvres s’ouvrent plusieurs fois, comme pour parler, mais aucun mot ne s’échappe. Dans le silence qui nous enveloppe, nous nous fixons intensément, face à face. L’air est chargé de non-dits, de tout ce qui ne pourra jamais être.

Ses yeux portent une douleur familière, que je partage, mais aussi une détermination presque absurde. Un simple pas nous sépare, et pourtant cette distance, aussi mince soit-elle, est plus vaste que n’importe quelle mer. Elle est faite de tout ce qui me retient, de toutes les peurs et risques que je refuse de prendre.

— Que voulais-tu en arrivant ? dis-je, brisant le silence.

Quelques secondes s’étirent avant qu’il ne réponde.

— J’ai reconnu le blason de ceux qui nous ont attaqués hier.

Je prends une profonde inspiration.

— Bien. Dis-le à Jorys, qu’il commence les recherches.

Adrian hoche la tête et se dirige vers la porte derrière moi. Il m’effleure en passant, et un frisson me parcourt. Sa main se pose sur le poignet, mais je l’arrête.

— Adrian...

Il s’immobilise, se tourne vers moi, un soupçon d’espoir dans les yeux.

— Ne rentre plus sans que je t’aie explicitement donné mon autorisation.

Ses épaules se crispent, comme si ma phrase avait porté le coup de grâce. Un pincement douloureux serre ma poitrine, mais je reste impassible. Il me fixe un instant, puis finit par hocher la tête. Il sort, et la porte se referme doucement derrière lui.

Je le suis et ferme à clé. Un nœud épais se forme dans ma gorge et descend jusqu’à mon estomac. Lentement, je glisse contre le mur, m’autorisant enfin à laisser couler les larmes que je retiens depuis bien trop longtemps.

***

J’ignore depuis combien de temps je suis restée recroquevillée sur ce sol froid. Dix minutes ? Une heure ? Deux, trois ? J’ai perdu la notion du temps.

Seule la vibration de mon téléphone, signalant l’arrivée d’un message, me tire de ma léthargie.

Je me redresse avec lenteur, me rafraîchis, puis descends retrouver Vladimir dans le parking du sous-sol.

À mon arrivée, tout le monde est là. Et je comprends immédiatement la raison de notre convocation.

Ce sera une exécution.

Un frisson d’appréhension me traverse à l’idée de découvrir qui passera sous le billot cette fois-ci. Mon regard balaie rapidement les visages présents, en quête de ceux qui manquent. Toute mon équipe est là. Ce n’est donc personne parmi eux.

Un silence pesant, presque morbide, règne dans le parking. La pénombre projette des ombres sur leurs visages angoissés, rendant ce lieu encore plus froid et austère qu’il ne l’est déjà.

Je passe devant Thomas et Ace qui m’ouvrent le passage en silence. Suivis d’Antonio, Roman et Luis. Pour la première fois, le visage de Luis est dénué de ce sourire en coin qui ne le quitte presque jamais. Il est grave, tendu, et comme les autres, visiblement confus. Ce qui n’a rien d’étonnant. Ce sera leur première exécution.

Un peu plus loin, en retrait, se trouve Taylor. Il lève la tête vers moi, et bien que son expression soit toujours aussi impassible, je perçois dans son regard de l'inquiétude. À sa droite se tiennent Kyle, Jorys et Adrian. Je m’abstiens de croiser le regard de ce dernier, peu enclin à affronter ce qu’il pourrait y laisser transparaître.

Je remarque alors Xavier et James, deux des quatre gardes rapprochés de Vladimir. Immobiles, le visage débordant d’une suffisance trop assumée pour être innocente. De tous, ce sont les plus loyaux. Leur dévotion envers Vladimir frôle l’aveuglement. Ils sont à son service depuis cinq ans. Un an après mon arrivée.

Alors, comme une évidence, je devine qui seront les victimes aujourd’hui : les deux absents. Les plus récents. Ceux qui ont rejoint ses rangs deux ans plus tard. Et même si j’aurais préféré voir Xavier et James sur le billot ce soir...

James m’adresse un sourire froid. Je l’ignore.

J’avance et m’arrête entre Ricky et Katherine. Elle est livide, et je comprends très bien pourquoi.

Vladimir sort son briquet. Le déclic retentit dans l’air, emplit l’espace et résonne comme le prélude d’une mise à mort. Il se tourne, remarque ma présence, et me fait signe d’avancer.

— Te voilà enfin, dit-il, sa voix trop douce. Tu allais manquer la fête.

Je lui rends son sourire. Le mien, en revanche, est vide de toute émotion.

Il est bien trop calme pour ce qu’il s’apprête à faire. Et ce n’est jamais bon signe. Il tient toujours à faire de ces “événements” un véritable spectacle. L’un des plus macabres. Quand il explose, qu’il hurle et frappe à l’aveugle, la violence est brutale mais prévisible, et la mort, souvent, plus rapide.

Mais ce calme-là… Ce calme glacial…

— Avancez, tonne-t-il.

Je me tiens à sa hauteur, les yeux rivés sur la pénombre devant moi.

Puis, lentement, je les entends arriver. Le tintement métallique des chaînes traînant au sol résonne dans l’espace. Des respirations saccadées, presque erratiques, les accompagnent.

Et ils apparaissent. Leurs pas sont lourds, hésitants. Sous le poids des chaînes aux poignets et aux chevilles, chaque mouvement semble un supplice.

Lorsqu’ils émergent totalement de l’ombre, ma gorge se serre. Hector. Conrad.

Leurs visages sont tuméfiés, ravagés par la fatigue et les coups.

À ma gauche, Katherine recule d’un pas, mais Ricky la retient. Conrad et elle ont eu une brève histoire, avant qu’elle ne finisse avec Ricky. Je n’ai jamais su pourquoi ils s’étaient quittés. Il la traitait bien.

Je jette un regard à Vladimir. Son expression est avide, comme celle d’un loup qui salive déjà, impatient de fondre sur sa proie.

Je me tourne de nouveau vers les condamnés.

Combien de temps les a-t-il gardés enfermés ? Depuis combien de jours, de nuits, les torture-t-il ?

Je les scrute. Il ne reste plus rien des hommes solides avec lesquels j’ai eu à travailler. Leurs vêtements leur pendent sur le dos comme des loques. Ils tiennent à peine debout.

Il n’y a plus rien à faire.

Ils sont déjà morts.

— Vous êtes accusés de trahison ! déclare Vladimir, d’une voix théâtrale qui résonne dans le silence pesant.

Il se tourne lentement vers nous, scrutant chaque visage, à la recherche du moindre éclat de sympathie envers eux.

Mais personne ne bronche.

Satisfait, il se tourne de nouveau vers Hector et Conrad.

Il avance vers Hector, sans se presser. L’état de ce dernier n’est guère meilleur que celui de son compagnon d’infortune.

— L’un de vous a été approché par les flics…

Vladimir s’arrête devant Conrad, et le désigne d’un doigt accusateur.

Mes paupières se ferment brièvement à ce geste. Nous avons accompli quelques missions ensemble, avant qu’il ne rejoigne la garde rapprochée de Vladimir. C’est un soldat exemplaire, loyal, attentif à ses coéquipiers. Je ne peux pas croire qu’il soit coupable. Pas lui. Et même si c’était le cas…peut-on vraiment le juger ?

— J’ai eu la confirmation que tu ne leur as rien dit, reprend Vladimir, sa voix basse, presque douce.

Il fait un pas de plus, se penche légèrement.

— Mais vois-tu, l’idée même que tu les aies laissés t’approcher

Je suis confuse. À quoi joue-t-il ? Où est le crime ?
Nous n’avons jamais exécuté quelqu’un pour une faute non commise.

Je tourne la tête vers Ricky. Dans ses yeux, je lis le même constat, la même incompréhension. Il me rend mon regard. Silencieux. Impuissant.

— Et toi ! hurle soudain Vladimir en pivotant brutalement vers Hector.

Il avance sur lui à grands pas, et Hector recule, le regard affolé, trébuche presque sous le poids de ses chaînes.

Cette scène est insupportable.

Vladimir le fixe un long moment, le regard dur, glacial. Puis, sans prévenir, il revient sur ses pas, retourne vers Conrad.

— Qu’ont-ils sur toi ? Crache, t-il.

— Regarde-moi quand je te parle ! J’ai dit, regarde-moi !

Conrad lève lentement la tête et plonge son regard dans celui de Vladimir. Sa mâchoire est crispée, son corps épuisé, mais ses yeux brillent d’une détermination farouche.

— Qu’est-ce qu’ils ont sur toi ? répète Vladimir d’un ton menaçant. Ils t’ont promis quoi, hein ? L’immunité ? C’est ça ? Ils t’ont offert l’immunité ? Réponds-moi !

Malgré les éclats de Vladimir, Conrad ne cille pas. Il reste droit, fier. Et plus je le regarde, plus ma fierté grandit. Il ne mérite pas ce traitement. Pas cette haine injustifiée, ni cette humiliation publique.

Et certainement pas la mort pour un crime qu’il n’a pas commis.

Je m’élance vers Vladimir, mais avant même de faire un pas, une main me retient. Je lève les yeux et croise le regard fermé de Ricky. Il secoue lentement la tête de gauche à droite, m’intimant silencieusement de renoncer. Mon geste serait vain. Pire, il risquerait d’aggraver la situation.

Vladimir se détourne alors de Conrad et se dirige vers Hector, attirant de nouveau toute notre attention. Sans prévenir, il écrase son mégot encore incandescent contre la joue de ce dernier. Le cri de douleur qui s’échappe d’Hector déchire l’air. L’odeur âcre de chair brûlée s’élève aussitôt, nous saisissant à la gorge.

— Et toi ! Tu es le complice d’un traître, lance Vladimir d’une voix glaciale.

Hector et Conrad ont toujours été proches, presque comme deux frères. Ce lien, ils ne le doivent pas à leur sang, mais à une fraternité forgée sur le terrain. Lorsque Conrad a intégré la garde rapprochée de Vladimir, Hector l’a suivi sans poser de questions.

— Cela fait de toi un traître aussi.

Vladimir a définitivement perdu l’esprit. S’il restait un doute, il vient de s’effacer.

Rien de ce qui se passe ici n’a de sens. Même venant de Vladimir.

— Si je ne peux même plus faire confiance à mes propres hommes, alors à qui ?! rugit-il. À qui suis-je censé confier ma vie ? Vous êtes tous là, à attendre le moment opportun pour me planter une lame dans le dos !

Il sort son arme, frappe Hector d’un revers brutal, puis retire le cran de sûreté et la braque sur Conrad. Sur le visage de ce dernier, un soulagement étrange se dessine. Comme s’il avait attendu ce moment… comme si la mort lui offrait enfin une délivrance.

Mais Vladimir se ravise.

Il abaisse lentement l’arme puis la tend à Hector.

— Tiens, crache-t-il.

Hector hésite, tremblant, avant de saisir l’arme d’une main incertaine.

— Tire-lui dessus, ordonne Vladimir en désignant Conrad. C’est lui qui t’a entraîné là-dedans. C’est à cause de lui que tu souffres. Tu veux ta vengeance ? Tu l’as là, devant toi. Il mérite de mourir. Vas-y. Tire.

Hector serre l’arme entre ses mains et tourne lentement la tête vers Conrad. Son regard est chargé de regret. Celui de Conrad, en revanche, déborde de gratitude. Ils n’échangent aucun mot, mais tout passe dans ce silence.

Hector recharge le revolver. Son bras se lève. Mais au lieu de viser Conrad, il pivote doucement vers Vladimir.

Mon corps réagit avant même que mon esprit n’analyse le geste. Je dégaine à mon tour et braque mon arme sur Hector. Il me jette un regard douloureux, résigné et comprend aussitôt que je n’hésiterai pas.

Vladimir tourne la tête vers moi. Il m’observe, l’espace d’un instant, puis un éclat étrange traverse son regard. De la fierté. Une fierté tordue. Il se détourne et éclate de rire. Un rire grave, rauque, qui se transforme en une quinte de toux sèche.

De quoi rit-il ? Il n’y a rien de drôle ici.

Hector redirige lentement l’arme vers Conrad.

La lassitude déforme ses traits, mais une lueur de détermination perce.

— Je suis désolé, murmure-t-il.

Puis, d’un geste calme, mais rapide dépourvu de toute hésitation, il retourne le canon vers sa tempe.

Et appuie sur la détente.

La détonation retentit dans tout le parking, assourdissante, brutale. Pendant un instant, le temps se fige.

Le sang jaillit de son crâne. Quelques gouttes m’éclaboussent le visage.

— Quel dramatique ! s’exclame Vladimir en secouant la tête, l’air faussement agacé, tout en tapotant distraitement les taches rouges qui souillent son costume.

Puis, d’un geste nonchalant, il désigne Conrad du menton.

— Bon, toi…

Mais il n’a pas le temps d’aller plus loin.

Je pivote brusquement vers Conrad.

Et je tire.

Un unique coup, sec, précis.

La balle se loge en plein cœur.

Il s’effondre dans un bruit sourd. Le sang se répand sur le sol poussiéreux, rejoignant celui de son frère, déjà étendu là.

Trop absorbé à nettoyer les taches sur sa veste, Vladimir n’a pas vu le message silencieux que Conrad m’avait lancé.

Il n’en avait pas fini avec lui. Il aurait prolongé sa souffrance, des jours, des semaines, se délectant de sa douleur physique et jouant sur la perte émotionnelle de son frère d’armes.

Vladimir se tourne vers moi, s’avance. De ses deux mains, il encadre mon visage.

— Je pensais t’avoir perdue, murmure-t-il, ses yeux plongés intensément dans les miens.

Je le fixe, tête haute, regard inébranlable.

— J’avais des doutes, mais tu viens de me prouver que je peux de nouveau te faire confiance.

À ma grande surprise, son regard est sincère.

Ce n’est pas le Vladimir que je connais. Celui-ci est paranoïaque, instable et donc…facilement manipulable.

Alors, je lui rends son sourire, franc, consciente que je devrai tôt ou tard payer pour la mort rapide de Conrad.

Il retire ses mains, allume une nouvelle cigarette, puis se tourne vers Ricky.

— Demain, tu recevras une liste de candidatures pour les nouveaux postes vacants. Choisis mieux cette fois, ou tu le paieras très cher.

Il lance à Katherine un regard lourd de sous-entendus.

— Nettoyez ça, dit-il, s’adressant à personne et à tout le monde à la fois.

Sans un mot de plus, il se détourne et quitte le parking.

Je ne tarde pas à faire de même, sentant dans mon dos le regard intense d’Adrian.

Nous venons d’assister à un spectacle des plus pitoyable.

Alors que pensez-vous de ce chapitre en general ?

A la place de Catelyn, vous auriez donné une chance à Adrian ?

Et à la place d'Adrian, comment prendriez-vous le rejet de Catelyn ?

Pensez-vous que leur couple, s'ils deviennent un couple, est viable ?

Que pensez-vous du personnage d'Adrian ?

Que pensez-vous du personnage de Vladimir ?

A votre avis est-il vraiment fou ?

Catelyn a t'elle rendu service à Conrad en l'abattant ?

A vos claviers !

PS : Merci à tous ceux qui like et commentent. J'apprécie beaucoup.

Mention spéciale à Willy Dark pour les annotations.

Xoxo :)

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