Chapitre 21

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Je suis adossée à la porte de la salle d’entraînement, un sourire distrait flotte sur mes lèvres, mon esprit encore imprégné des souvenirs de la nuit dernière.

Mon regard s’attarde sur Adrian, juste en face, et glisse lentement sur son corps. Son seul vêtement, un bas de pyjama noir, tombe négligemment sur ses hanches, révélant le V parfaitement sculpté de son bassin. Mes yeux remontent sur ses abdos durs comme la pierre, effleurent son torse luisant de sueur, avant de se perdre sur ses bras puissants, gonflés par l’effort.

Plus le temps passe, moins j’arrive à contrôler les réactions de mon corps en sa présence. Ce n’est pas une nouvelle réjouissante. Il n'y a pas de quoi être fière, pourtant…

— Ravale ta bave, tu es ridicule.

Je relève brusquement la tête et me redresse.

Katherine a toujours eu le don de surgir aux moments inoportuns. Je l’ai à peine entendue approcher.

Mon sursaut attire un regard inquiet d’Adrian. Cette brève distraction lui vaut un coup bien senti d’Antonio dans ses côtes. Je grimace légèrement en le voyant encaisser.

— Je te croyais plus vigilante que ça. Tu es de plus en plus négligente, poursuit-elle.

Je me tourne enfin vers elle.

Son regard est meurtrier. Le même qu’elle réserve à ses adversaires les plus coriaces. Ses yeux lancent des éclairs et ses lèvres se tordent en un rictus amer. Elle serre des documents contre sa poitrine et porte le même tailleur que la dernière fois, cette fois en noir.

— Tu ne m’as même pas entendue arriver. Regarde-toi, lance-t-elle, le dégoût déformant ses traits. Je te reconnais à peine. On dirait ces femmes qui, une fois amoureuses, deviennent de parfaites idiotes, incapables de réfléchir par…

— Je ne te permets pas ! Coupé-je sèchement, la voix un peu trop forte.

— Je n’ai pas besoin de ta permission, réplique-t-elle, cinglante.

Plusieurs regards se tournent vers nous. Antonio et Adrian ont interrompu leur combat. Kyle et Thomas, dont la conversation animée résonnait encore il y a quelques instants, se sont tus. Et Taylor, aussi concentré soit-il sur cette poire de vitesse, a son oreille tendue.

J’attrape fermement le poignet de Katherine et la force à me suivre. Sans un mot, nous quittons à pas de charge la salle d’entraînement et nous réfugions dans une alcôve, à l’abri des regards.

D’un geste sec, elle s’arrache de ma prise et lisse la manche froissée de son tailleur.

— Qu’est-ce qui te prend, merde ? lâché-je, la mâchoire serrée.

Le visage écarlate, elle redresse la tête avec cette fierté indéfectible qui la caractérise tant.

Katherine et moi faisons la même taille, mais perchée sur ses talons vertigineux, elle me surplombe, me plaçant dans une position désavantageuse.

— Qu’est-ce qui me prend ? répète-t-elle, incrédule. Ce qui me prend, c’est que Vladimir est dans les parages. Imagine une seule seconde que ce soit lui qui t’ait surprise, hum ? Nos vies... ma vie dépend de toi. Je ne laisserai personne, pas même toi, la mettre en péril. Tu ne peux pas te permettre d’être aussi désinvolte. Tu n’as pas le droit de faire ce que tu veux, et encore moins d’aimer qui tu veux. Le happy end, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, ironise-t-elle d’un geste théâtral, n’existe pas pour toi, conclut-elle en me pointant du doigt.

Je recule d’un pas face à la violence de ses mots et la fixe, hébétée.

D’où vient cette personne devant moi ?

J’ai déjà vu la Katherine glaciale, furieuse, indifférente. Même la Katherine brisée, celle qui se bat contre ses propres démons. Mais celle qui me fait face aujourd’hui est une totale inconnue. Cette version cynique, frôlant la cruauté, me déstabilise et me glace le sang

Une vague d’émotions contradictoires me traverse. Katherine et moi avons nos différends, nos querelles incessantes, mais jamais elle n’avait frappé aussi bas. De toutes les personnes qui auraient pu me lancer de telles paroles, elle était la dernière que j’aurais imaginée.

Je la scrute, traquant le moindre frémissement, la plus infime ombre de regret sur son visage. Mais il n’y a rien. Dans ses yeux brille une froide détermination, comme si chaque mot qu’elle vient de prononcer avait été mûrement choisi. Et si elle devait les répéter, elle le ferait sans la moindre hésitation.

Ma mâchoire se contracte. Mes lèvres se réduisent à une fine ligne, retenant ce qui me reste de sang-froid et de lucidité. Sans un mot, je me détourne et m’éloigne.

— Catelyn...

Je m’arrête.

Elle s’avance et me tend la pile de papiers qu’elle tient.

— C’est ce que tu m’as demandé.

Je pivote à moitié et attrape les documents sans un mot. Alors que je m’apprête à partir, elle m’interpelle de nouveau.

— Que comptes-tu en faire ?

Je feuillette rapidement les pages. Plus d’une centaine de filles recrutées par Vladimir en six ans, depuis mon arrivée. Éplucher ces dossiers, en plus de tout ce que j’ai déjà à gérer, sera loin d’être une tâche facile. Mais une chose est sûre, ça en vaudra la peine.

— Contente toi de faire ce que je te demande. Il n’a jamais été question que je te rende des comptes.

Elle accuse le coup.

Un bruit de pas précipités retentit soudainement dans le couloir, attirant notre attention. Il se rapproche à une vitesse inquiétante.

Jorys surgit alors dans l’allée et me percute de plein fouet, manquant de nous renverser tous les deux. Il ne s’arrête pas, fonce droit devant, avant de s’immobiliser brusquement.

Puis, il se retourne et court vers moi, le souffle erratique, le visage rempli d’horreur.

— Je te cherchais, lâche-t-il entre deux respirations saccadées.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je, alerte.

Il inspire profondément, une fois, deux fois, puis se lance.

— J’ai surveillé les communications comme tu me l’as demandé. Pendant des semaines, j’ai épluché tous les canaux, toutes les fréquences, nuit et jour. Putain, un travai de titan.

Il fait une pause avant de reprendre.

— Je n’ai rien trouvé. J’ai codé une IA pour qu’elle recherche des mots clés particuliers. J’ai rajouté…

— Jorys ! tonnai-je pour l’interrompre, peu désireuse d’écouter ses explications trop longues.

Il se tait.

— Va droit au but.

Il prend une inspiration, déglutit. Lorsqu’il ouvre la bouche, ses mots me glacent le sang, encore plus que ceux de Katherine. Sa phrase tombe comme une sentence et me fige sur place.

Pendant un moment, nous restons immobiles, figés l’un en face de l’autre.

Puis, l’instant d’après, je me surprends à donner des ordres.

— J’ai besoin que tu restes concentré. Les prochaines minutes sont cruciales. Tu me comprends ?

Il acquiesce.

— Va dans la salle d’entraînement et dis à tous ceux qui s’y trouvent de se rendre à l’armurerie. Avec Adrian, trouvez le reste de l’équipe et rejoignez les autres. Est-ce que c'est clair ?

— Oui, balbutie-t-il. Se rendre à l’armurerie…

Je le scrute, peu convaincue qu'il m'est réellement compris, mais je finis par hocher la tête.

— Maintenant, bouge. Go !

Je me tourne vers Katherine, figée, les bras ballants. Elle n’a rien perdu de notre échange et me fixe, affolée. Je m’approche et pose une main ferme sur son épaule.

— Katherine, appelé-je doucement.

Elle cligne des yeux, se ressaisit et demande d’une voix tendue.

— Qu’est-ce que je dois faire ?

— Sonne l’alarme. Ensuite, va avec les autres.

Ce cauchemar, aussi terrifiant soit-il, n’a rien de surprenant. C’était inévitable. Ce jour devait arriver.

Il y a plusieurs mois, nous avons renforcé la sécurité et installé une sirène. Tout le monde a été informé. Dès que celle-ci retentit, chacun doit se rendre immédiatement au centre, et ce dans les dix minutes qui suivent. Passé ce délai, les portes se verrouillent automatiquement, piégeant quiconque se trouve à l’extérieur. Le centre est notre seul refuge sécurisé, avec des murs en béton armé et des portes en acier renforcé.

Heureusement, nous sommes en début de journée. Nous n’avons pas à nous soucier des clients, moins de personnes à protéger

— Et toi ? Que vas-tu faire ? demande Katherine.

Je lève le contenu de ma main.

— Je dépose ceci et je vous rejoins.

— OK, lâche-t-elle de façon mécanique.

Elle me fixe un instant, hésitante. Puis, dans un souffle, murmure.

— Fais attention à toi.

Je hoche la tête.

— Toi aussi.

Nous prenons des chemins séparés.

Quand je sors de mon bureau, la sirène retentit.

Des pas précipités résonnent dans mon dos. Je me retourne et vois Ricky arriver.

— Tu sais ce qu’il se passe ? demande-t-il le visage grave. Est-ce un exercice ?

Je ne ralentis pas. Nous évitons les ascenseurs et prenons les escaliers.

— Jorys a intercepté un signal de départ. Le message date de plusieurs heures, dis-je en éteignant les lumières sur notre passage. Sanchez arrive avec une douzaine d’hommes. Peut-être plus.

— Comment a-t-il su ? Nous n’avons laissé aucune trace.

— Visiblement, si.

— Dans combien de temps seront-ils là ?

Je jette un œil à ma montre, fais un rapide calcul.

— Quinze minutes.

Je croise le regard de Ricky, l’inquiétude est lisible sur son visage.

— C’est Katherine qui a déclenché l’alarme. Elle était avec moi quand Jorys m’a prévenu. Ne t’en fais pas pour elle, elle sera en sécurité à l’armurerie.

Ses épaules se détendent légèrement. Nous poursuivons notre descente en silence.

Katherine apparaît devant l’armurerie. Dès qu’elle nous aperçoit, elle se précipite dans les bras de Ricky. Je ne ralentis que pour lui céder le passage et pénètre d’un pas décidé dans la pièce. Mon regard balaie rapidement l’endroit. Adrian n’est nulle part. Une émotion me tord le ventre, mais avant que je ne tire des conclusions hâtives, une présence familière surgit derrière moi. Je me retourne, et la tension dans mes épaules s’apaise aussitôt.

Adrian s’avance. Il n’y a pas d’effusions, rien à voir avec les deux personnes que j’ai laissées sur le seuil. Et, comme Katherine me l’a si bien rappelé, je n’y ai pas droit. À la place, nos doigts s’effleurent discrètement, échangeant une chaleur silencieuse. Sa seule présence suffit à m’insuffler le courage nécessaire pour ce qui va suivre.

La porte s’ouvre soudain en fracas. Je m’éloigne aussitôt d’Adrian.

— C’est quoi tout ce vacarme ? vocifère Vladimir avant de poser son regard sur moi. Catelyn ?

Il s’avance. Adrian fait un pas en avant, prêt à s’interposer, mais je le devance et d’un geste rapide, l’en empêche. Vladimir semble ne rien avoir remarqué.

J’avance à mon tour, le visage impassible, presque ennuyé. À l’intérieur pourtant, c’est une tout autre émotion qui règne.

— Nous subissons une attaque.

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