Chapitre 22

8 minutes de lecture

L’arrivée imminente de Sanchez rend tout le monde nerveux.

Je le vois dans la manière dont ils se déplacent. À l’exécution presque mécanique de leurs gestes pour s’armer, aux coups d’œil réguliers qu’ils me jettent et au doute présent dans leurs yeux quand nos regards se croisent. Néanmoins, j'apprécie leurs efforts pour le masquer.

Un bref coup d'œil vers Vladimir. Il est dans la même position qu’il y a cinq minutes, lorsque je lui ai fait le topo sur ce qui nous attend.

Il n’a pas décroché un mot depuis.

Vladimir est bon quand il s’agit de négocier des pourcentages, conclure des deals alléchants. C'est avant tout un homme d’affaires. Il est aussi doué pour intimider les gens. Son côté imprévisible, associé au grain de folie présent dans son regard, sont ses meilleurs alliés. Mais, dans ce genre de situation, où il faut venir aux armes, traiter avec un homme cinquante fois plus dangereux que lui, réputé pour être sans pitié, et qui ne veut qu’une seule chose, voir nos têtes tomber, Vladimir n’est d’aucune utilité.

Ces dernières années, il s’est confortablement glissé dans son rôle de nouveau riche, baignant dans l’oisiveté et les soirées de débauche, à son image. Délégant sa protection à ses gardes du corps, ses hommes de main et dans ce cas, nous.

En l’observant, je devine aisément le fil de ses pensées. Il ne doute pas de la capacité de ses meilleurs hommes à le garder en vie. Après tout, on se bat toujours plus fort lorsque sa mort met en péril ceux qu’on laisse derrière soi. Pour le reste, ce n’est pas très sûr. Il songe sûrement déjà à ce que cette attaque lui coûtera. Financièrement. Quant au recrutement de nouveaux hommes…

— Tu n’en n’auras pas besoin, dis-je à Kyle lorsqu’il passe devant moi charger deux revolvers.

Il dépose les armes les sourcils froncés et me fixe. Je lui fait signe de me suivre et nous nous dirigeons vers le rack mural au fond de la pièce.

— Choisis un, dis-je me mettant légèrement de côté.

Sont exposées devant nous, deux colonnes de cinq fusils de tir longue distance. Chaque arme a été choisie minutieusement et envisagée dans n’importe quelle situation. Les fusils devant nous sont rangés à l’horizontal et maintenus en place par des supports individuels dotés de revêtement en mousse, espacés les uns des autres pour éviter qu’ils se touchent et ainsi fragiliser le système de verrouillage en place et provoquer un malencontreux accident.

— Je serai placé où ?

J’avance et m'arrête à sa hauteur.

— Au cinquième. Il y a une ouverture dans le mur, juste à côté de la télé donnant sur le parking extérieur. Sanchez et une bonne moitié de ses hommes se tiendront là. Je doute qu’il ait placé des hommes plus loins.

Kyle promène son regard sur les fusils et penche la tête de côté faisant un rapide calcul.

— Donc deux cents cinquante mètres ?

Le parking extérieur est un espace dégagé, bien visible depuis le cinquième étage. Même avec un simple fusil, Kyle ne pourra pas rater sa cible. Mais nous nous apprêtons à affronter l’un des trafiquants d’armes les plus redoutés de ces quinze dernières années. Se pointer avec du matériel inadéquat reviendrait à se tirer une balle dans le pied.

— Quatre cents. Plus loin, ils seront dans le désert.

Et donc sur terrain vide.

Il détourne les yeux de l’arme qu’il observait pour en fixer une autre.

— Dois-je me déplacer ?

— Pas à ton poste. Et avec un peu de chance, tu n’en auras pas besoin.

Il pose la main sur le SR-25 d’ArmaLite. C’est un fusil d’une bonne fiabilité, faible recul pour un semi-automatique et pouvant aller jusqu’à huit cent mètres.

— Précision ou rapidité ? dit-il en se tournant vers moi.

Je jette un coups d'œil à ma montre. Nous n’avons plus beaucoup de temps.

— Je les veux morts, Kyle. Pas les foutre en rogne.

Il se dirige donc vers le PGM Hécate II. Un fusil de précision anti-matériel extrêmement puissant d’origine française. Son calibre .50 BMG assure des tirs de très longue portée allant jusqu’à mille huit cents mètres. C’est un fusil robuste et d’une extrême fiabilité même dans des conditions extrêmes. C’est excessif, je dois le reconnaître, mais nous ne sommes pas à l’abri des surprises.

Il déverouille le verrou et récupère l’arme.

— Excellent choix, dis-je en m’éloignant.

Je rejoins le reste des hommes rassemblés au centre de la pièce, tous armés jusqu’aux dents et protégés par un gilet pare-balles, comme je l’ai exigé.

— Thomas, Antonio, dis-je en attirant leur attention. Enfilez un habit par-dessus vos gilets. Vous sortez avec Ricky et moi. Sanchez ne doit pas deviné qu’on l’attendait.

Ricky s’éloigne enfin de Katherine et s’approche.

— Ne vaut-il pas mieux qu’il nous voit armés ? demande-t-il. Ça pourrait le dissuader.

J’aurais ri si la situation n’était pas aussi critique.

Rien ne peut dissuader Sanchez une fois sa décision prise. Surtout pas une poignée d’hommes en sous-effectif, dont une bonne partie des armes provient de ses stocks.

Mais ça, je ne peux me permettre de le dire à voix haute.

— Non, réponds-je simplement. Il le verrait comme un double affront.

La réputation impitoyable de Sanchez n’a d’égal que son ego. Si nous lui montrons que nous sommes prêts, que nous avons les moyens de nous défendre, et qu’il envisage, ne serait-ce qu’un instant, la possibilité de perdre, nous sommes tous morts. Avant même d’avoir mis un seul pied dehors.

— Nous avons cambriolé l’un de ses entrepôts, dis-je en balayant la pièce du regard. Et tout le monde sait que ses entrepôts sont connus pour être inviolables. Nous avons exposé aux yeux du monde, une faille dans son système. Ceci dépasse une simple vengeance. C’est une leçon.

Je marque une pause, laissant mes mots peser dans l’air.

— Ceci, dis-je en nous désignant, est un message. Une exécution en lettres capitales, envoyée à tous ceux qui oseraient suivre notre exemple. Si nous sortons armés jusqu’aux dents, nous ne prouvons pas seulement que nous pouvons nous défendre. Nous nous proclamons comme une menace. Nous assumons ce que nous avons fait. Et nous sommes en sous-effectif. Autrement dit, nous lui servons notre mort sur un putain de plateau d’argent !

Un silence pesant s’abat sur la pièce.

Je comprends immédiatement mon erreur. Ma main retombe lentement, et je ferme les yeux un bref instant, réprimant la vague de frustration qui monte en moi.

Quand je les ouvre, les visages n'ont pas changé. La peur qu’ils s’efforçaient de cacher, est maintenant bien visible. Même Taylor, d’ordinaire impassible, a les sourcils froncés.

— Catelyn a raison, lance Adrian d’une voix ferme.

Toutes les têtes se tournent vers lui. Il quitte sa place aux côtés de Jorys et avance jusqu’au centre de la pièce, s’arrêtant près de moi. Il est inquiet, lui aussi. Je ne l’aurais jamais deviné si nous n’avions pas passé ces dernières semaines collés l’un à l'autre.

— Nous devons paraître inoffensifs, poursuit-il. Il faut qu’il doute. Qu’il se demande comment nous avons réussi cet exploit. Qu’il doute au point de penser que ce n’était que par pur hasard, un coup de chance. Qu’il se dise qu’il n’a pas affaire à de vrais professionnels et que nous ne lui causerons aucun tort, s’il nous laisse en vie.

Les mots d’Adrian pénètrent dans les esprits. Je peux les entendre réfléchir, envisager la possibilité de s’en sortir indemne. Une lueur d’espoir vacille dans les regards, comme si, soudainement, une porte de sortie venait d’apparaître.

Adrian a cette capacité à facilement captiver son auditoire. Je ne sais pas comment il fait. Peut-être est-ce le calme apaisant de sa voix, l’assurance inébranlable dans ses mots, ou l’aura qu’il dégage ? Est-ce grâce à son passé d’inspecteur ou, simplement est-ce inné chez lui ?

J’arrête mes divagations et me concentre sur les hommes devant moi.

Ils l’écoutent. Ils respectent ses idées. Et comme une révélation, je me rends compte qu'ils lui font confiance.

Mais pas à moi.

— Pourquoi ferait-il ça ? intervient Roman. Pourquoi nous laisserait-il en vie ? À sa place, je ne le ferais pas.

— Il le fera si nous laisser en vie sert mieux ses intérêts, dis-je en reprenant le fil de la conversation et en avalant le poing dans ma gorge.

Je me tourne vers Roman, Luis et Ace.

— Vous serez au club. Le centre est verrouillé, ils chercheront un autre moyen d’entrer. Ne les laissez pas passer, sous aucun prétexte.

J’appuie sur chaque mot, insistant sur l’importance de leur mission. Ils hochent la tête à l’unisson, le regard sombre mais déterminé.

— Jorys, tu restes ici et tu fais ce que tu sais faire de mieux. Écoute tous les canaux, je veux tout savoir. S’ils demandent des renforts, je veux être la première informée.

Je me tourne vers Kyle.

— Kyle, tu sais où te placer. Adrian, tu iras avec lui.

— Je veux sortir avec vous, dit ce dernier.

— Non.

— J’ai déjà eu à négocier avec ce genre d’individus. Je suis un bon négociateur.

— J’ai dit non !

— Catelyn, intervient Ricky. Je pense qu’Adrian…

Un regard et il se tait.

Je me tourne complètement vers Adrian.

— Ton épaule n’est pas guérie. Tes mouvements sont lents. Tu es peut-être un bon négociateur, mais si ça tourne mal, tu seras un boulet. Nous sommes une équipe, mais chacun doit pouvoir se débrouiller seul.

Mes mots sont durs mais vrais.

Sa mâchoire se serre.

— Mon épaule est… tente t-il d’ajouter.

— Je ne demande pas ton avis, coupé-je agacée. Ce n’est pas une discussion. C’est un ordre !

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et me tourne vers Kyle.

— Montre-lui l’emplacement des fusils. Qu'il en choisisse un et se positionne à ton opposé. Il y a une autre ouverture qui couvre l’arrière de l’immeuble. S’ils tentent de nous encercler, je veux que tous les angles soient couverts.

Puis, mon regard se pose sur Taylor.

— Couvre ton gilet. Tu sors avec nous.

Il jette un regard à Adrian, un sourire moqueur sur les lèvres.

Vladimir sort enfin de sa léthargie et s’avance.

— Je viens avec vous.

— Non. Laisse-moi gérer.

Il me fixe, surpris et visiblement n’apprécie guère mon ton, mais s'abstient de faire un nouveau geste.

Mon visage est fermé. Ce n’est vraiment pas le moment de me faire chier.

Je me détourne et rejoins Katherine, restée en retrait.

— Reste ici, dis-je d’un ton rassurant. Tu seras avec Jorys et Vladimir. L’armurerie est la pièce la plus sécurisée du centre. Tu seras en sécurité.

Elle hoche la tête.

J’avance encore et serre son poignet. Son regard fouille le mien. Derrière la peur, se cache un feu glacial.

— Si ça tourne mal, tu sais quoi faire.

Ma voix n’est qu’un murmure pour qu’elle seule m’entende.

Elle me fixe un instant. Nous communiquons en silence. Puis, elle acquiesce d’un geste imperceptible.

— Catelyn ?

Je me tourne vers Jorys.

— Sanchez et ses hommes sont là.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Kyu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0