Chapitre 33

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Toute mon attention est fixée sur la route, comme si cela pouvait détourner mon esprit de la tempête qui gronde en moi. Un enchevêtrement de pensées sans fin, de questions sans réponses, tout cela en totale contradiction avec le silence lourd et pesant qui règne dans le véhicule.

Mon regard glisse sur le tableau de bord. Je roule trop vite, beaucoup trop vite. Bien au-delà de la limite autorisée. Mais qu’importe. Il faut que j’emmène l’occupante du siège arrière en lieu sûr. Et le seul endroit qui me vienne à l’esprit se trouve à plusieurs kilomètres en dehors de la ville.

Je jette un coup d’œil à ma gauche. Adrian n’a pas prononcé un mot depuis notre sortie de l’entrepôt. Que dirait-il de toute façon ? Même pour moi, tout ceci semble irréel. En découvrant Sandra tout à l’heure, je suis restée figée, incapable du moindre mouvement, comme si mon cerveau avait bugué et était incapable d’envoyer le moindre signal à mes muscles. C’est lui qui s’est chargé de la conduire jusqu’à la voiture, avant de revenir me chercher. Et c’est seulement en le voyant s’installer côté conducteur que je suis sortie de mon immobilité.

Il a enquêté sur moi, connaît sûrement mon adresse hors du centre, et conduit vite, je l’ai déjà vu faire. Mais il ne voit que d’un œil, l’autre encore tuméfié. Pour être honnête, ce n’est pas ça qui m’a poussée à prendre le volant. C’est uniquement pour garder l’illusion d’avoir encore un semblant de contrôle sur cette foutue… situation.

Du rétroviseur, je jette un regard à la personne assise derrière.

Seigneur, comme elle ressemble à notre mère. La même beauté saisissante. Elle a hérité de sa peau diaphane, de ses cheveux noirs comme la nuit, et de ce regard acéré qui semblait toujours tout analyser. Là où mes traits se sont durcis avec le temps, les siens ont conservé la rondeur et la douceur de l’enfance. Elle a grandi, oui… en une jeune fille d’une beauté à couper le souffle.

Se sentant observée, elle lève la tête et croise mon regard. Le sien me frappe aussitôt. Il me renvoie une image de moi que je préférerais ignorer. Il a ce mélange de défi et de froide curiosité. Ce n’est pas l’accueil qu’elle espérait, et je sens son reproche, silencieux mais brûlant. Pour la première fois, c’est moi qui détourne les yeux.

Le portail s’ouvre en grand, laissant le véhicule glisser jusqu’au parking. Plusieurs voitures sont garées en rangées serrées, d’autres disposées en demi-cercles. Je longe la ligne droite qui mène à l’emplacement qui m’a été assigné et coupe le moteur.

Je sors de la voiture, suivi d’Adrian. Par-dessus le toit, nos regards se croisent. Ses épaules sont aussi tendues que les miennes. Il connaît l'implication de la présence de Sandra ici, tout comme les risques que nous encourons si Vladimir l'apprend. Peut-être le sait-il déjà. Peut-être a-t-il déjà envoyé ses chiens nous chercher.

Notre contact visuel se rompt lorsque Sandra sort à son tour. Elle porte un sac à dos rose, qu’Adrian retire doucement de ses mains, lui adressant un sourire rassurant. Elle lui rend son sourire, timide mais sincère. Je me retiens de lever les yeux au ciel. Je visualise déjà le schéma. Tous deux meilleurs amis, et moi, la méchante de l’histoire. Soit. Si ça permet de la garder en vie, je tiendrai ce rôle sans discuter.

Je claque la portière, les faisant presque sursauter. Ils se tournent vers moi, mais j’avance déjà vers l’ascenseur, le rythme de mes pas résonnant dans le hall. Il s’ouvre juste au moment où Adrian et Sandra arrivent à ma hauteur. Je suis la première à entrer, Adrian me suit, et Sandra ferme la marche. Nos regards se croisent un instant, juste assez pour mesurer la distance entre nous, puis elle se détourne vers les portes. L’ascenseur paraît étroit, comme si le corps massif d’Adrian compressait l’espace. J’oublie toujours à quel point il est imposant.

J’appuie sur le bouton. L’ascenseur monte lentement, et chaque étage avalé résonne dans mes tempes. Le silence amplifie le froissement de nos vêtements et le souffle régulier d’Adrian. Au sixième étage, l’avant-dernier, l’ascenseur s’immobilise. Les portes s’ouvrent sur un couloir faiblement éclairé. Je sors en dernier, prenant naturellement la tête du petit cortège. Adrian et Sandra me suivent à quelques pas derrière

— Elle est toujours aussi… ? murmure une petite voix dans mon dos.

Je n’entends pas la fin de la phrase, mais le devine aisément. Nous dépassons deux autres portes, lorsque Adrian répond.

— Seulement quand elle est prise au dépourvu.

— Je vous entends, vous savez ? dis-je par-dessus mon épaule, un brin sèche.

Je tourne à droite et débouche sur un petit couloir. Juste en face, la porte de mon appartement. Mon rythme cardiaque s'accélère légèrement. J’espère ne pas l’avoir laissé dans un sale état. La dernière fois que j’y ai passé la nuit remonte à… et bien, je n’arrive plus à me souvenir.

Je tourne la clé dans la serrure et déverrouille la porte. Elle glisse sur la moquette sans un bruit. Aucune odeur nauséabonde ne m’accueil. C’est bon signe. J’actionne l’interrupteur sur le côté, éclairant le séjour d’une lumière vive. Je fais un pas à l’intérieur, puis un deuxième et un troisième. Dieu merci, tout est rangé.

— Venez, entrez, dis-je en me tournant vers mes invités.

Sandra est la première à avancer, ses yeux curieux scrutant chaque recoin de la pièce. Adrian lui emboîte le pas et je ferme la porte à clé derrière nous. Je me dirige aussitôt vers le frigo et en sors une poche de glace que je tends à Adrian. Il la prend de mes mains, semble vouloir dire quelque chose, mais je ne lui en laisse pas le temps et m’éloigne vers les placards de la cuisine.

Les plaquettes de comprimés sont intactes. Je remplis un verre d’eau et le dépose sur la table basse, à côté du canapé.

— Anti-douleur et antibiotique, dis-je en les posant dans sa main, veillant à ne pas effleurer ses doigts. Bois-les, insisté-je, remarquant son regard qui ne me lâche pas.

— Catelyn… commence-t-il, mais je m’éloigne, coupant court à toute tentative.

Il y avait sûrement mille choses à dire. Mais ce n’était pas le moment. D’abord, il fallait gérer le problème “Sandra”. Ensuite… ensuite seulement, je verrai. En parlant de Sandra, où est-elle ?

Comme si elle m’avait entendue :

— C’est quoi ce tableau ignoble ? lance-t-elle depuis la chambre.

Je m’avance et la découvre devant le lit, fixant le mur. Mes yeux suivent son regard et tombent sur le tableau que Vassili m’a offert.

— C’est une femme sans visage, dis-je, à mi‑voix, ne sachant trop comment justifier la… chose suspendue sur le mur.

J’aimais ce tableau jusqu’à ce que son regard absent me donne l’impression d’être constamment jugée. Le moment est peut-être venu de m’en débarrasser.

— Ça n’enlève pas qu’il soit horrible, commente-t-elle en fronçant les sourcils lorsque je le décroche du mur.

— Tu peux poser tes affaires là, dis-je en désignant la chambre. Je vais commander à manger. Ensuite, on pourra parler.

Je la fixe droit dans les yeux en prononçant les derniers mots. Elle me rend mon regard, hésite un instant, puis acquiesce lentement.

L’atmosphère s’alourdit, presque tangible, comme si chaque respiration exigeait un effort. Je réalise que j’attendais cet instant depuis six longues années. Six ans à espérer, à craindre, à me demander si on se reverrait un jour. Et maintenant qu’elle est là…

La peur me noue les entrailles. Celle qui surgit quand on comprend qu’on n’a plus le contrôle. J’ai peur pour elle, sans cesse. À tel point que je n’arrive plus à ressentir autre chose. Même face à elle, tout ce qui m’obsède, c’est comment la protéger, comment l’éloigner d’un danger dont elle n’a même pas conscience. Je la regarde, et tout en elle me renvoie à ce que j’ai perdu, à ce que j’ai dû devenir pour survivre. Elle, avec son visage encore pur, ses yeux qui n’ont pas vu le sang, ni la trahison, ni le prix de mes choix. Elle ignore tout de cette vie, de ses règles, de ce qu’elle coûte. Je réalise que si je la traite avec froideur, ce n’est pas seulement à cause de cette peur, mais parce que ressentir autre chose rendrait tout cela réel. Concret. Ce danger qui plane sur nous devient d’autant plus proche, d’autant plus menaçant, maintenant qu’elle est là.

Mais elle n’a rien demandé. Elle ne sait rien. Elle…

Je laisse tomber le tableau d’un geste brusque, mes doigts tremblent, je m’élance vers elle. Elle est là, devant moi et réelle, vêtue d’un pull rose pâle qui accentue la délicatesse de ses épaules, d’un jean parfaitement ajusté et de baskets blanches immaculées. Tout chez elle respire l’innocence, une pureté presque insolente face au monde dans lequel elle vient de mettre les pieds. Un monde vil, tordu, saturé de mensonges et de noirceur.

Je l’attire, pressant chaque fragment de son corps contre le mien, comme pour combler six ans d’absence en une seule étreinte. Elle tremble, mais elle se blottit contre moi, et je sens ses larmes couler sur mon épaule, se mêlant à mon rythme cardiaque effréné. L’odeur douce et familière de son parfum me frappe, me déstabilise, et pourtant je ne la lâche pas.

— Tu m’as tellement manquée… murmuré-je, la voix étranglée, étranglée par la rage de ces années perdues, par la peur de la perdre à nouveau.

Elle tremble contre moi, ses mains pressées contre mon dos, cherchant un point d’ancrage.

— Tu m’as manqué aussi… parvient-elle à articuler entre deux sanglots.

Je ferme les yeux, incapable de retenir mon émotion. Tout mon corps, chaque fibre de moi, hurle contre le temps perdu, contre l’absence, contre la douleur de ces années où elle n’était pas là. Et pourtant, là, dans mes bras, elle est entière, et le monde pourrait s’écrouler autour de nous que je ne la lâcherais pas.

Ma main parcourt dans son dos menu, cherchant à la rassurer. Mais, au fond, c’est moi que j’apaise. Nous restons ainsi un long moment avant que je me détache doucement.

— Qu’est-ce que tu veux manger ? demandé-je en chassant une dernière larme de sa joue.

— Chinois, répond-elle enjouée.

Je souris malgré moi. Elle me le rend, et ce simple échange allège un peu le poids qui m’écrasait la poitrine.

— Chinois, ce sera alors.

Je me redresse.

— Tu veux prendre une douche ? J’ai des vêtements propres.

Je l’observe, jaugeant sa corpulence.

— Je crois qu’ils t’iront.

Je n’avais pas remarqué que ma voix tremblait avant qu’elle ne me prenne de nouveau dans ses bras.

— Ok, dit-elle avec un petit rire. Puisque je pue, fait-elle en reniflant ses aisselles.

Je me redresse vivement.

— Je n’ai jamais dit ça !

À son sourire malicieux, je comprends qu’elle se moque de moi.

— Fais comme chez toi, dis-je finalement en m’éloignant vers le salon, dissimulant mal la tendresse qui m’envahit.

Vingt minutes plus tard, nous sommes tous les trois dans le séjour, des bols fumants de nouilles, de poulet et de nems étalés sur la table basse. L’odeur d’épices emplit l’air, et lorsque je lève la tête de mon plat, observe la pièce, j’ai un pincement au cœur. Pour la première fois, cet endroit ressemble presque à un foyer.

J’observe Sandra dévorer son plat, comme si elle n’avait pas mangé depuis des jours. Peut-être est-ce le cas.

Je ne sais rien d’elle. J’ai tout fait pour garder mes distances, le plus possible, pour éviter d’en apprendre trop et de m’impliquer davantage. Moins j’en savais, moins je risquais de créer des problèmes supplémentaires. Même maintenant, une partie de moi refuse de croire qu’elle est devant moi, assise dans mon salon. J’ai l’impression que tout cela pourrait s’évaporer si je cligne des yeux. J’ai tant de choses à lui dire, tant de questions à poser, que je ne sais pas par où commencer. Alors, je dépose mes baguettes, inspire, et laisse échapper la première question qui a surgit de mon esprit dès l’instant où elle a émergé de la pénombre.

— Comment m’as-tu retrouvée ?

Un silence s’abat aussitôt. Le cliquetis des baguettes cesse. Adrian pose un regard sur Sandra, puis sur moi, avant de retourner à son repas, feignant l’indifférence. Sandra, elle, termine tranquillement sa bouchée de nem, s’essuie les doigts, prend une longue gorgée de sa limonade à la framboise, puis s’essuie délicatement les lèvres. Je lance un coup d’œil à Adrian, mais il garde les yeux rivés sur son bol, tandis qu’un léger sourire en coin trahit son amusement.

Je croise les bras. Elle hausse simplement les épaules, comme si ma remarque glissait sur elle.

— Il y a quelques semaines, exactement trois jours avant mon anniversaire, des friandises ont été livrées chez moi, commence-t-elle d’une voix calme. C’est à ce moment-là que j’ai su que tu étais en vie.

Je la fixe, une multitude de questions jaillissant dans mon esprit.

— Les sœurs ont dit que tu étais morte. La police l’a confirmé deux ans plus tard. J’y ai cru, longtemps… mais au fond de moi, j’espérais que ce ne soit pas le cas. Après tout, on n’avait jamais retrouvé ton corps. Ni celui des autres filles.

Elle marque une pause, les yeux baissés sur son assiette, comme pour retenir le tremblement dans sa voix.

— Les bonbons que j’ai reçus étaient mes préférés, mais depuis ta disparition, je ne pouvais plus les supporter. Je n’arrivais pas à les voir sans penser à toi. À l’aide que tu apportais à Adélaïde, la fille des cuisines, en échange de ces friandises pour moi. Ces bonbons… c’était toi. Ton attention, ta façon de veiller sur moi. Et quand tu es partie, ils sont devenus un rappel constant de ton absence.

Elle relève la tête.

— Personne ne savait qu’ils avaient une telle importance pour moi. Ni ma famille d’accueil, ni mes amis, ni mes camarades. Alors, quand je les ai reçus, juste avant mon anniversaire, j’ai compris. Ça venait forcément de toi. Personne d’autre ne pouvait savoir. Peut-être Adélaïde… mais elle a quitté l’orphelinat peu après ta disparition. Alors qui d’autre, sinon toi ?

Son regard s’ancre dans le mien, brûlant d’une certitude que je n’ai pas la force de contredire.

— Je l’ai pris comme un message, un appel à l’aide, un moyen de te retrouver.

Ma gorge se serre. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Elle est là, et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

— Comment… comment as-tu su où me trouver ?

Ses joues se colorent légèrement.

— Je suis plutôt douée avec les ordinateurs, murmure-t-elle avec un sourire timide.

Je fronce les sourcils.

— En fait, c’était assez simple. Long, mais simple. Mon ordinateur n’a pas une grande puissance, alors le programme de reconnaissance tournait au ralenti.

— Quoi ?

Elle lève un index pour m’interrompre, prend une nouvelle gorgée de limonade et reprend avec calme.

— J’avais trois hypothèses concernant les bonbons. Soit un livreur s’était chargé de la livraison, soit quelqu’un en lien avec toi… ou alors, toi-même. Et c’est sur cette dernière option que j’ai misé. Alors j’ai piraté les caméras de surveillance autour de mon quartier. Et j’ai trouvé ceci.

Elle se dirige vers la chambre et revient avec son sac à dos. Elle en sort son ordinateur portable, lui aussi rose, recouvert de stickers aux couleurs vives, de petits personnages aux coiffures improbables, comme des poupées animées sorties d’un dessin animé, chacune avec une expression étrange et… charmante à la fois. Elle allume la machine, la déverrouille et, après quelques manipulations rapides, la tourne vers moi.

C’est à ce moment-là que je remarque qu’Adrian, lui aussi, a délaissé son bol de nouilles. Il observe l’écran avec la même concentration que moi, silencieux mais attentif.

— La photo est floue, murmure Sandra, on ne voit pas bien la personne… mais c’est clairement une femme.

Je fronce les sourcils. Ce jour-là, j’avais porté un ensemble noir, une casquette assortie et un pull à capuche. L’accord avec Vladimir stipulait que je ne pouvais la voir qu’une fois par an, sans jamais entrer en contact direct. Je pensais avoir été prudente. Et, à vrai dire, pour un œil moins affûté, je serais passée inaperçue.

Je lève les yeux vers ma sœur, pleine d’admiration et d’étonnement. Elle me répond par un clin d’œil espiègle. Ce petit geste me prend complètement au dépourvu, mais provoque un éclat de rire que je ne peux retenir.

— À ce stade, je ne pouvais pas confirmer que c’était toi. Six ans étaient passé, et je n’avais aucune idée de ton apparence actuelle. Ce qui était sûr, c’est qu’un livreur normal ne se cache pas, n’évite pas les caméras comme ça. Alors j’ai cloné ton empreinte numérique et j’ai lancé des recherches dans toutes les bases de données auxquelles j’avais accès. Je n’ai pas réussi à retrouver quel vol tu avais pris à l’aéroport. Et comme je déteste les devinettes, j’ai procédé méthodiquement. J’ai commencé par l’Europe de l’Ouest, puis l’Est, le Sud, le Nord… Ensuite l’Afrique, puis l’Amérique. Ça m’a pris six longues semaines. Une fois que je t’ai localisée, le reste a été plus simple. J’ai pu suivre tes déplacements, tes passages dans certaines zones. Je n’étais pas toujours sûre que c’était toi, mais… puis je suis tombée sur cette photo.

Elle s’interrompt un instant, baisse légèrement la voix.

— Tu es douée pour éviter les caméras, mais sur celle‑ci, on te voit assez clairement pour que je sache que c’était toi. Catelyn. Ma grande sœur.

Elle me tend l’écran. Une photo de moi, assise dans ma voiture, le regard concentré sur la route, le volant entre mes mains, la lumière du soleil reflétant sur le pare-brise

Je reste bouche bée, incapable de détacher mes yeux.

— Où as-tu appris tout ça ? murmurai-je, encore sous le choc.

— J’ai appris seule, répond-elle en détournant le regard.

Je devine qu’elle ne me dit pas tout.

— J’aurais pu venir plus tôt, mais une semaine après mon anniversaire, des avocats sont venus frapper chez ma famille d’accueil pour m’annoncer que j’avais hérité d’une fortune colossale. Je pensais que c’était des escrocs, mais non. Je… je n’arrive toujours pas à y croire.

Je souris.

— Catelyn, dit Sandra en surprenant mon regard. Tu en sais quelque chose ?

Je hausse les épaules. Pas besoin de mentir. Il est temps que tout soit clair.

— Nos arrière-arrière-arrières grands-parents, du côté de maman, étaient des… marquis. Nous sommes les De Rosière.

— Oui, je l’ai vu sur les documents qu’ils m’ont fait signer, répond Sandra, les yeux brillants. Tu y crois, toi ? On les a même évoqués en cours d’histoire à l’école. Tu imagines ?

Notre famille, enfin, celle du côté de notre mère, élevait du bétail de race et fournissait des couvertures en laine fine aux familles royales. Au fil des ans, ils ont élargi leur clientèle aux familles fortunées sans titre, puis progressivement au reste du peuple. Ils ont diversifié leurs activités et commencé à produire de la literie de luxe pour les hôtels haut de gamme, les manoirs et les résidences privées. Par la suite, ils ont investi dans des entreprises en dehors de leur domaine d’origine. Ils ont ouvert des filatures de soie, des ateliers de tissage et de confection, et se sont lancés dans la production de tissus précieux pour la haute couture. Ils fournissaient également des accessoires de décoration intérieure, des tapisseries, et même des ameublements sur mesure. Au fil des décennies, ils ont acquis des parts dans des sociétés financières, des maisons de joaillerie, et des marques de luxe, étendant leur empire bien au-delà des frontières françaises.

— Les parents de maman l’ont reniée lorsqu’elle a épousé notre père, dis-je en grimaçant. Parce qu’il n’était pas assez digne pour leur fille. Il venait d’un milieu modeste, sans titre et sans fortune. Ils lui ont dit que si elle divorçait de lui, elle récupérerait leur part à eux de l’héritage familial. Le nom, les terres, la fortune… Mais elle n’a jamais cédé.

Je marque une pause.

— Lorsque je suis venue au monde, ils ont révisé leur testament. Ils m’ont tout légué, enfin à leurs petits-enfants, maman étant leur enfant unique. Ayant été déclarée morte, tout te revenait donc automatiquement. Une clause stipulait qu’on ne pouvait en hériter qu’à la majorité. Et te voilà, à dix-huit ans, héritière d’une fortune inestimable.

Sandra me fixe, interdite.

— Tu savais tout cela quand nous étions à l’orphelinat ?

Je secoue la tête.

— Non.

— Alors… comment l’as-tu appris ?

Je détourne légèrement le regard, une ombre passe dans mes yeux.

— Et bien, ma sœur, tu n’es pas la première à m’avoir retrouvée.

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