Chapitre 4 : Au bout des ratures, l'Impur

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Sentia ouvrit difficilement les yeux… avant de les refermer aussitôt. Une masse de sable s’était levée du désert où elle s’était effondrée et l’enveloppait complètement. Désert… ?

Elle se risqua à ouvrir un œil, vite douloureux, pour observer les alentours. Une vouivre planait au-dessus d’une falaise. Ici et là, des poissons dorés sortaient du sable et y rentraient avec empressement. Enfin, des gallinacés bleus roulant sur eux-mêmes achevèrent de lui faire comprendre où elle avait atterri.

— La mer de sable de Nam-Yensa… Je suis dans le Jagd !

— Exact.

— Où es-tu ?

Reconnaissant la voix de la jeune fille, elle tourna sa tête de tous les côtés pour tenter d’apercevoir sa silhouette maigrelette, mais ne la vit nulle part. Un nouveau coup de vent sablonneux la remit à terre.

« Il faut que je m’en aille d’ici le plus vite possible », pensa-t-elle. « Je reconnais le myste du Jagd. Je n’aurai pas le même problème que l’autre fois, mais il vaut mieux que j’économise ma magie pour l’horreur qui va suivre. »

Et elle se mit à courir vers le lieu le moins chargé en myste. C’était certainement la sortie vers une autre région. Ce faisant, elle repensa au combat contre Adrammelech. Pourquoi n’avait-elle pas pu voler jusqu’à l’éon ? Combattre un éon volant dépourvue de magie avait été un calvaire. Pouvait-il y avoir pire… ?

Tendant ses bras en avant, elle finit par tomber sur quelque chose de solide. Palpant la surface, elle conclut à une cavité rocheuse et s’y engouffra. Plus de tempête de sable ! Elle en profita pour souffler un bon coup. Mais il faisait si froid, dans cette grotte… Si seulement elle pouvait ressentir une fraction de la chaleur qu’elle ressentait avec Lui…

— Désolée, je ne pouvais pas vous parler davantage. Je n’ai pas beaucoup de défauts mais le sable abîme mes parois spectrales…

L’écho qui se dégageait de ces paroles était si assourdissant que Sentia poussa un énorme cri et voulut fondre dans la roche contre son dos. L’apparition de la silhouette fantomatique, à l’orée de cette grotte sombre et froide où rien n’était visible, acheva de la faire bondir d’effroi.

— Eh ! Madame ! Ce n’est que moi !

La jeune femme ouvrit grand ses yeux, avala sa salive, et jeta un œil autour d’elle avant de se concentrer sur le spectre désormais familier.

— Ne me fais plus une peur pareille. Et par pitié, ne m’appelle plus Madame.

La jeune fille ricana :

— Je suis obligée d’être polie avec vous. Sinon, ma mission sera compromise…

— Quelle est ta mission, au juste ?

La petite plaça son index devant ses lèvres transparentes avant de désigner le plafond.

Sentia bondit une nouvelle fois : un slime verdâtre venait d’en tomber et se dirigeait vers elle. Pas question d’user avec ces flans des magies de vent avec lesquelles elle avait voulu chasser la tempête de sable ! Et pas le temps de trouver une quelconque solution pour s’en débarrasser, d’ailleurs.

— On décampe !

Stupéfaite, la fillette croisa les bras sur place avant de planer vers sa compagne. Derrière elles, les mollusques visqueux émettaient un bruit liquide en se déplaçant. Elles coururent ou volèrent pendant plusieurs minutes, évitant toutes sortes d’autres monstres, dont d’effrayants archéo-eibis – les plus anciens des dragons, à la vision éteinte mais aux ailes fines prêtes à les déchiqueter. Enfin, elles arrivèrent, en prenant un raccourci invisible au détour d’une falaise, à un terrain vague. Sentia souffla de nouveau.

— J’étais pourtant sûre qu’il y avait un cristal de régénération à cet endroit de Zertina… se demanda-t-elle tout haut.

— Ah, fit le fantôme. Vous savez donc que vous êtes à Zertina. Je vous déconseille de vous reposer ici.

— Je ne suis pas un spectre, moi ! J’ai besoin de respirer avant de pouvoir courir. Et je ne vole toujours pas… je ne sais pas pourquoi ! s’énerva Sentia, impuissante.

— Mais vous n’avez pas besoin de courir. C’est ici.

La combattante alla demander de quoi elle parlait lorsqu’instinctivement, ses katanas apparurent dans ses mains. Un son atroce se fit entendre depuis le fond de la caverne. Son souffle régulier s’arrêta tout d’un coup : la puissance magique de la créature qui s’avançait dans la brume était, malheureusement, encore supérieure à celles rencontrées jusqu’ici. Une larme de désespoir coula depuis son œil droit tandis que le gauche s’humidifiait. Comment survivre ?

C’est alors que la brume se dissipa, presque instantanément, et le monstre le plus corpulent qu’elle n’eût jamais aperçu se tint devant elle. Elle prit une seconde pour réfléchir puis fonça sur lui. Au cours de son élan, elle troqua ses katanas pour sa dague acérée. Dès qu’elle arriva au côté de la créature, elle lui décocha plusieurs coups avant de s’éloigner, pressentant un grand danger. Et en effet, de la blessure ouverte infligée par la dague s’échappèrent quantité de gaz malodorants et porteurs d’une magie néfaste.

— B… Bien joué, commenta le fantôme bouche bée.

— Cette ordure va être beaucoup plus difficile à achever que prévu ! Comment se fait-il qu’il y a ces gaz ? Tu sais à quoi ils servent ?

— Oh, rien de spécial. Seulement du poison. Beaucoup de poison. Ainsi que des éclats des sorts Nécrose, Inertie, Inaction, et Lenteur… Vraiment rien de particulier.

— Vraiment ! s’emporta Sentia en contournant une nuée de gaz. Et qu’est-ce qu’il m’arrivera si ça me touche ? Tu sauras me soigner ?

— Je ne suis pas une combattante, vous ai-je dit. Je ne suis pas ici pour cela.

Se tournant vers elles, le monstre souleva une patte pour la ramener au sol très rapidement dans leur direction. La roche du sol se fissura sur son passage.

— Lui aussi, c’est ton ami… ? demanda la combattante, les yeux exorbités.

— Oui, répondit la jeune fille. Cúchulainn a été envoyé en Ivalice pour ingurgiter la moindre « ordure », comme tu l’as appelé. Mais ce n’est pas de sa faute s’il est devenu tout amoché… Il a pris sa tâche trop au sérieux. Maintenant, il ne reconnaît plus personne…

L’éon tenta une nouvelle attaque, similaire à la première. Sentia en profita pour se glisser sous la masse énorme et planter sa dague de l’autre côté. Cúchulainn hurla.

— Tu m’excuseras… ! fit la jeune femme en s’éloignant loin de la nouvelle salve de gaz.

— Courage, Cúchulainn… Résiste ! fit l’autre d’une voix triste en secouant la tête.

Sentia grinça des dents et s’apprêta à repasser à l’action lorsqu’elle hurla à son tour.

— Je sens mes forces qui m’abandonnent !

Cúchulainn, lui, paraissait plus fort que jamais.

— Je n’étais pas au courant de cette capacité, avoua le spectre en se tenant le menton. Ca doit venir de l’environnement de Zertina.

— Pas du tout, ça vient de lui ! insista la combattante en désignant la créature qui ricanait.

Deux lames traversaient la tête de celle-ci, en forme de losange. Des symboles mystérieux, comme une trace d’anciens tatouages, étaient visibles sur la peau verte de l’éon. Les bras monstrueux de Cúchulainn, protégés par des brassards d’armure ornés de grosses épines, étaient aussi effrayants que les minuscules pattes couvertes de jambières aux motifs rouges, et que les fentes sombres de ses yeux surplombant une dentition digne d’un dragon des mers. Cette vision, associée à la puanteur de l’arène, provoqua chez Sentia une sensation de malaise qui remontait à son enfance. Pourquoi certaines personnes devaient vivre dans ces conditions et pas d’autres ? Et pourquoi lui avait-on confié à elle le commandement des uns et des autres ? Ces deux mondes étaient pour toujours dénués d’équilibre…

— Ohé ! Ce n’est pas le moment de rêvasser !

Rappelée à la réalité par les cris du fantôme, elle voulut fuir mais ses jambes la clouaient sur place. Elle utilisa alors la force de ses bras pour ramper, mais l’éon se rapprochait dangereusement. Pour s’en sortir, elle rassembla sa magie et lança un sort de feu. Elle put détecter quelques dégâts chez sa cible, mais rien qui l’empêchât de poursuivre sa route avec un sourire diabolique.

— Mauvaise affaire ! expliqua la jeune fille. Cúchulainn est très bien entraîné côté magie…

Il fallait donc poursuivre les attaques physiques. Mais comment faire avec un corps qui lâchait prise et se rapprochait du Coma d’un instant à l’autre ?

— Graouh !

Elle évita de justesse un coup direct du bras surarmé vers le sol où elle gisait, en roulant sur elle-même. Cúchulainn, très concentré, translata son regard vers sa nouvelle position, toujours en montrant ses dents. La jeune femme frémit et ferma les yeux. Il lui fallait trouver au plus vite le moyen d’en finir. Lui, avec Sa grâce et Sa majesté, l’aurait certainement trouvé depuis longtemps…

— Graouh !

L’éon sauta à plusieurs mètres et entama sa chute. Par réflexe, Sentia se cacha le visage d’une main et leva l’autre, celle qui tenait la dague, vers le ciel. Quelques secondes plus tard, elle n’entendait ni ne sentait toujours rien. Que s’était-il passé ? Elle ouvrit les yeux et constata que sa dague avait percé le ventre de la créature, tombant sur le côté. Cúchulainn criait de douleur.

— J’ai compris !

Sentia fronça les sourcils et, de toute la force de ses bras, s’appliqua à transpercer l’énorme panse de l’éon, d’où s’échappaient encore une fois des nuages entiers de gaz toxique.

— Pourquoi ? demanda la jeune fille hébétée. Vous ne pourrez pas l’éviter !

Mais Sentia s’en moquait. Seule importait la victoire. Déjà, le poison pénétrait ses voies respiratoires et elle avait du mal à reprendre son souffle. Néanmoins, progressivement, les pattes de Cúchulainn chancelaient, le monstre avait peine à riposter et ses altérations positives ne suffisaient plus à lui octroyer l’avantage. Elle continua à donner des coups de dague partout où elle le pouvait, à mesure que des blessures apparaissaient sur ses bras et ses joues, à mesure qu’elle se sentait la force de raturer toutes les erreurs de sa vie. Enfin, elle fut la cible de l’altération Lenteur et la fréquence de ses dégâts se réduisit de moitié. À ce stade, elle tenta de respirer mais quelque chose bloquait au niveau de sa gorge. Larmoyante, elle faillit abandonner lorsque le colossal éon vacilla d’une manière dangereuse. Elle roula de nouveau le plus vite qu’elle put et exulta lorsque le monstre tomba. Autour d’eux, les nuages violacés avaient envahi le petit havre de paix des grottes de Zertina. Nulle part se trouvait le moindre souffle d’air pur. Le gaz traversait le fantôme de toutes parts, et celui-ci, malgré l’absence d’effet, ne cessait de s’agiter.

— Ce n’est pas… terminé…

Bravant le dégoût que lui inspirait la panse majoritairement ouverte et dégoulinant de liquide noir et de gaz, elle saisit le premier morceau de peau verte qu’elle trouva et se hissa sur Cúchulainn.

— Ah ! Au secours… Mais, que faites-vous ? s’interrogea le spectre.

Sentia se concentra et troqua la dague pour son épée à deux mains. Ne lui restant plus beaucoup d’énergie, elle se courba sous le poids de l’arme, mais parvenait à la porter. Au moment où les fentes malicieuses de la créature s’ouvraient dans une expression d’horreur, la jeune femme se servit de son ventre pour se propulser en hauteur. Cúchulainn, au moment où elle atteignit le pic de son vol, s’apprêtait à se relever. Cependant, la vitesse de la chute fut suffisante pour que la combattante pût placer son coup d’épée à temps, tranchant le monstre en deux.

— Incroyable ! s’exclama la jeune fille, peu à peu isolée dans une bulle d’air pur alors que le gaz se dissipait.

Devant elles, Cúchulainn disparaissait, particule par particule, et ne laissa bientôt plus que le médaillon du Scorpion. Une fois le gaz totalement évacué, Sentia inspira bruyamment puis tomba à terre.

— Félicitations ! fanfaronna la fillette en la rejoignant. C’était digne de Nabrialès !

Mais les larmes que la combattante retenait se mirent à couler tandis qu’elle se lamentait :

— Je veux mourir !

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