Le frisson de l'élan
La bibliothèque est vide à présent. Les lumières se tamisent une à une au-dessus des rangées désertées. Marie-Louise est restée là, immobile, longtemps après le départ de Côme.
Ses doigts ont lâché le stylo. Elle fixe la page blanche de son carnet comme on regarde l’horizon — à la recherche de sens, d’un mot, d’un souffle. Ses pensées tournent, reviennent en boucle sur cette dernière phrase.
« Tu dégages une sorte de paix. »
Elle ne sait pas s’il le pensait vraiment, ni ce qu’il voulait dire exactement. Mais il l’a dit. À elle. Et c’était doux. Simple. Brut. Suffisant pour ébranler ses murs de peur.
Elle ouvre son carnet, lentement, comme si elle n’osait pas briser le silence, puis elle écrit. Pas une lettre cette fois. Juste quelques lignes. Une trace. Des pensées à l’état pur :
"Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Et si c’était le début de quelque chose ? Peut-être que je n’ai pas rêvé. Peut-être que je peux avancer. Juste un peu."
Un mince sourire étire ses lèvres. Elle range enfin ses affaires, les gestes plus légers, presque fébriles. Une énergie étrange pulse dans ses veines. Elle a encore peur, bien sûr, mais quelque chose s’est déplacé en elle. Un fil s’est tendu. Et il tire doucement vers l’avant.
Quand elle sort de la bibliothèque, l’air de la nuit est tiède, chargé d’une humidité douce typique de Venise. Les pavés brillent légèrement sous les lampadaires. Elle traverse la petite cour, pressée de rentrer mais pas encore prête à quitter le moment.
Et soudain, il est là.
Côme, adossé au muret, les bras croisés, regardant son téléphone d’un air distrait. Il lève les yeux presque au même instant.
— Ah... tu sors enfin.
Marie-Louise s’arrête, figée. L’adrénaline pulse dans sa poitrine.
— Je pensais que tu étais parti, dit-elle d’une voix un peu trop légère.
— J’ai traîné. Il fait bon ce soir. Et... je voulais te parler.
Elle sent son cœur cogner contre ses côtes. Mais elle avance, pas à pas, et s’arrête à côté de lui. Il sent l’encre et le cuir, une odeur familière qu’elle reconnaîtrait les yeux fermés.
— Je ne voulais pas te gêner tout à l’heure, reprend-il. Mais j’aime bien ces moments de calme. Et avec toi... c’est simple.
Elle ne répond pas. Elle n’ose pas. Mais elle sourit. Il le voit. Et lui aussi sourit.
Le lendemain matin, l’air est plus clair, presque frais. Venise se réveille doucement, encore froissée de la nuit.
Marie-Louise marche seule, carnet à la main, dans les ruelles tranquilles près du canal. Ses pas sont plus assurés qu’hier. Ses pensées, plus ordonnées. Elle pense à la veille, à ce court échange. Aux non-dits.
Elle s’arrête sur un pont, regarde l’eau bouger sous elle, et se dit que quelque chose a changé. Ce n’est pas l’amour qui a disparu — au contraire, il est plus vif — mais la peur, elle, a reculé d’un pas.
Elle n’a plus envie d’attendre dans le silence.
Pas encore prête à tout dire, non. Mais assez courageuse pour s’en approcher.
Et pour la première fois, elle le sent : elle veut avancer.
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