Entre deux silences
Le soleil décline doucement sur Venise, peignant le ciel de reflets pêche et or. Le petit lac, légèrement en retrait des circuits touristiques, est un joyau secret que peu d’étudiants fréquentent. Ce soir-là, il est presque désert. Quelques feuilles glissent sur l’eau tranquille. Tout est paisible.
Marie-Louise arrive la première. Elle porte son carnet dans une main, son sac en bandoulière. Ses cheveux bougent doucement dans le vent tiède. Elle a le cœur battant, pas comme la dernière fois — c’est différent. Plus profond. Plus chargé d’attente.
Côme arrive quelques minutes plus tard, un sac sur l’épaule et un thermos dans la main.
— Salut ! J’ai pensé qu’un peu de thé glacé ferait du bien, dit-il en souriant.
Marie-Louise hoche la tête, sourit timidement. Ils s’assoient côte à côte sur la pelouse, dos à un arbre. Le carnet entre eux, posé comme un pont.
Au début, les mots sont timides, un peu flous.
— Tu écris toujours dans ton carnet ? demande Côme.
Elle regarde l’objet, puis lui.
— Tous les jours. C’est ma façon de comprendre les choses. Ou d’éviter de les affronter, parfois.
Il ne rit pas. Il écoute.
— T’écris quoi, exactement ? Des histoires ?
— Des romances. Parfois du fantastique. J’aime ce qui est... intense. Même si je suis plutôt l’inverse, en apparence.
Il la regarde plus longuement cette fois.
— Tu crois que t’es pas intense ?
Elle baisse les yeux, prise de court.
— Disons que j’ai... peur d’être de trop. Ou pas assez. C’est flou.
Un silence. Pas pesant. Juste chargé.
— Tu sais, moi aussi j’ai peur parfois. D’être transparent. De passer à côté. Alors je dessine. Ça pose ce que je ressens, même si je le dis pas.
Elle le regarde. C’est peut-être la première fois qu’elle sent leurs doutes se répondre.
Ils parlent encore un peu. De leurs rêves flous, de ce qu’ils feraient s’ils n’avaient pas peur, de la poésie romantique, et de ce fameux projet qui, pour l’instant, reste secondaire.
Quand la lumière baisse un peu plus, ils se lèvent et s’approchent de l’eau. Le bord est glissant par endroits, couvert d’herbes hautes et de pierres humides.
Marie-Louise s’accroupit pour regarder son reflet dans l’eau. Une image trouble. Comme elle. Côme reste près d’elle.
— Tu sais, commence-t-elle, je crois que c’est la première fois que je me sens... bien, là, avec quelqu’un.
Il ne répond pas tout de suite. Mais elle sent sa présence calme.
Puis soudain, son pied glisse sur une pierre.
Elle bascule en avant, un cri léger lui échappe.
Un bruit d’eau. Et un choc froid.
Elle tombe.
Pas profondément — le bord est peu immergé — mais assez pour paniquer. Son genou heurte une pierre, sa main cherche un appui.
Côme est déjà dans l’eau. Il n’a pas réfléchi. Ses bras la saisissent par les épaules, il la tire doucement vers lui, sans violence, sans mot.
— Ça va ? souffle-t-il, trempé, inquiet.
Elle cligne des yeux. L’eau glaciale l’a saisie, mais ce sont ses mains à lui, posées sur elle, qui la ramènent à elle-même.
Elle hoche la tête, les lèvres tremblantes.
— Je crois, oui...
Il l’aide à sortir, sans la lâcher. Et quand ils sont assis à nouveau sur la berge, essoufflés, trempés et riant presque de peur, quelque chose a changé.
Il la regarde différemment.
Et elle sent, dans ce regard, qu’il tient à elle plus qu’elle n’aurait osé l’imaginer.
Sans un mot, il pose sa veste sur ses épaules.
Et elle ne tremble plus.
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