Chapitre 36, partie 1 :

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Quelques minutes plus tôt

Angelo DeNil :


Will me guide vers la sortie, ses doigts mêlés aux miens. Il serre fort ma main, comme s'il avait peur que je disparaisse. Lorsque la porte se ferme à notre suite, je tire légèrement sur son bras pour qu'il pivote dans ma direction. Il s'immobilise face à moi, un sourcil haussé et les lèvres incurvées. D'un geste doux, il retire les boucles blondes qui couvrent quasiment mes yeux. J'aime quand il me regarde comme ça. Avec fascination. Comme si le monde tournait autour de moi. Comme si j'étais son monde.


— Qu'y a-t-il, trésor ? souffle-t-il en s'approchant de mon visage.

— Tu ne m'as pas embrassé depuis trop longtemps.


Je fais la moue alors qu'il rit doucement. Ses paumes se ferment sur mes joues tandis qu'il dépose sa bouche contre la mienne avec une lenteur qui me tord l'estomac. Je soupire de bien-être en passant mes bras dans son dos. Je souris comme un crétin heureux alors qu'il garde mes lèvres prisonnières des siennes. Jamais, dans cette vie ou dans une autre, je ne me lasserai de ses baisers, de sa tendresse et son amour. Nos âmes sont reliées, elles vivent l'une pour l'autre. Jamais l'une sans l'autre. Will est comme l'extension de moi même, son cœur et le mien ne font qu'un.

Après quelques instants, il appose son front contre le mien. Ses cheveux chatouillent ma peau alors que son souffle la caresse doucement.


— Satisfait ? murmure-t-il, un sourire dans la voix.


Je ferme les yeux, inspire profondément puis sourit à mon tour, réellement comblé.


— Oui.

— Très bien, alors dans ce cas on peut y aller.


Sa main glisse dans mon dos pour finir contre ma fesse, dans la poche arrière de mon jean. Il exerce une petite pression contre mon postérieur, m'intimant silencieusement d'avancer. À peine ai-je fait deux pas que je le sens s'arrêter dans mon dos. Je lui fais face, collant mon corps contre le sien tout en l'interrogeant du regard.


— Que doit-on prendre pour Loli, déjà ?


Je fronce les sourcils, tentant de me rappeler ce que ma sœur m'a réclamé.


— Je ne suis pas certain qu'elle l'ait précisée.

— Non, je ne crois pas.

— Bon bah, on va lui demander.


Je le contourne, ouvre la porte de la maison et traverse la cuisine, un sourire scotché sur le visage simplement parce que Will est collé contre mon dos. Il suit chacun de mes mouvements tel un mime en plein spectacle. Après un regard circulaire, je remarque que Loli n'est plus dans le salon. Pietro lève la tête et ouvre de gros yeux lorsqu'il tombe sur Will. Son corps se tend contre le mien mais je décide de ne pas y prêter attention.


— Où est Lolita ? demandé-je à qui voudra me répondre.


Ma Rose me sourit, installée sur les genoux de Maël.


— Elle est dans le jardin avec Judas.


Je fronce les sourcils en me demandant ce qu'elle fout avec lui. Puis finalement, je ne m'en formalise pas et traverse le salon afin de sortir. Une fois sur la terrasse, j'observe les alentours à la recherche de ma sœur. Je me crispe douloureusement face à ce qu'il se joue devant moi. Mon cœur cesse de battre momentanément alors qu'une déflagration de rage me transperce. Mon souffle se coupe plus brutalement que si j'avais reçu un uppercut en plein estomac.


— Eh merde, souffle Will dans mon dos.


Je pivote dans sa direction aussi rapidement que ma colère le permet.


Eh merde, répété-je en grinçant des dents. C'est ça, ta putain de réaction ?


Will blêmit, puis entrouvre les lèvres afin de parler. Je ne lui laisse pas le temps pour une quelconque remarque et fais volt face, les poings serrés et le sang battant à vive allure contre mes tempes.


— Fils de pute ! hurlé-je en approchant d'un pas vif. Je vais te buter, Bloom ! Putain de merde, éloigne-toi d'elle, je vais te fracasser !


Les épaules de Judas s'affaissent, tandis que Will braille dans mon dos sans que je prenne la peine de l'écouter. Blom se tourne vers moi avec précaution, les yeux écarquillés et le visage défait. Il domine Loli, la dissimule derrière son dos comme s'il tentait de la protéger d'une attaque imminente. Ma rage n'en est que décuplée. Les mâchoires et poings serrés, je m'immobilise à une distance réduite de ce connard. La rage au ventre, je lui abat mon pied entre les jambes en y mettant toute ma force et mon écoeurement. Un grognement de douleur lui échappe alors qu'il se courbe, les paumes contre son membre malmené. Ses joues rougissent et son souffle se saccade.


— Putain, De...Nil, t'es sérieux ? gronde-t-il en tentant de reprendre sa respiration.


J'espère que tu souffres, enfoiré !

Will m'enlace d'un geste ferme, son parfum s'infiltre dans mes narines mais, contrairement à d'habitude, ne suffit pas à me détendre.


— Calme-toi, Angelo, m'enjoint-il d'une voix douce.

— Me calmer ? Putain, mais lâche-moi ! Tout de suite, Will !


J'intercepte le regard de Lolita qui semble terrorisée, recroquevillée contre le muret du potager. Judas se redresse en expirant lentement. Il masse son entrejambe et pivote rapidement vers ma petite sœur. Il lève la main dans l'idée de la toucher, ce qui m'enrage davantage. Mon cerveau s'échauffe, mes pensées s'entremêlent alors que je me débats vivement pour briser l'étreinte de Will. J'écrase brusquement son pied alors que ses bras se resserrent autour de mon buste.


— Aïe ! peste-t-il en me relâchant. Bon sang mais tu vas arrêter !

— Ne la touche pas ! vociféré-je en attrapant le poignet de Bloom.


Son poing se lève face à mon visage. Je le fixe droit dans les yeux, attendant qu'il me cogne sans me démonter.


— Judas, grince Will, n'y pense même pas !


Bloom soupire et laisse lourdement retomber son bras. Rien à foutre qu'il ne réplique pas, moi je ne me gêne pas et me laisse mener par ma rage grandissante. Je lui assène un coup sur le bas du visage, sa lèvre se fendille et une légère trainée de sang glisse sur son menton. Il passe sa langue dessus et me fusille des yeux.


— Lolita, dégage ! lui ordonné-je. Rentre tout de suite et va voir Roselyne.


Elle semble enfin reprendre vie, sursaute et pose un regard effrayé sur moi.


— Angelo, tente-t-elle, laisse-moi t'expliquer...

— Casse-toi, merde !


Elle se fige, les yeux écarquillés, puis se met à pleurer et traverse le jardin à grandes enjambées. Les esprits s'échauffent, Rivierra et Tobias ont accourus, Will me sermonne mais je n'en ai cure.


— Je vais t'étrangler, grogné-je en pointant un doigt accusateur sous le nez de Judas.


J'amorce un pas qui se suspend dans l'air quand je suis vivement tiré en arrière. Je chancelle et me stabilise au bras de Will qui se place entre ma victime et moi.


— Ça suffit ! rugit-il, le regard sombre.

— T'es en colère contre moi ? halluciné-je. Putain ! Ton connard de pote avait la langue fourrée dans la bouche de ma sœur et t'es en rogne contre moi ?


Mon sang se glace, l'envie subite de chialer me brûle les yeux. Je me sens acculé, étrangement égaré. Je ne comprends plus ce qu'il se passe et le regard habituellement clair de Will est aussi obscur qu'une nuit sans lune.


— Angelo ! Arrête ça et laisse-le parler, me brusque-t-il en faisant un pas vers moi.


Il m'attrape les épaules et s'adoucit en constatant que mes larmes perlent. Je ne suis pas triste, bien au contraire. Mes sanglots silencieux ne sont que rage et déception. La réaction de Will m'enserre le cœur. Je m'éloigne de quelques pas, j'ai besoin de distance, et lève la tête vers le ciel pour expirer bruyamment.


— Ok ! soufflé-je pour moi-même. Respire Angelo, comme tu as appris à le faire au centre.


Parler seul comme un désaxé ne me pose aucun problème, ce qu'ils pensent tous de moi est le dernier de mes soucis. Je me sens trahi et bouillonnant de colère.

J'efface la larme qui coule sur ma joue en un geste rageur et tente d'effectuer les exercices de respiration que les sophrologues m'ont montrés lors de mon internement. Plus un seul bruit ne se fait entendre si ce n'est le son de mes inspirations saccadées. Le silence est désormais lourd et inconfortable alors qu'en moi, une tempête fait rage. Après un temps incertain, je bouscule Will sans ménagement et affronte de nouveau Judas. Mon amour ne me soutient pas et un sentiment déchirant de solitude m'essouffle.


— Ce n'est pas ce que tu crois, lâche finalement le coupable.


Mes poings se serrent une nouvelle fois et je lutte pour ne pas lui arracher le visage, les yeux et la langue.


— Tu as souillé ma sœur ! éructé-je. T'as foutu ta bouche dégueulasse sur la sienne ! La même qui a léché les amygdales des pouffes de la moitié du bahut ! Tu mérites de souffrir pour avoir ne serait-ce que pensé à la toucher !


Il soupire puis baisse la tête avant de passer une main lasse dans ses cheveux. Lorsqu'il me fixe à nouveau, plus aucune colère ne transperce ses yeux mais une lueur de désespoir se laisse doucement apercevoir. Son regard me perturbe plus que je ne l'aurais voulu et m'incite à déglutir pour déloger la boule qui obstrue ma gorge.


— Je sais ce que tu imagines mais ce n'est pas la vérité. Je suis...


Il laisse peser un silence qui me brise les côtes. Mon pouls s'emballe alors qu'il darde sur moi un regard suppliant.


— ... amoureux d'elle, termine-t-il.


Ma bouche s'ouvre de stupéfaction et une sueur froide me traverse l'échine.

Quoi ?

Non !

Quelle absurdité ! Comment peut-il prononcer de telles énormités ?


— Ah, putain ! Non ! Je t'interdis de te foutre de ma gueule. Je t'interdis de te moquer d'elle et de jouer avec son innocence. T'es qu'une enflure, Bloom !

— Je ne mens pas, répond-il avec une assurance qui me tord l'estomac.


Je brise l'écart qui nous sépare, attrape le col de son tee-shirt et lève la tête pour l'affronter. Judas est bien plus grand que moi et pourrait me briser le crâne en un coup de boule mais je ne m'en formalise pas. La colère m'anime. La rage me guide.


— Qu'est-ce que tu connais à l'amour, toi ? Tu sais baiser tes connasses et c'est tout ! Mais jamais, tu m'entends, jamais tu ne toucheras ma poupée !


Ses yeux s'obscurcissent, une tristesse immense tire ses traits et la vérité me saute au visage. Elle me blesse, me lacère la peau et ouvre mon cœur d'une fissure qui suinte le désespoir.

Ce regard ne peut pas mentir et ça me bute de l'admettre. Je le relâche, hébété. J'ai l'affreuse sensation que le monde vacille autour de moi. Mon cœur est malmené, ma tête est prise dans un étau au point qu'une migraine insupportable m'assaille. Je recule et m'emmêle dans mes pas. Je gémis de frustration et de douleur lorsque je m'écrase lourdement contre le sol.

Will s'accroupit près de moi, ses mains englobent mon visage alors que son expression chiffonnée me fait grimacer.


— Trésor, souffle-t-il contre mon visage, allez, relève-toi.


Je l'observe sans plus vraiment le voir, ma vision est trouble et mes oreilles bourdonnent. L'évidence me frappe brusquement, un goût amer se répand sur mon palais alors que je me demande dans quel foutoir j'ai encore atterri.


— Tu le savais, bredouillé-je, les yeux dans le vague. T'étais au courant.

— Non ! Il ne savait rien.

— Judas, soupire Will, c'est inutile de mentir.


Mon cœur se brise puis tombe en chute libre. Comment a-t-il pu ?


— On va discuter, je vais t'expliquer, d'accord ?


Je repousse ses mains avec dureté. En plus de la colère, l'amertume et la déception m'envahissent. Je me redresse en titubant, mettant une distance mesurée entre nous.


— Non, pas d'accord, putain ! Ne t'approches pas de moi.

— Angelo, s'il te plaît, souffle-t-il en levant les doigts dans ma direction.

— Ne me touche pas ! hurlé-je. Va te faire foutre, Will. Allez tous vous faire foutre


Je retiens mes cris de détresse entremêlés d'une fureur presque palpable et me mets à courir en direction de la sortie. Alors que je traverse le jardin, j'entends Will m'implorer de revenir. Je décide de l'ignorer, c'est trop pour moi. Il pourrait aisément me rattraper mais ne le fait pas. Je me demande, le temps d'une seconde, si c'est parce qu'il ne le souhaite pas ou si c'est Pietro qui le retient.

D'une main tremblante, je pousse le portillon qui donne sur l'avant de la maison et me mets à errer dans des rues que je ne connais que trop peu finalement. J'ignore où je vais et m'arrête dans ma course folle que lorsque mes poumons me brûlent suffisamment pour me donner la nausée. Je passe les doigts entre mes boucles et me laisse durement tomber sur le goudron. Les passants me regardent étrangement, je fais tâche dans ce quartier guindé. L'envie de leur hurler que je viens de sortir de psychiatrie me submerge et que, de ce fait, il ne faut pas m'approcher, ni même me regarder. J'ai envie de beugler que je suis cinglé et que je ravagerai quiconque fera un pas vers moi. Pourtant, je garde le silence, trop occupé à sangloter comme un enfant ayant pris la fessée du siècle.

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