Héraclius

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Héraclius était originaire de Chypre, une île sous domination romaine située au près du littoral de la Principauté d’Antioche, Etat Latin. Moine, il passait ses journées à honorer ses voeux de prière et de vénération. Les peintures à l’effigie du Christ et des empereurs de Constantinople qui décoraient la voûte de l’église Panagia d’Assinou animaient la foi débordante du jeune homme. Sur ses genoux, un bébé sommeillait emmitouflé dans un linge bleu. Héraclius avait supplié sa soeur aînée Manuela de le laisser emmener sa jeune nièce dans l’église pour lui faire entendre le plus tôt possible la voix de Dieu. Elle avait longuement hésité, mais connaissant la nature très patiente et prudente de son cadet, elle s’était résolue à la lui confier pendant qu’elle s’occupait de ses autres enfants. Héraclius avait emmené la petite Maria dans le monastère de Forvion où il s’adonnait à ses tâches pieuses, situé dans les forêts élevées au sud de leur ville natale de Gallakos.

Après quelques temps passés à promener l’enfant en plein air, Héraclius était rentré dans l’église dissimulée par les arbres. Maria s’était alors endormie sur les genoux de son oncle, bercée par ses chants de prière. Ils demeurèrent assis dans le silence solennel des lieux un long moment, puis le moine se leva et fit le tour de la petite église pour montrer les différentes icônes à sa nièce qui s’était réveillée. La jeune enfant toucha du bout des doigts le mur peint de bleu et d’or sur lequel l’icône du Christ resplendissait.

« Regarde Maria, commença t-il. Voici l’homme qui nous a ouvert les yeux. Il est descendu du Ciel et s’est sacrifié pour nous permettre de devenir meilleurs. Je pense que c’est là la plus noble des ambitions. »

Alors que le soleil commençait à s’effacer derrière la forêt, Héraclius se résolut à ramener sa nièce à Gallakos. En fermant les portes de Panagia, il aperçut une colonne de fumée s’élever au-dessus des arbres. Alarmé, il songea à un feu de forêt causé par les chaleurs renouvelées du printemps mais réalisa qu’il s’agissait d’un assaut. Son village était en flammes.

Le moine cacha l’enfant précipitamment dans l’église en espérant qu’elle y serait en sécurité et descendit le chemin menant au à Gallakos. Ses craintes y furent confirmées : une odeur de brûlé envahit ses narines. Devant lui, les maisons des chypriotes s’évanouissaient dans le brasier infernal auxquelles elles étaient en proie. Les flammes éclairaient la nuit tombée et les envahisseurs ; Héraclius reconnut les bannières et les tabards que ces derniers portaient. C’était la croix rouge sur fond blanc des croisés francs. Parmi eux, un homme plus robuste et fort que les autres perpétuait un massacre encouragé par les autres : ses cheveux longs et noirs créaient un contraste avec les couleurs claires qu’il représentait. Avec son épée il trancha les gorges des pères et des mères, frères et soeurs, vieillards et enfants. Les femmes qui n’avaient pas encore été tuées étaient violées sur les restes de leur maison ou de leur famille. D’autres étaient déjà mortes.

Héraclius demeura immobile, pris de peur pour Manuela et ses enfants. Ses dents se mirent à trembler, ses jambes semblèrent faillir. Remarqué par des chevaliers, il fut trainé devant l’homme à l’épée sanglante. En reconnaissant son habit ecclésiastique, ce dernier abaissa son arme.

« Je ne viens pas abuser Dieu, déclara-il. Je viens le débarrasser de ce dont il n’a pas besoin. »

Le chevalier attrapa les cheveux du jeune homme et un sourire narquois se dessina sur son visage. Soudain, il dégaina un poignard et trancha son nez. Héraclius, sous le choc, ne sentit pas immédiatement la douleur. Ce ne fut que lorsque le sang jaillit et dégoulina le long de son corps tel un torrent qu’il comprit ce qu’il venait de se passer. Une horrible agonie l’envahit alors et il s’affala au sol en hurlant.

Renault de Châtillon, originaire du royaume franc d’Occident, avait pillé et ravagé l’île en cette année de 1155 après que le basileus Manuel Ier Comnène avait refusé de payer les services qu’il avait offerts contre le prince d’Arménie. Les champs et palais furent incendiés, les cultures et le bétail pillés et massacrées, et tous comme les porcs qu’ils avaient égorgés, les croisés n’épargnèrent aucun citoyen qu’ils rencontrèrent. Les têtes des victimes de Renault de Châtillon ornaient les pierres effondrées des maisons romaines telles des joyaux sur une couronne. Héraclius et les moines furent épargnés, peut-être par peur d’une revanche divine. Le croisé les fit renvoyer à Constantinople.

Quelques semaines plus tard, lorsque la menace croisée avait disparue, le romain regagna l’île. Il s’attendait à retrouver le corps décomposé de sa nièce à l’arrière de l’église d’Assinou mais s’émerveilla de joie lorsqu’il apprit qu’elle avait été sauvée par un de ses frères. La forêt avait protégé l’église et le monastère des yeux des chevaliers, permettant à Maria de survivre. Dès lors, Héraclius prit soin d’elle comme sa fille, chérissant chaque moment qu’il passait avec elle.

Mais son enthousiasme s'eteignit bien vite ; au début niant la certitude que sa soeur et sa famille aient été massacrés, il finit par accepter la triste réalité. Héraclius sombra dans les plus sombres vices, s’en prenant à ses compagnons et défiant les règles saintes auxquelles il avait juré fidélité. Le regard de compassion des chypriotes, en aperçevant son visage, lui donnait l'impression d'être un lépreux ; ou bien on l'évitait, ou bien on le plaignait. Son passage rappelait à tous les évènements atroces dont il avait été l'une des victimes, comme si l'ombre du passé le poursuivait. Lorsqu'il ne put plus supporter les yeux des passants qu'il confectionna un cache-nez de cuir. Plus jamais celui-ci ne quitta son visage.

Maria, alors jeune enfant, dut endurer les crises de colère subites de son oncle. Durant cette période, elle se mit à avoir l’impression qu’on voulait lui faire du mal ; lorsqu'on lui demandait pourquoi, elle ne pouvait s'expliquer. Ses paroles restaient incomprises par les moines de Forvion et par Héraclius lui-même. Son visage autrefois rayonnant était devenu sombre, ses cheveux blonds étaient désormais gris ; ses yeux d’un marron presque doré très similaires à ceux de la jeune fille avaient terni.

Les autres moines se rendirent compte qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même et que leur générosité et leur patience à son égard ne pouvaient le ramener à la raison ; ils décidèrent de le chasser. Les deux romains prirent alors destination de Constantinople où ils vécurent six ans. Dès lors, une obsession pour la vengeance s'empara d'Héraclius. Un étrange oiseau, d'une taille aberrante et au plumage ébène lui rendait souvent visite lorsque celui-ci s’isolait le soir dans sa chambre. Maria n’avait jamais vu un tel animal et se plaisait à imaginer qu’il s’agissait d’une créature fantastique. Elle n’osait poser de questions de peur de déranger et s’imaginait toutes sortes d’histoires. Enfin, en 1177, son oncle entra dans sa chambre tôt le matin et la réveilla.

« Nous partons pour Jérusalem. » déclara t-il simplement avant de refermer la porte derrière lui.

Et c’est ainsi que Maria, à vingt-deux ans, fut contrainte de suivre son oncle comme elle l’avait toujours fait sans jamais connaître ses véritables intentions.

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