Interrogation

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Baudouin perdit la trace de Saladin dès que la nuit fut tombée. Il ne put pas s’aventurer davantage dans les montagnes par manque de praticabilité, alors il ordonna qu’on envoie des hommes au Sinaï empêcher le sultan de rejoindre l’Egypte. Enfin, il rentra avec ses troupes à Ascalon et fut accueilli en héros dès les premières lueurs du jour. A leur arrivée, les deux romains avaient été remarqués par la foule puisqu’ils étaient les seuls prisonniers. En effet, en réponse à Saladin pour avoir égorgé les survivants de Lydda, Baudouin avait décidé de faire de même. Cette réplique avait été inattendue de sa part car il était plutôt le genre d’hommes qui préférait épargner que tuer. Aujourd’hui cependant, il avait été strict et sans pitié pour les assaillants de son royaume, allure qu’il avait décidé de maintenir pour renforcer son apparence.

Maria avait marché près de son oncle jusqu’à la forteresse. Celui-ci n’avait pas prononcé le moindre mot. Le visage baissé, il avait l’allure d’un chien battu. Elle ne pouvait s’empêcher d’avoir honte de lui, et les humiliations répétées des chevaliers et de Renault de Châtillon empiraient ce sentiment. Malgré tout, elle restait près de lui dans l’espoir de le réconforter. Leufroy avait décidé de cacher Maria en chevauchant à ses côtés pour lui épargner les ardeurs de la foule mais n’avait pas fait de même pour Héraclius. Ce dernier était assailli de pierres et d’aliments sans même que les citoyens ne sachent ses crimes : pour eux, les chaînes suffisaient. Leufroy se délectait de sa souffrance après ce à quoi il avait assisté à Lydda. Maria restait silencieuse.

Baudouin fit enfermer Héraclius dans les cachots d’Ascalon en attendant leur départ. Il avait dit à ses chevaliers de s’assurer que ses mains étaient bandées et enchaînées pour ne pas qu’il reproduise ses tours de force. Maria avait été dépêchée devant les barons. En entrant dans la grande salle des chevaliers d’Ascalon, la jeune fille fut déconcertée par l’absence d’ornements et d’icônes de la pièce. Tout était gris et froid. Les pierres étaient humides, vieilles et salles, et il n’y avait que la lumière grandissante du jour pour éclairer les murs. Les barons l’entouraient et la dévisageaient du regard. Baudouin arriva peu après dans de nouveaux vêtements et s’assit sur une chaise en bout de pièce qu’on avait disposée pour lui. Lorsqu’il eut l’attention de tous ses hommes, il commença.

« Je pense que vous comprenez pourquoi vous êtes ici. »

Elle hocha la tête, le regard rivé au sol.

« Votre oncle a commis des atrocités dans une de mes forteresses. Il a massacré des innocents de la manière la plus inhumaine qu’il soit. Tout cela m’a été rapporté d’un chevalier qui prétend que vous l’avez aidé à échapper à cette tuerie. Vous en souvenez vous ? continua t-il en se penchant sur sa chaise.

- Oui, monseigneur, elle répondit.

- Pouvez-vous m’expliquer comment êtes vous intervenue ?

- J’ai frappé mon oncle à la tête avec une brique du parvis. »

Les barons s’échangèrent de longs regards. Certains secouaient la tête, approuvant ce témoignage qui correspondait à celui que leur avait donné Leufroy. Il se tenait dans un coin de la salle, la main posée sur le manche de son épée.

« Vous et votre oncle êtes des traîtres à la foi chrétienne, poursuivit Baudouin. Vous serez tous les deux jugés en conséquence. Je suis prêt à être plus clément envers vous puisque vous avez assisté un de mes chevaliers. Cependant, vous devrez me livrer des informations concernant l’armée musulmane. Y consentez-vous ?

- Oui, monseigneur.

- Y a t-il d’autres personnes aux côtés de Saladin qui possèdent des aptitudes similaires à celles de votre oncle ?

- Non.

- On m’a rapporté qu’il avait un oiseau doté d’intelligence.

- C’est parce-que les oiseaux sont des animaux intelligents, monseigneur. »

Châtillon ne put s’empêcher de pouffer, accompagné de Josselin. Les frères Ibelin firent les gros yeux au roi pour qu’il réagisse à cette remarque impudente. Celui-ci semblait trop fatigué pour comprendre.

« Avez-vous sympathisé avec des musulmans ? reprit-il. Qu’avez-vous appris sur eux ?

- Mon oncle peut s’allier à eux s’il le souhaite, mais mon coeur est chrétien. Je ne pourrais m’attacher à des hommes aussi barbares et dénoués de culture. Je n’ai aucune volonté de m’intéresser à eux et n’ai donc rien à vous apprendre. »

Baudouin fronça les sourcils. Elle répondait trop vite et trop bien. Elle ne ressemblait en rien à la petite femme tremblante et apeurée qu’il avait rencontrée au Mont Gisard. Même ses barons avaient remarqué cette différence d’attitude. Ce soudain saut de confiance ne devait pas venir de nulle part. Maria avait la posture droite, les mains jointes devant elle et le visage impassible. Le garçon fut pris de fascination pour la jeune fille qui avait retrouvé un calme olympien devant une assemblée d’hommes aguerris.

« Je vois. Vos actions à Lydda semblent prouver votre dévotion.

- Majesté, je me permettrai de souligner que cette femme a été entraînée contre son gré par son oncle à joindre l’armée musulmane. Elle n’avait aucune raison de s’affilier à Saladin, intervint Leufroy en s’approchant.

- N’avait-elle aucune bonne raison ? fit Baudouin en zieutant Châtillon.

- Les actes de guerre sont regrettables, Sire, ajouta Renault, mais ne justifient pas la traîtrise et le massacre de ses pairs.

- Non, il est vrai. Cependant les actes de guerre ne justifient pas la cruauté.

- Sire— s’indigna t-il.

- Assez. J’ai pris ma décision. Vous nous accompagnerez tous les deux à Jérusalem et j’y déterminerai la sentence de votre oncle. Quant à vous, je m’assurerai que vous soyez logée et protégée, mais vous n’aurez pas l’autorisation de quitter le palais tant que je n’aurai pas pris de mesures vous regardant. »

Baudouin se leva de sa chaise. Il manqua de tomber. Balian accourut à ses côtés pour l’aider. Le garçon lui fit signe que tout allait bien. Les barons regardaient la scène, conscients que malgré les prouesses militaires de leur roi, il restait bien trop fragile pour diriger un royaume. Et rien n’allait aller en s’arrangeant. Le garçon congédia ses sujets, regarda Maria en coin et se dirigea vers ses appartements. Leufroy l’interpela.

« Je resterai à tes côtés, si tu le souhaites.

- Merci. Merci pour tout, fit-elle en lui souriant.

- Non, c’est moi qui te remercie. Je ne serais pas de ce monde aujourd’hui sans ton aide. »

Leufroy voulut la conduire dans sa chambre pour qu’elle aie un endroit où rapidement se reposer, mais elle préféra rejoindre son oncle. En descendant dans les cachots, elle le trouva recroquevillé dans un coin sombre de sa cellule. Lorsqu’il la vit, son regard sembla s’illuminer. Elle ne dit rien. Elle s’assit près des barreaux et ferma les yeux.

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