Arrivée à Jérusalem

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Le roi pénétra dans le palais après avoir déambulé dans la ville une bonne heure. Là, les serviteurs et les réguliers de la Cour s’inclinèrent et le saluèrent chaleureusement, acclamant son tour de force ; en réalité, personne n’avait cru au premier abord à la victoire des croisés. Beaucoup de résidents de Jérusalem avaient commencé à quitter la ville lorsqu’ils entendirent que Saladin avait retranché l’armée chrétienne à Ascalon. Leur surprise avait été grande quand la nouvelle de la défaite des égyptiens avait atteint les murs de la cité. Personne ne croyait en ce miracle, même les prières avaient semblé futiles. C’était sûrement l’amour d’une mère qui avait suffi à convaincre Dieu de se battre du côté des francs.

La reine mère ouvrit les bras et tenta d’enlacer son fils. Baudouin eut un mouvement de recul.

« Mère, vous ne devriez pas—

- Le Seigneur ne saurait s’interposer ! Ne faites pas votre timide, fit-elle d’un ton joyeux.

- Je ne voudrais pas vous contaminer, mère. » déclara t-il en refusant son étreinte.

Les frères Ibelin se regardèrent en coin, un sourire narquois se dessinant sur leurs lèvres. Ils trouvaient cette femme très intrusive et trop présente dans la vie de la Cour. Depuis que son fils était roi, elle y était revenue et exerçait une forte autorité. Les années passées loin de sa mère, répudiée par son père Amaury, avaient contraint Baudouin à céder à ses supplications pour ne pas se la mettre à dos. Ceci étant, il avait parfois pris de mauvaises décisions, sous son influence. Il en allait de soi qu’elle n’était pas très appréciée à la Cour.

Balian et son frère se tournèrent vers Maria qui depuis leur arrivée à Jérusalem s’était faite toute petite dans leur ombre. Le premier commença :

« Voici la reine mère, dame Agnès. Si vous deviez interagir avec elle, restez courtoise et respectueuse. Elle se plait à mener les rênes, il serait fâcheux qu’elle vous disgracie auprès de sa Majesté.

- On l’appelle ‘la Harpie’ par ici. » plaisanta Baudoin.

Son frère lui fit les gros yeux avant de lui frapper le bras. Maria sourit, amusée.

« Je comprends. Merci de l’avertissement. »

Malgré le fait que leur première rencontre avec eux fut tout sauf plaisante et rassurante, la jeune femme s’était prise d’affection pour les deux héritiers de la maison d’Ibelin. Elle avait voyagé auprès d’eux et même si leurs ordres étaient de la surveiller, ils l’avaient divertie plus qu’autre chose avec leurs chamailleries. Ce qui était surprenant, c’était que Baudoin, de dix ans l’aîné de Balian, était le premier à chercher le conflit. Le cadet, d’une trentaine d’années, était plus calme et réfléchi. Les deux hommes barbus et aux longs cheveux châtains avaient l’apparence de brutes mais semblaient toujours avoir l’âme d’un enfant. Au début très prudents et froids, Maria s’était sentie plus à l’aise dès qu’ils avaient commencé à l’inclure dans leurs disputes en lui demandant son avis. Baudoin, taquin avec la gente féminine, ne s’était pas privé de la mettre mal à l’aise dans l’espoir de provoquer son frère, si bien que Balian avait dû le réprimander maintes fois.

Lorsqu’ils traversaient le désert, les deux chevaliers lui avaient expliqué ce qui l’attendaient elle et son oncle. Dès lors, les disputes cessèrent et un sérieux immédiat les envahit.

« Le romain sera exécuté. Vous, par contre, serez certainement graciée si vous vous pliez aux demandes du roi. Par demandes, j’entends informations, comme il vous l’a déjà expliqué. Il suffira de lui donner tout ce qu’il recherche, et vous pourrez retourner d’où vous venez, fit Balian.

- Je n’ai nulle part où aller. Je ne pourrais survivre seule à Constantinople, et le monastère de Frovion à Chypre ne veut plus entendre parler de ma famille, répondit Maria, le coeur serré.

- Alors vous pouvez visiter Ramla. Nous y avons de la bonne compagnie et de la bonne nourriture, suggéra Baudoin en lui faisant un clin d’oeil.

- Sais-tu qui d’autre sont à Ramla ? reprit Balian en levant un sourcil.

- Qui ?

- Ta femme et tes enfants.

- Ah, oui—

- Je vous remercie messeigneurs de votre préoccupation, mais je pense que la vie que vous menez est bien trop remplie pour quelqu’un d’aussi simple que moi, s’interposa la jeune femme en leur souriant. Je pensais peut-être trouver une petite maison près du littoral et y dresser quelques moutons.

- Non, non, certainement pas, trancha le seigneur de Ramla. Vous n’avez pas la carrure pour dresser des moutons. Vous êtes plutôt du genre à pouvoir dresser les hommes.

- Baudoin— gronda Balian.

- Et par ceci, j’entends que vous êtes bien capable de mener une vie à la Cour. En un rien de temps, vous vous y serez habituée. Il suffit juste d’esquiver quelques mauvaises bêtes… chose que vous savez certainement faire, vous qui avez habité à Chypre. Si vous avez réussi à survivre à Châtillon, vous pourrez survivre à l’entourage du roi. Quoi que… »

Maria se retourna sur sa selle. Elle chercha du regard le chevalier Leufroy et lorsqu’elle l’aperçut un peu plus en arrière, elle se sentit rassurée. Leurs yeux se croisèrent et ils s’échangèrent un sourire amical.

« Je pense que j’ai de quoi me protéger, monseigneur. » répondit-elle.

Mais Leufroy n’avait pas suivi le cortège jusqu’au palais. Dans l’immense cour ouverte aux murs rouges qui lui servait d’entrée principale, Maria se sentait asphyxiée par le regard des curieux qui s’étaient amassés pour saluer le roi et observer sa suite. Le garçon lui avait offert comme promis protection et logement dans sa gigantesque demeure dorée, et bien que l’esthétique du lieu lui donnait l’impression d’être aux Cieux, elle ne s’y sentait pas forcément la bienvenue. Peut-être que l’information du démon de Lydda avait déjà pénétré les fortifications de la cité et que tout le monde savait qui elle était. Peut-être qu’ils la dévisageaient car elle était trop petite, trop maigre, trop brûlée par le soleil. Ou peut-être qu’ils la prenaient pour une sorcière.

Attention à ton verre ; ils vont y glisser du poison.

Tu vas aller te coucher un soir et ne jamais te réveiller, un oreiller comprimé sur ton visage.

Ton oncle va mourir et tu vas le suivre dans la tombe. Le roi ne respectera jamais sa parole.

Maria se frappa le front et secoua la tête. Ce geste attira l’attention de dame Agnès qui se mit à approcher. Horreur. La jeune femme, qui voulait éviter de se faire remarquer, devint le centre d’attention de la Cour entière.

« Et qui est cette demoiselle ? Une nouvelle épouse ? demanda la reine mère en toisant le seigneur de Ramla, l’air jugeur.

- Voici Maria Theosebeïa, mère. Elle est mon invitée ici au palais en attendant que le jugement de son oncle soit rendu, lui répondit le roi Baudouin.

- Quel nom fort étrange. D’où venez vous, Maria ?

- Je viens de Chypre, ma dame. »

Des murmures s’élevèrent des nobles attroupés. Elle se sentit immédiatement à l’étroit. Son coeur se mit à battre plus vite et elle eut l’impression de devenir toute rouge.

Ils détestent les romains, ici. Pourquoi est-ce que tu leur as dit ça ?

Espèce d’idiote.

Imbécile.

Elle se secoua encore la tête. La reine mère leva un sourcil.

« Une romaine. Je vois. Mon mari m’a rejeté pour épouser la fille du basileus Comnène. »

Baudouin fit mine de s’étouffer.

« Mère, il fait bien chaud. Allons à l’intérieur. » lança t-il.

Dame Agnès détourna son attention de Maria et accompagna son fils dans ses appartements, la main dans son dos. Guettant depuis un balcon décoré de mosaïques bleues et blanches, la princesse Sybille toisait la nouvelle arrivante. Lorsque le seigneur de Ramla se remit à lui parler, elle grimaça.

« Ne prêtez pas attention à elle. Restez simplement polie. Elle finira par oublier.

- Oublier que son mari l’a répudiée pour accéder au trône et a épousé une femme grecque ? Je doute qu’elle l’oublie de sitôt, soupira Balian.

- Sans ça, elle ne serait pas là aujourd’hui. Elle devrait s’en réjouir. »

Elle te déteste. C’est sûrement elle qui va saupoudrer ton vin de délices mortels.

« Arrête ça ! s’écria Maria en se frappant encore le crâne.

- Evitez d’apparaître folle, ça vous aidera à vous faire des amis, conseilla Baudoin en lui tapant dans le dos.

- Où est Leufroy ? questionna t-elle dans une plainte.

- Le roi lui a donné des appartements pour le remercier, fit Balian. Il est allé rassembler ses affaires, il me semble. »

Maria fut conduite par des gardes jusqu’à sa chambre. En y rentrant, elle crut rêver. Les murs de mosaïques bleues et rouges paraissaient être des joyaux et ils ornaient les meubles de bois et les draps émeraudes d’une grande couche. Ses yeux dorés s’illuminèrent et elle se jeta dessus sans attendre. Avant même d’avoir pu faire connaissance avec sa servante, elle s’endormit, bercée par la douceur d’un lit qu’elle n’avait jamais autant apprécié.

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