Chapitre 4 : Électricité

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Contrairement au trajet effectué ensemble pour aller au premier parloir, cette fois, les deux hommes ne se cachent plus leur attirance l’un à l’autre. Après les nombreux messages échangés au cours des derniers jours, ils savent tous les deux qu’ils se plaisent. La seule chose qui les retient de passer à l’acte n’est que la gêne occasionnée par les débuts. Débuts ? Pourtant, ils se sont déjà embrassés, à l’initiative d’Anthony. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce dernier ne compte pas retenter l’expérience, de peur de se faire encore refouler. Voilà l’état d’esprit avec lequel il a pris place dans la voiture de Richard. S’il doit se passer quelque chose entre eux désormais, ce ne sera plus de son fait. Le quadragénaire a les cartes en main. Si celui-ci n’en a pas conscience alors il ne se passera rien.

Malheureusement, Richard se refuse aussi à prendre les devants, préférant laisser à Anthony la lourde tâche de lui faire des avances. Il est encore pétri de ses interdits, englué dans sa morale, soumis à sa raison. S’il écoutait son cœur, ce serait différent. Mais Richard est un homme de principes, et Anthony est le fils à peine majeur de son meilleur ami. Cet imbroglio est le seul frein qui risque de retarder l’échéance de leur rapprochement, parce que pour le reste, ils se dévorent des yeux.

Tout cela rend l’atmosphère de la voiture un peu étrange. Surtout lorsque, à tour de rôle, ils se jettent des coups d’œil furtifs, chargés de désir. Que ce soit quand Richard frôle la cuisse d’Anthony en utilisant la boîte de vitesse, ou quand le passager se penche vers la radio pour bidouiller la station, sa main non loin de celle du conducteur, posée sur le volant, la tension sexuelle entre eux est palpable. Tout l’habitacle est électrique. Chaque geste et mot s’accompagnent d’étincelles. Une situation aussi comique qu’excitante, qui met les deux hommes au supplice. Surtout si l’on prend en considération qu’Anthony reste dormir chez Richard ce soir, à leur retour du parloir.

Hum hum... dormir.

Le quadragénaire verrait bien d’autres projets. Mais pour l’heure, il essaie de se concentrer sur la route et c’est déjà une torture tant la présence de son passager sexy le déconcentre. Une fois que les mondanités ont été épuisées, Richard oriente leur conversation vers Erwann, son meilleur ami, et père d’Anthony.

Hum hum...

— Ton père n’en a plus pour longtemps en taule. Il va sortir bientôt. L’avocat fait le nécessaire et c’est en bonne voie.

— Je sais. Erwann me l’a écrit.

— Ça te fait plaisir ?

— Oui, bien sûr. J’ai pas envie de passer ma vie au parloir.

— Ce n’est pas le cas, tu le sais très bien, rétorque Richard légèrement agacé.

Dès qu’ils évoquent le détenu, l’ambiance change irrémédiablement.

— Tu m’as compris, rétorque l’adolescent tout aussi irrité.

— Pas tellement, non. En fait, je ne te comprends pas vraiment, tu sais. Pourquoi être revenu vers lui si tu lui en veux autant ? Tu aurais pu t’épargner cela et l’épargner aussi, par la même occasion.

Le jeune homme se tait, troublé par la remarque, digne d’un reproche. Il ne sait que répondre tant ce qu’il pense est confus depuis ses retrouvailles avec son paternel. Même s’il ne l’avoue pas, il est perdu. Avoir fait la connaissance de l’homme à qui il doit la vie le rend heureux, très heureux même ; cela lui permet de faire la lumière sur une partie secrète de son enfance. Mais depuis qu’il a sympathisé et noué des liens avec son vrai père, il se sent coupable envers Baptiste, l’homme qui l’a élevé et éduqué comme son propre fils. Ses sentiments ambivalents lui donnent l’impression d’être coupé en deux et de ne pas réussir à trouver la paix.

— Tu n’es pas clair avec toi-même, Anthony, poursuit le conducteur. Tu fais la démarche de retrouver ton père mais on dirait que tu n’as pas tellement envie qu’il joue son rôle et ensuite... quoi ? Tu vas le lui envoyer constamment dans les dents ?

— Mais non...

— Mais c’est ce que tu fais, bordel. Tout dans ton attitude indique que tu es en rogne contre Erwann. Il a bien dû s’en apercevoir si tu étais comme ça à ta dernière visite.

— Non, j’étais normal. Je donne le change, j’essaie... tu sais, d’être le bon fils qu’il voudrait que je sois.

— Ah donc, tu joues un double jeu ? Génial ! Et moi j’ai quoi ? La version officielle ou tu te donnes aussi un genre ?

Anthony lève les yeux au ciel et s’enfonce dans son siège comme dans son mutisme. L’air renfrogné, il se tourne vers la fenêtre, ce que Richard traduit aussitôt par « tu sais pas de quoi tu parles, vieux con ! » Il faut dire que leur différence d’âge, vingt-trois ans exactement, ne joue pas en sa faveur pour éviter ce genre d’étiquette. Pour tuer dans l’œuf tout quiproquo, le conducteur reprend, la voix radoucie :

— Tu te trompes à propos d’Erwann. Il n’attend rien de toi, je t’assure. Tu n’as pas besoin de jouer un personnage avec lui. Il t’aime comme tu es. Fais-moi confiance, c’est vraiment un mec bien, et tu l’es aussi alors.... Sois juste toi-même, ça suffira amplement.

Même si le gamin ne répond pas, Richard sait qu’il l’entend. Tandis qu’ils arrivent à proximité de la maison d’arrêt, il se fait un devoir de mettre l’adolescent dans un meilleur état d’esprit, avant de l’envoyer à son père. À l’arrêt sur le parking, Richard se râcle la gorge.

— Passe-lui le bonjour de ma part, s’il te plaît.

— Ce sera fait. Tu peux venir tu sais, ça fait un moment que tu ne l’as pas vu.

— Je lui ai écrit, je préfère vous laisser tous les deux. Je reviendrai avec Manon.

— Comme tu veux.

— Dis-lui juste... que j’ai hâte qu’il sorte d’ici et aussi, que je l’aime ce con.

— Je lui répète « ce con » ? demande le gosse en soulevant un sourcil brun et épais.

— Bien sûr, sinon comment saura-t-il que cela vient bien de moi ? Dis-le-lui, ça le fera rire, et il en a besoin en ce moment. J’aime le savoir heureux.

Une heure plus tard, Anthony ressort du parloir en souriant, l’allure plus détendue, les épaules basses et décontractées. Un vent cinglant lui gifle le visage et l’oblige à remettre la capuche de son sweat pour se protéger du froid. Les mains dans les poches, il revient vers la voiture de sa démarche souple, ses longues jambes fines dévorant le bitume sous ses pieds. À voir sa mine réjouie, Richard sait que le parloir s’est bien déroulé et en est soulagé, surtout après leur discussion houleuse. Il espère que père et fils ont pu échanger avec légèreté et que sa boutade leur a permis de briser la glace. Lorsqu’Anthony ouvre la portière et s’installe dans le véhicule, une bourrasque glacée s’immisce dans l’habitacle. Mais son regard réchauffe aussitôt Richard. C’est en souriant qu’il lui déclare, les yeux pétillants de malice :

— Erwann m’a dit de te répondre : « moi aussi, je t’aime, tête de bite. »

Les deux hommes s'esclaffent de concert. Richard est ravi que sa plaisanterie ait fait mouche. Si apporter de la joie à son ami d'enfance lui plaît, il aime encore plus voir le fils de celui-ci rire aux éclats.







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