Chapitre 20 : Adulescentes

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— Mamaannnn ? murmure Emma en entrebâillant la porte, mamaaaannnnn....

Personne ne répond. Voilà deux heures que les deux femmes sont couchées lorsqu’elles sont démasquées par la fille de Gwendoline. Celle-ci entre à pas feutrés dans la chambre où elles gisent et les dévisage de ses grands yeux perplexes. La gamine vient de descendre pour aller prendre son petit-déjeuner. C’est en découvrant dans le salon les restes festifs de leur soirée improvisée qu’elle a deviné que sa mère avait reçu la veille une visite imprévue.

La petite curieuse se penche au-dessus d’elles, telle une gentille marraine de conte de fée, pour s’assurer de l’identité de l’invitée surprise. Non, non, se dit-elle, c’est bel et bien tata, je n’ai pas rêvé. La tata qui avait disparu des radars pendant plusieurs semaines. Lorsque plus aucun doute ne persiste, Emma revient sur ses pas et toque à la porte pour les avertir de son arrivée. Puis reprend :

— Mamaannnn, mamaaaannnnn....

Sa mère ouvre un œil et essaie de comprendre ce qui se passe. Elle tourne la tête vers la voix qui l’appelle. Debout dans l’encadrement de la porte, les poings sur les hanches, la frêle silhouette de sa fille se découpe en contre-jour, éclairée par la lumière trop vive du couloir. Gwendoline s’aperçoit qu’Emma arbore une posture contrariée, comme si elle était prête à les gronder. Ce que l’enfant ne se prive pas de faire dès que sa mère émet un grognement de salutation.

— Dites donc, les filles, qu’est-ce que c’est que ce bordel dans le salon ? Y a des popcorns partout par terre. Ça fait crounch crounch sous mes pieds quand je marche sur le tapis.

À travers les brumes de sa conscience à peine éveillée, Gwendoline éclate de rire, la tête dans l’oreiller. Puis, la rassure :

— T’inquiète ma puce, je nettoierai.

— C’est moi ou vous vous êtes couchées à pas d’heures ?

— Y’a pas école aujourd’hui, ma chérie, lance Manuella, la bouche pâteuse.

Celle-ci vient à peine d’émerger et essaie de se rappeler ce qu’elle fait là, dans le lit de sa meilleure amie. Les images de leur soirée délurée lui reviennent aussitôt.

Aheum...

— Enfin, pour toi, si, ma puce, rectifie Gwendoline en tentant de se mettre assise contre l’oreiller. Mais Manuella ne travaille pas, elle est en repos.

— Et c’est quoi tout ce bazar en bas ? poursuit la gamine de sa voix haut perchée.

— Je plaide coupable, reconnaît l’invitée en levant un bras. C’est moi qui ai entraîné ta mère dans une nuit de débauche. Mais si quelqu’un pouvait fermer cette putain de porte, ce serait super gentil. La lumière du jour me vrille les yeux.

— Vous êtes deux gamines irresponsables, feint de les disputer Emma.

— Mais c’est qu’elle nous engueulerait cette petite effrontée ! plaisante Manuella d’une voix d’outre-tombe en regardant par-dessus son épaule.

— Tata, pourquoi tu as la voix d’un homme ?

— Parce que j’en suis un.

Toutes les trois s’esclaffent de rire, y compris l’enfant qui abandonne un peu son air supérieur. Gwendoline, à présent bien réveillée, en profite pour se lever. Elle claque une des fesses de son invitée au passage.

— Allez grognasse, enfile un truc et viens prendre le petit-déj' avec nous. Tu te recoucheras après.

Au rez-de-chaussée, une fois les volets ouverts, Emma fait son état des lieux et constate les dégâts d’un air ronchon. Elle pointe du doigt les trois DVDs de la saga Bridget Jones, éparpillés sur le sol au milieu des vêtements de travail abandonnés par Manuella. Elle arbore un visage dégoûté lorsqu’elle montre du pied le soutien-gorge noir à dentelle de l’amie de sa mère, celui-là même dont elle s’est débarrassée avec plaisir quelques heures auparavant. À côté de ce dernier gît le squelette d’une boîte de chocolats Léonidas presque vide, entouré de quelques grains de popcorn écrasés. Plusieurs plaids sont répandus sur le tapis, ainsi que tous les coussins du canapé.

— Ben dites donc, on dirait une scène de crime ! Et ça se dit adultes et responsables ?

— Non, ma chérie, tu as raison, ricane sa mère, titubante de fatigue et baillant aux corneilles. Mais ce n’est pas souvent que cela m’arrive. Sois indulgente, ma puce. Viens, je vais te préparer un bon petit-déj' pour me faire pardonner de te donner le mauvais exemple.

Elle la prend dans ses bras, lui embrasse le front, passe une main dans ses cheveux en bataille et la conduit vers la cuisine.

Manuella et Gwendoline, désormais attablées sous le regard faussement réprobateur d’Emma, ne peuvent contenir des sourires complices. Les deux quadragénaires, yeux cernés et visage blafard, s’amusent d’avoir été prises en flagrant délit d’adulescence. Elles se taquinent l’une l’autre en se remémorant, par messages sibyllins, leurs tendres échanges coquins de la nuit passée. Emma se laisse aller à la bonne humeur ambiante et abandonne son regard courroucé.

Gwendoline se lève pour resservir du café.

— C’est plus de notre âge, commente-t-elle en s’étirant.

— C’est clair, renchérit la gamine. Vous êtes trop vieilles pour ce genre de choses.

— Bientôt, ce sera toi ma puce qu’on ira embêter le matin après une nuit trop courte ! l’apostrophe Manuella.

— Pas trop vite mon amour, pas trop vite, intervient la mère en lui servant plus de céréales et en l'embrassant sur le sommet du crâne. Tu as le temps, ma chérie !

— T’inquiète, je te couvrirai, glisse Manuella à Emma en se penchant vers elle.

Cette dernière lui sourit, espiègle. À nouveau de connivence, la gamine et sa « tante » se liguent contre la maman fatiguée en se faisant un clin d’œil, cachées derrière le paquet de Chocapic.

— Belle et intelligente comme tu es, tu auras tous les garçons à tes pieds, lui murmure encore Manuella à l'oreille. Ta mère va devoir s’y faire, elle a fabriqué une bombe qui va tous leur péter à la tronche... Boum !

Emma éclate de rire. C’est dans cette atmosphère légère que toutes les trois terminent leur repas. « Comme au bon vieux temps », pense Gwendoline en regardant sa meilleure amie et sa fille rirent à gorge déployée.

Lorsqu’Emma s’éclipse pour l’école, nourrie, lavée et habillée, les deux femmes remontent à l’étage pour terminer leur nuit, poursuivre leurs confidences sur l’oreiller et reprendre leurs caresses là où elles les avaient laissées.

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