Chapitre 43 : Le grain de sable

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Troublée par les révélations de Richard autant que par son attitude évocatrice, Gwendoline s’interroge en repensant à sa dernière réplique, lorsque celui-ci a évoqué Erwann : « Malheureusement, je ne le connais pas aussi bien que toi. » Cette remarque l’interpelle car, s’il y a bien une personne qui connait mieux son homme qu’elle, c’est son interlocuteur. Sauf, lorsqu’il est question d’intimité, bien évidemment. Est-ce à cela que Richard fait référence ? Aurait-il eu des vues sur son compagnon par le passé ? Cette possibilité lui semble à présent très probable, quand elle se rappelle la ressemblance physique entre le père et le fils, et l’attraction de Richard vis-à-vis de ce dernier.

Décontenancée par cette idée, elle décide de passer outre et de ne pas interroger Richard à ce sujet. Elle préfère se concentrer sur la sulfureuse situation dans laquelle les deux hommes sont en train de se vautrer. Ça, pour sentir la poudre, ça sent la poudre à plein nez, et gare à ceux qui seront dans les parages lorsque cela va exploser. Reprenant la conversation, elle demande :

— Vous comptez en parler à Erwann prochainement ?

— Non, pas pour le moment. On sait très bien qu’il n’est pas prêt à l’entendre.

Il ne sera jamais prêt à l’entendre !

— Je comprends. D’autant plus qu’il n’est pas dans son état normal actuellement. Ça va être la goutte d’eau pour lui. Déjà qu’il a du mal à digérer pour Manon.

— Ouais, il est un peu homophobe sur les bords, ton mec. Ça me fait chier de l’admettre, mais c’est la vérité.

— Je ne dirais pas homophobe, mais il n’est clairement pas à l’aise avec l’idée d’avoir une fille lesbienne. Mais alors deux gosses. Là, ça va faire beaucoup. Tu crois qu’il y a un gène de l’homosexualité ?

Richard éclate de rire. Il sait bien qu’elle plaisante mais l’idée l’amuse beaucoup. Erwann, la virilité incarnée, qui ne serait capable d’engendrer que des rejetons du « mauvais » bord.

— Je ne crois pas, lui assure-t-il en riant. C’est le hasard. Mais si ça lui tombe dessus, c’est peut-être justement parce qu’il a un problème avec ça. Une sorte de leçon à comprendre, un truc avec le karma, j’en sais rien.

Gwendoline tique lorsqu’elle entend un ton de reproche dans la voix de Richard, qui a pourtant toujours soutenu son meilleur ami.

— Attends... Tu lui en veux ?

— À Gaz ? Bien sûr !

Elle en reste comme deux ronds de flanc et demande aussitôt pour quelles raisons.

— Nan mais tu plaisantes ? rétorque Richard, subitement très en verve. Tout est facile pour lui. Les gosses lui tombent du ciel, il a une femme qui l’aime plus que tout même quand il se comporte comme le roi des connards, il est beau comme un dieu grec même amoché, il est pété de thunes, mais trouve encore le moyen de se plaindre.

Ah oui, effectivement, dite comme ça, la liste est longue comme un jour sans fin. Pour autant, même si toutes ces raisons paraissent valables à priori, Gwendoline ne peut s’empêcher de monter au créneau et défendre son homme, lâchement attaqué. Elle répond à Richard qu’il oublie le vrai père qu’Erwann n’a jamais connu, l’infidélité de son ex, Alice, et le divorce qui en a découlé, ainsi que sa fille décédée le jour de sa naissance. Sans parler des accusations à tort dont il est la victime depuis des mois, sa réputation désormais salie et sa carrière de photographe probablement brisée…

— Il n’avait qu’à pas faire le con… assène Richard, un rictus indifférent sur les lèvres. Il s’en remettra, comme toujours, ne t’inquiète pas. Tout est simple pour lui depuis que je le connais. Il tombe, mais se relève toujours. Il a une chatte pas possible, ce mec. Crois-moi, rien ne pourra jamais le déstabiliser.

— Tu ne sais pas tout, le défend-elle encore, piquée au vif.

Son interlocuteur lève un sourcil interrogateur. Même si elle ne comptait pas en parler sans l’assentiment de son compagnon, Gwendoline ne peut s’empêcher de rétablir la vérité à propos de son secret.

— Je suis enceinte. Et l’enfant que je porte n’est peut-être pas le sien.

Richard la dévisage, surpris, à la fois de la découvrir en cloques aussi vite, puis d’envisager la possibilité qu’elle ait fait cocu son compagnon. Cependant, il se souvient de ce soir où Erwann l’avait appelé en panique, après sa rencontre avec Anthony, et où son meilleur ami avait évoqué la possibilité que sa compagne attende un enfant de lui. Éméché et fatigué, Richard n’avait pas relevé l’information, passée à la trappe depuis. Désormais intrigué par ces révélations, il lui demande si elle a trompé Erwann. Comme Richard est au courant pour son passé de prostituée, Gwendoline lui explique que la veille de leurs retrouvailles, à Erwann et elle, à Crozon, elle était avec un client. Elle ajoute que par un malheureux concours de circonstances, il y a eu un problème avec la capote. Voilà pourquoi, à ce jour, elle ne sait pas encore qui est le père.

— Et il en dit quoi, Monsieur Parfait ? De ta grossesse, et de ce coup du sort qui vient encore le frapper ?

— Il était heureux d’apprendre que je sois enceinte et, même s’il n’est peut-être pas de lui, il veut l’élever.

— Il l’a vraiment bien pris quand tu le lui as annoncé ? s’étonne Richard, qui connaît le caractère possessif de son meilleur ami.

— Mieux que quand il apprendra pour toi et Anthony, j’en suis sûre.

Tous les deux éclatent de rire, imaginant d’ores et déjà la tête qu’Erwann affichera quand il découvrira le pot aux roses. Gwendoline précise aussitôt que sa colère ne sera pas liée à la prétendue homophobie de son compagnon, comme Richard a l’air de le penser, mais parce qu’il s’agit de son fils. Pour expliciter ses dires, elle prend en exemple la possibilité qu’à la place d’Anthony, s’il s'agissait de Manon, dans les bras de Richard, Erwann aurait la même réaction disproportionnée que celle attendue. À cette idée saugrenue, son interlocuteur la regarde avec un air écœuré, ce qui déclenche aussitôt l’hilarité de Gwendoline. Et la rassure par la même occasion. Au moins, Richard n’a jamais eu de vues sur la jeune fille, c’est toujours ça de pris.

— Les parents ont peur pour leurs enfants, tu sais, poursuit Gwendoline. On passe notre temps à essayer de les protéger, à vouloir le mieux pour eux, alors quand il y a un grain de sable dans la machine, on n’aime pas, je t’assure.

— Je suis un grain de sable ?

— À mon avis, pour Erwann, tu vas être une plage tout entière, sourit-elle.

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