Chapitre 44 : Les entremetteurs

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— Erwann, je peux te parler ?

Gwendoline se place derrière son homme et l’entoure par la taille, avant de se glisser face à lui. Il l’enserre à son tour, prenant plaisir à la retrouver. Après avoir discuté avec Quentin, il a fait un rapide passage aux sanitaires, pour se passer de l’eau sur le visage, dans l’espoir d’effacer la trace des larmes qu’il a versées. Puis, les deux hommes sont retournés vers les invités avant de se séparer. Tandis que Quentin est parti à la recherche de Manon-Tiphaine, pour lui souhaiter un bon anniversaire, Erwann voulait rejoindre sa compagne, en manque de sa présence. C’est elle qui l'a trouvé en premier. Avec un grand sourire, il lui répond :

— Bien sûr, ma chérie. Moi aussi, je dois te dire quelque chose.

Il la prend par l’épaule et l’éloigne à l’écart.

— C’est à propos de Quentin, annoncent-ils de concert en se regardant.

Surpris, ils se dévisagent mutuellement, cherchant à comprendre ce que leur vaut cette simultanéité.

— De Quentin ? répète Erwann. Tu sais déjà qu’il est là ?

— Non seulement je sais qu’il est là, mais je te demande de l’inviter à rester.

Erwann l’observe de côté, interloqué. Venant de sa part, il s’attendait à ce qu’elle lui impose le contraire. Il s’apprêtait d’ailleurs à lui dire que Quentin allait rester et l'imaginait déjà en train de fulminer de cette décision. Leur dernière entrevue ne s’étant pas très bien déroulée, il était persuadé que sa compagne opposerait son veto à la présence de ce dernier en ces lieux, comme elle avait essayé de le faire à son appartement de Nantes. Il n'aurait jamais pensé à ce retournement de situation. Dérouté autant qu’amusé, il l’interroge, dubitatif :

— Tu as bu ce soir ? Un serveur t’a donné un verre avec alcool et tu ne t’en es pas aperçue ?

Elle éclate de rire devant son ton ironique et son attitude sceptique.

— Mais non, pourquoi dis-tu ça ? C’est vrai qu’avec Quentin, on est partis du mauvais pied, bon, on ne va pas passer Noël dessus. En réalité, je suis obligée de faire contre mauvaise fortune bon cœur, mon amour, car, vois-tu, Manuella a flashé sur lui. Et quand je dis flasher, c’est peu dire, à ce stade, je parlerais plutôt de coup de foudre, ou même d’électrocution, voire de carbonisation. Elle est littéralement dans un état second.

Erwann éclate de rire.

— Sérieux ?

Ses yeux bruns, dont la couleur noisette vire à l’ambré à la lueur des photophores disséminés dans la maison, sont grand ouverts. Il darde sur elle un regard où se mélange l’incrédulité et le soulagement. Il est ravi de constater que sa compagne n’en veut plus autant à son meilleur ami, et espère secrètement jeter Manuella dans les bras de celui-ci. Cela mettra peut-être un terme au tribadisme décomplexé auquel les deux femmes s’adonnent depuis des années. Voilà une affaire qui serait rondement menée s’il pouvait mettre Manuella dans le lit de Quentin, pour qu’elle ne se retrouve plus dans celui de sa chérie. Cela dit, il ne veut pas non plus se montrer trop transparent, pour ne pas être soupçonné de jalousie excessive.

Jaloux, moi ? Jamais !

— Et tu veux quoi ? Qu’on les maque l’un avec l’autre, c’est ça ? Moi, ça me va très bien, hein, mais je ne suis pas sûr qu’on ait tant de pouvoir que ça.

— Ils n’ont pas besoin qu’on joue les entremetteurs, mais un petit coup de pouce pourrait les aider. Du genre, proposer à Quentin de rester dormir et les présenter l’un à l’autre en bonne et due forme.

Erwann acquiesce, les pupilles dilatées. Il est tellement emballé par l’idée qu’il suggère de s’en charger lui-même, désireux de trouver un homme à la meilleure amie de sa femme, laquelle ne sera plus si encline à la lutiner dès qu’il sera absent. Enchantée par la tournure que prennent les choses, Gwendoline l’encourage à agir de suite, en allant parler à Quentin. Erwann obéit, impatient de mettre leur plan à exécution.

D’un pas nonchalant, il revient sur ses pas, là où il a laissé son ami d’enfance, quelques minutes auparavant. Il le découvre auprès de sa fille, qui est en train de déballer une petite boîte, qu’il devine en provenance d’une bijouterie. Effectivement, elle en sort un collier en or, composé d’une chaîne délicate et d’un pendentif taillé en camée. Le bijou est superbe, Manon-Tiphaine, ravie. Elle se pend au cou de son parrain pour le remercier chaleureusement. Celui-ci lui rend son étreinte en s’excusant de ne pas avoir été plus présent ces derniers temps. Puis, elle lui demande de le lui accrocher. Pour ce faire, elle se tourne et lui présente sa nuque, qu’elle dévoile en attrapant ses longs cheveux blonds. Quentin s’exécute et attache la chaînette, avant de déposer un baiser sur son épaule dénudée et de rabaisser sa chevelure sur son dos. Manon-Tiphaine s’esclaffe, les yeux pétillants de joie. Elle le gratifie de son plus beau sourire et enchaîne avec de nouveaux remerciements.

Un peu à l’écart, Erwann observe la scène d’un œil curieux. Il n’avait jamais remarqué les élans de séduction dont sa fille était capable, surtout envers les hommes, et de la voir si outrageusement démonstrative le mettrait presque mal à l’aise. Raison de plus pour alpaguer Quentin et faire cesser ce cinéma. Il ne manquerait plus qu’à cette soirée, un de ses enfants finisse par s’amouracher d’un de ses deux meilleurs amis.

Parfaitement dégueulasse.

Il se racle la gorge et interpelle Quentin. Celui-ci se retourne et lâche la taille de Manon-Tiphaine, comme pris en flagrant délit. Il ne sait pas ce que lui vaut ce regard perçant de la part de son hôte, mais a l’impression qu’Erwann n’apprécie pas particulièrement les effusions qui viennent de se dérouler entre lui et l’adolescente. Gêné, il quitte sa filleule et s’approche de lui.

— Tu voulais me voir ?

— Absolument, répond celui-ci avec un grand sourire suspect. Suis-moi, j’ai quelqu’un à te présenter !

Tandis que les deux hommes retournent à l’intérieur, Manon-Tiphaine les regarde s’éloigner, les deux mains caressant son nouveau bijou.

— Ben alors ? C’est pas lui, le fameux motard ? interroge Clara en la dévisageant. Le beau gosse tatoué ?

— Si, effectivement.

— Tu m’avais pas dit que c’était un gros con ?

— Ça l’était... à une époque... mais je ne sais pas... on dirait qu’il a changé. Il est différent.

— Mouaif, tout ça parce qu’il t’a offert un collier qui coûte une blinde. Mais qu’est-ce que t’en as à foutre ? Ton père est pété de thunes.

— Il y a des choses qui ont une autre sorte de valeur, tu sais. L’argent ne fait pas tout.

Et sur ce, elle se détourne de Clara et quitte la terrasse pour rejoindre le salon, d’où elle pourra observer discrètement le nouvel arrivant...

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