Chapitre 50 : Des enfants pas sages, partie II

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Hors de lui, Quentin se détourne de Manon-Tiphaine et ramasse le caleçon qu’il a jeté par terre, au moment de se coucher, avant de l’enfiler, assis sur le rebord du lit. L’adolescente n’en perd pas une miette, détaillant chaque parcelle de son dos tatoué et de ses fesses musclées. Vêtu de son boxer, Quentin fait subitement volte-face et se jette sur le lit pour la prendre de force dans ses bras et la faire sortir de son plumard. Comme elle se débat avec énergie, il lui colle la main sur la bouche pour la faire taire et se sert de ses bras pour la ligoter. La bouche à son oreille, il lui chuchote :

— Manon, je t’en supplie, ne me fais pas ça. Je te jure que je n’en parlerai pas à ton père. Je ne dirai rien, mais par pitié, retourne dans ta chambre. Tu as seize ans, j’en ai quarante-et-un. Et même si tu es belle comme un cœur et absolument géniale, je ne suis pas du tout intéressé. Et tu sais pourquoi ? Parce que j’ai déjà quelqu’un dans ma vie.

Bon, là, il joue sa dernière carte, la seule qui lui reste dans son jeu pourri. Si cet argument ne marche pas, il est foutu. Heureusement, il la sent faiblir entre ses bras, toujours noués autour d’elle, et commence à relâcher sa prise. Découvrant son visage déçu, il s’excuse de ne pas pouvoir répondre favorablement à ses avances, en lui assurant que le problème ne vient pas d’elle, bien évidemment. Plein de bonne volonté, il lui promet de rester proche d’elle si elle souhaite toujours de lui comme parrain et ami. Blessée par ce refus, la jeune fille hoche une tête dépitée et se résigne en soupirant. Puis, se dirige en trainant des pieds vers la porte, le cœur en lambeaux.

Une humiliation comme cadeau d’anniversaire, ça, elle n’en avait jamais reçu.

Une fois Manon-Tiphaine sortie, il souffle un bon coup, complètement déboussolé par ce réveil en fanfare. Puis sort après elle pour s’assurer qu’elle a bien rejoint ses pénates et que personne n’a entendu ce qui vient de se dérouler. Sentant la soif le tenailler, il se dirige vers la cuisine. Après avoir pris une bouteille d’eau, il retourne vers sa chambre. Le grincement d’une porte qui se referme l’arrête et il tend l’oreille, aux aguets. L’ombre d’une silhouette se dessine sur le mur face à lui. Puis, avançant à pas furtifs, il reconnaît Manuella, qui apparait telle une vision enchantée, en chair et en os, et plus en chair qu’en os, d’ailleurs. Sa tenue pour dormir a beau être décente, elle laisse deviner un corps enivrant, caché sous le tissu léger.

Étonné de la croiser ici à cette heure indue de la nuit, il l’interroge en chuchotant :

— ­Tu es perdue ?

— J’étais juste allée aux toilettes... Je vous ai entendu avec la petite.

— Ah. C’est pas ce que tu crois, hein, se défend-il aussitôt. Elle n’avait rien à faire dans ma chambre, je ne sais pas ce qui lui a pris.

— C’est ce que j’ai cru comprendre, oui. C’est normal à son âge d’avoir des coups de cœur pour des personnes plus âgées. On a toutes connu ça.

— Ah oui ?

— Mais oui, t’inquiète, ça lui passera. Bon, bah, bonne nuit.

Quentin hoche la tête, et la suit, allant dans la même direction qu’elle, leur chambre se situant presque côte à côte. Encore une idée d’Erwann et Gwendoline pour les inciter à se rapprocher ? Tandis qu’ils marchent l’un derrière l’autre, de nouvelles voix leur parviennent de la pièce qu’ils viennent de longer. Alors que Manuella continue son chemin, Quentin s’immobilise. S’il ne se trompe pas, le bruit provenait de la chambre où dors Richard. Celui-ci n’a quand même pas trouvé un amant pour la nuit ? Amusé, Quentin se rapproche à pas feutrés de la porte en question. Pas de doutes possible, il entend bien des bruits de succion et deux voix s’élever, étouffées par la porte fermée. Il colle son oreille, se demandant qui est l’heureux élu don son trublion de meilleur ami. À tous les coups, celui-ci a serré un des mecs bodybuildés du personnel de service.

À l’intérieur de la chambre, les deux amants se mettent à échanger sans baisser la voix, persuadés que l’isolement de leur alcôve les protège d’oreilles indiscrètes.

— Pourquoi tu n’es pas venu plus tôt, ronchonne Richard.

— J’entendais encore du bruit. J’ai pas envie qu’on se fasse grillé.

— T’inquiète, ton père est là-haut. Il était complètement naze. À mon avis, vu qu’il a déjà dégommé sa meuf à plusieurs reprises, il est déjà en train de pioncer.

— Il n’y a pas que lui dans cette baraque. Je ne veux pas qu’on sache que je suis là, tu le sais très bien. Et puis arrête de me mettre des images de mon père et sa gonzesse en train de niquer, ça me fait débander, je te l’ai déjà dit.

Richard s’amuse de sa pudibonderie familiale, dont il aime se moquer en forçant spécialement le trait. Il sait que son jeune amant est mal à l’aise d’en apprendre plus sur l’intimité de son père mais ne peut néanmoins s’empêcher de le charrier avec. Et d’en profiter pour mettre à exécution ses envies libidineuses, qui le taraudent depuis le début de la soirée. La voix suave, il déclare :

— C’est pas grave, je connais un super moyen pour te faire retrouver ta gaule.

Derrière la porte close, Quentin ouvre de grands yeux stupéfaits, que Manuella, qui s’apprête à rentrer dans sa chambre, interprète aussitôt comme une invitation à venir écouter à son tour. Comme lui, elle colle son oreille et entend les deux partenaires s’embrasser avec appétit, avant que Richard ne reprenne :

— Ben voilà, tu vois que je sais comment te remotiver.

— Tourne-toi, ordonne Anthony d’une voix caverneuse.

Quentin est médusé, contrairement à Manuella qui, elle, est davantage amusée par la situation incongrue. Il a reconnu la voix du deuxième homme, auquel il a été présenté quelques heures auparavant. Un jeune homme plutôt qu’un homme d’ailleurs, si sa mémoire ne lui fait pas défaut. Il a quoi ? Dix-huit ans ! Qu’est-ce qu’il lui a pris à Richard de s’être permis d’enfreindre le code d’honneur qui existe entre amis ? A-t-il perdu la tête ? Avec un gosse à peine majeur, qui plus est ! Complètement maboul !

La main sur sa bouche grande ouverte, il s’écarte de la porte, comme si on venait de lui annoncer que cette dernière allait exploser d’un instant à l’autre. Sans un mot, les deux indiscrets s’éloignent de la chambre où se déroule cette scène incroyable, que Quentin juge comme la quintessence de l’indécence. Il n’en revient pas que Richard s’adonne à ce genre de folies.

— Tu savais ? demande-t-il à Manuella à voix basse.

— Pas du tout. Son fils est gay ?

— Ben, s’il ne l’est pas, c’est une bonne imitation !

Tous deux s’esclaffent de concert, étouffant le son de leurs rires dans la paume de leurs mains.

— J’en parlerai à Gwen, demain, reprend Manuella, toujours en murmurant. Elle sait peut-être quelque chose.

— Je n’aimerais pas être à la place de Bud, il vient de signer son arrêt de mort. Erwann va disjoncter.

Manuella grimace.

— C’est con, lui qui vient à peine de sortir de placard. C’est vraiment pas le moment avec son bracelet électronique. Il va finir par s’y faire réexpédier.

— Ouais, c’est clair. Il faut absolument éviter ça. On doit trouver un moyen de lui en parler avant qu’il ne l’apprenne. C’est soit ça, soit le scandale assuré. Je connais Gaz, il ne laissera jamais passer ça.

À ce moment-là, il se fait la remarque qu’il devra aussi lui avouer ce qui s’est passé cette nuit, avec Manon-Tiphaine, sous peine de finir, à son tour, en pâtée pour chat. Si l’information venait à revenir au oreilles d’Erwann, il ne donne pas cher de leur amitié à peine recollée. Mieux vaut prendre les devants et se repentir avant que la vérité éclate.

Ne dit-on pas : « faute avouée, à demi pardonnée » ?

Certes, il n’est coupable d’aucun mal, pour une fois, mais Erwann ne l’entendra pas de cette oreille si l’épisode s’ébruite avant qu’il ne lui en ait parlé.

Quentin souhaite une bonne fin de nuit à Manuella et rejoint sa chambre au ralenti, encore sous le choc de sa découverte.

Mais c’est quoi leur problème aux enfants d’Erwann ? Ils ne peuvent pas s’intéresser aux gens de leur âge ???

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