Chapitre 53 : Footing à deux

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— Quentin ?

Malgré les écouteurs enfoncés dans ses oreilles, le joggeur entend quelqu’un l’appeler. Il s’arrête et se retourne, curieux de savoir qui l’interpelle tandis qu’il est en pleine foulée.

— Salut, dit-il en enlevant une de ses oreillettes bluetooth.

Dans l’autre résonne encore la musique rythmée d’un concert d’Elvis Presley, qu’il écoute en boucle depuis son entrée aux Colombes. Bande son qu’il identifie désormais au chant de la victoire et de la rédemption, et qu’il écoute régulièrement pour se donner la force et le courage de persévérer sur son chemin de guérison.

— Je vois que tu es en pleine session de décrassage, commente Manuella en désignant sa tenue de sport. Et j’en aurais bien besoin aussi après le buffet d’hier. Je peux t’accompagner ? J’ai peur que sans ça, je ne réussisse pas à me motiver...

Courir derrière un joli petit cul est toujours plus motivant.

Il retire son deuxième écouteur, signe qu’il est décidé à lui offrir plus d’attention.

— Bien sûr. Tu connais Crozon ?

— Pas du tout.

— Si tu as envie, on peut descendre et récupérer le chemin des Douaniers. Il se trouve juste en bas de la propriété. Je connais une boucle qui longe la côte sauvage et nous ramène directement ici. Il y a un peu de dénivelé et c’est assez escarpé, par endroits, mais vu que tu as l’air sportive, ça ne devrait pas te poser trop de problèmes.

Devant l’enthousiasme de Quentin, Manuella acquiesce, enchantée. Effectivement, c’est une sportive émérite, même si elle est plus cours collectif dans une salle fitness que randonneuse sur le front de mer. N’ayant pas prévu cet interlude de remise en forme, elle a réussi à se dégoter un legging et un sweat à capuche auprès de Manon et a enfilé une paire de baskets que Gwendoline avait apporté pour se balader au grand air. Quentin, lui, porte un bas de survêtement qu’Erwann lui a prêté, ainsi qu’un tee-shirt, sur lequel apparaît déjà des auréoles de sueur au niveau des aisselles et du dos. Cela laisse suggérer à Manuella qu’il a déjà dû faire pas mal de tours de pâté de maisons.

Il lui demande si elle a de la musique et, comme ce n’est pas le cas, lui propose un de ses écouteurs, après l’avoir nettoyé. Elle accepte et l’insère en souriant, prête à le suivre. Sur son téléphone, il remet sa playlist rock’n’roll, idéale pour se défouler. Malgré la petite bruine qui commence à tomber, tous deux partent à petites foulées sur le GR 34. Ce dernier serpente tout autour de la presqu’île, surplombant la mer turquoise et ses plages de sable fin.

À son grand étonnement, plus elle court, moins Manuella se sent stressée aux côtés du joggeur. Elle appréhendait de s’imposer aussi brutalement, surtout après les conseils qu’elle a reçus pour y aller en douceur, mais le temps lui est compté. Demain soir, elle sera repartie pour une nouvelle semaine de travail à Nantes et il est hors de question qu’elle ne saisisse pas sa chance auprès de cet Appolon. Et puis leur rencontre fortuite de la nuit passée, dans les couloirs du rez-de-chaussée, a créé une ébauche de rapprochement bienvenu. Grâce à ce petit secret partagé, depuis qu’ils ont découvert la relation qu’entretiennent Richard et Anthony, une certaine complicité les unit. Elle rend la situation moins malaisante qu’attendue. Certes, ils ne se connaissent pas du tout, mais tous les deux semblent apprécié la compagnie l’un de l’autre.

Quentin prend la tête et lui montre le chemin. Légèrement devant elle, à la première grosse flaque de boue, il ralentit la cadence pour lui tendre la main et l’aider à traverser. Sans un mot, elle la saisit et saute par-dessus l’obstacle. Manquant de justesse de glisser dans la gadoue, elle se raccroche in extremis à son bras. Par réflexe, Quentin la rattrape et la repose sur la terre dure, aussi légère qu’une plume. Elle le remercie d’un signe de tête et ils reprennent leur course modérée, alternant pentes légères et montées plus raides.

Arrivés sur un ponton rocheux, ils font une pause. Quentin décroche la gourde qu’il a à la taille et la lui tend pour s’abreuver. Elle refuse, prétextant ne pas vouloir l’en priver et s’excuse de ne pas avoir anticipé pour elle. Il insiste, galant. Malgré sa gêne, Manuella en prend une gorgée, avant de lui rendre la bouteille. Leurs mains s’effleurent, déclenchant ce petit frisson agréable et électrisant. Elle profite de cette petite pause pour lui reparler d’hier soir :

— C’est dingue quand même, pour Richard et Anthony.

— Ouais, je n’aimerais pas être à sa place.

— À qui, à Richard ?

— Il va se faire défoncer la gueule. Je crois que tu ne connais pas Erwann.

— Non, c’est sûr, mais Gwen dit qu’il essaie de s’améliorer, qu’il voit quelqu’un pour apprendre à gérer son impulsivité.

Quentin acquiesce, reconnaissant volontiers que son meilleur ami prend sur lui et qu’il arrive en général à se contrôler. Mais évoque l’évènement comme une double trahison. Que ce soit  Gwendoline ou lui, ils vont devoir lui en parler rapidement avant que cela n’explose. Il ajoute que si cette tâche lui incombait, il préférerait attendre la fin du week-end pour être seul à seul avec Erwann.

— Vous devriez peut-être laisser Richard gérer ça, non, et ne pas vous en mêler ?

— C’est une possibilité. Mais Erwann est très protecteur avec ses enfants. En plus, je vais être obligé de lui parler de Manon, ce qui ne va pas le mettre dans de bonnes dispositions, à mon avis. Je sens déjà que je vais me prendre une volée de bois vert dans la tronche, mais je n’ai pas le choix, je dois crever l’abcès.

Saisissant la perche que Quentin lui tend en abordant le sujet des enfants, Manuella décide de lui montrer son intérêt pour le sien :

— Gwen m’a dit que tu avais un fils, c’est ça ?

— Ouais, un p’tit gars, Jules.

— Comment tu gères avec la maman ?

Après avoir repris une gorgée de sa gourde, Quentin lui explique que Coralie est une mère géniale et qu’elle fait tout pour l’inclure dans la vie du petit. Pour le moment, il avoue avoir été réticent à prendre part à son éducation, mais espère faire mieux à l’avenir.

— Tu le vois souvent ? s’enquiert encore Manuella, dévorée de curiosité.

— J’étais avec lui, hier. On n’a pas encore mis en place de droit de visites car je ne me sens pas encore capable de le gérer tout seul sur un long moment... mais, j’espère qu’avec le temps, c’est ce que l’on instaurera. Et toi ? Je t’ai vue avec Emma, tu as l’air douée avec les gosses.

— Oui, je suis entourée d’enfants. Mes trois grands frères ont tous des gamins, huit neveux et nièces en tout... Alors, je sais y faire avec eux.

— Tu en veux ?

La question, posée sans chichis, la déroute. À ce stade de son projet de séduction du beau tatoueur, elle ne sait pas quelle réponse sera la plus appropriée. Si elle lui confie qu’elle en veut, peut-être prendra-t-il peur. Mais si elle lui dit qu’elle n'en désire pas, peut-être sera-t-il déçu, s’il veut se poser et fonder une famille.

Dilemme, dilemme...

Elle décide de ne pas trop se mouiller, priant intérieurement pour ne pas se planter :

— Je ne sais pas. J’ai longtemps voulu et puis les choses ne se sont pas faites. La vie, tu sais, ne répond pas toujours à nos attentes.

— Pour le moment en tout cas.

— Pour le moment en tout cas, répète-t-elle en se sentant rougir.










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