Chapitre 57 : Le temps béni des bisous magiques

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Erwann frappe à la porte de la chambre de Manon-Tiphaine. Il attend la permission de rentrer et, une fois obtenue, demande à sa petite amie de les laisser. Cette dernière obtempère. Erwann vient s’asseoir à côté de sa fille, l’observant avec une certaine inquiétude, difficile à dissimuler.

Mon bébé... Mon bébé qui n’en est plus un et qui souffre de problèmes de grands...

Qu’il est loin le temps où un bisou magique suffisait à apaiser les douleurs de son cœur. Maintenant, il n’a plus d’autres choix que de la regarder subir les déconvenues de la vie, impuissant à la soulager. Son adolescence a beau être derrière lui, il se rappelle combien cette période, riche en bouleversements physiques et émotionnels, est sensible. C’est le cœur serré qu’il s’approche de sa fille, tandis que cette dernière est recroquevillée sur son lit. Même s'il ne comprend pas ce revirement de situation, il sent bien que sa grande est tendue et prête à exploser. Décidément, ses enfants ont vraiment beaucoup pris de lui, pense-t-il pour lui-même. Il devine que c’est à lui de briser la glace, sans cela, sa fille restera muette comme une tombe.

— Qu’est-ce qui se passe ma chérie ? demande-t-il tout bas.

Elle soupire.

— Rien. Je veux juste que tu dises aux gens de partir. Dis-leur que je suis malade et que la fête est finie.

— Je vais le faire, ma puce, tu peux compter sur moi.

D’autant qu’abréger cette fête est la meilleure suggestion que j’ai reçu ces derniers temps. Au diable les mondanités, place à la vie de famille et au clan.

— Je peux mentir aux invités pour ton bien-être, mais j’aimerais que tu me dises, à moi, la vérité.

L’image de Quentin emmenant Manuella sur sa bécane rutilante continue de hanter l’esprit de la jeune fille. Elle n’avait pas du tout prévu que la femme dont il lui avait parlé cette nuit soit elle, et qu’elle soit déjà sous leur toit qui plus est. Hors de question qu’elle s’en ouvre à son père et lui avoue avoir une attirance pour l’un de ses meilleurs amis. Il ne comprendrait pas, pas plus qu’elle au demeurant. Ce nouvel et puissant attrait est aussi inattendu que déstabilisant.

— Y a rien, Pa’, je t’assure, essaie-t-elle de le convaincre. C’est juste que, là, j’ai plus envie de faire la fête, c’est tout.

— Il s’est passé quelque chose, quelqu’un t’a embêtée ?

— Non. Je préfère être seule. Vraiment seule, tu vois. Je pensais que Clara et moi on était faîtes pour être ensemble mais finalement, je ne crois pas que je sois encore amoureuse d’elle.

— Ah, je vois. Ce sont des choses qui arrivent. Tu lui en as parlé ?

— Non, c’est tout récent ce que je ressens. Et je ne veux pas lui en parler pour le moment. Je suis perdue, je veux d’abord savoir où j’en suis... Mais si je prends mes distances avec elle, physiquement, je veux dire, je sais qu’elle se doutera tout de suite de quelque chose et qu’elle me quittera. Et je ne veux pas la perdre non plus. Je ne sais plus quoi faire...

Erwann grimace en entendant ses confessions. Il n’aime pas l’idée que sa fille se force à entretenir une certaine proximité physique avec une personne si elle n’en a plus envie, juste pour ne pas la froisser. Cela ne lui ressemble pas, et ça ne correspond pas à l’éducation qu’il lui a donnée. Cette réaction de soumission souligne à ses yeux à quel point sa grande a été affectée par les derniers épisodes de leur vie mouvementée. Il s’en veut tellement de lui avoir imposé ça, que son comportement désinvolte ait eu tant de dommages collatéraux auxquels il n’aurait jamais pensé. Si seulement il pouvait revenir en arrière... Mais c’est impossible, et à défaut de solutions immédiates, il peut au moins essayer de se montrer compréhensif et, si possible, rassurant.

— Quelle est la meilleure solution pour toi, ma chérie ?

— Aucune, y’en a pas. Je veux rester là, sous la couette, jusqu’à ce que je sache quoi faire.

— Tu ne veux pas venir en bas avec nous ? Histoire de te changer les idées.

À la pensée que Quentin et Manuella pourraient ressurgir à tout instant de leur balade sur l’énorme cylindrée, une nausée la saisit, suivie d’une montée d’angoisse, qu’elle peine à camoufler.

— Non. J’ai envie de.... je ne sais pas Pa’, je ne sais pas ce que j’ai. Tout se mélange. Dans ma tête, dans mon cœur, c’est comme si je ne savais plus qui j’étais, ce que je voulais...

Erwann tente de la tranquilliser en lui affirmant qu’il est tout à fait normal qu’elle ressente cela en ce moment, étant donné les violents remous vécus ces derniers mois. Il confie être lui aussi déboussolé par sa sortie de prison et ce retour à sa vie d’avant, tout en ayant au-dessus de lui l’ombre angoissante d’un avenir effrayant.

— Même si je souris pour faire bonne figure, crois-moi qu’à l’intérieur, c’est encore le chaos. Mais je me raccroche grâce à toi, et à Anthony, à Gwen et à Mama et Yvonnick, à Quentin et à Richard, même si avec l’un comme l’autre, ça a été compliqué. Rien n’est simple dans la vie ma puce, mais moi je suis là, je suis ton père et je ne te lâche pas.

— J’ai peur que tu retournes en prison et que tu m’abandonnes à nouveau.

Après avoir lutté contre leur invasion, les larmes la submergent et viennent s’écraser sur la manche de son pull, sur laquelle sa tête repose, avant même que son père ait eu le temps de les essuyer. Il se penche vers elle et la prend dans ses bras, la consolant de sa voix douce, lui murmurant les seules paroles qui lui viennent à l’esprit :

— Je sais, ma puce, je sais. Et moi aussi, crois-moi. Mais même là-bas, je ne t’abandonnerai pas.

Un sanglot lui noue la gorge à son tour. La voir terrorisée par ses noires perspectives lui vrille les tripes.

— Je te mentirais si je te disais que cela n’arrivera pas, mais on va tout faire pour que la vérité soit rétablie. Et, de toute façon, s’il y a un procès, ce n’est pas pour tout de suite. On a encore du temps.

Mais cela est-il bien réconfortant ? Reculer pour mieux sauter lorsqu’il s’agit de quinze années de prison n’a vraiment rien de réjouissant.

— Pa’... Est-ce que Gwen va venir vivre ici ?

— Il y a un problème avec Gwen ? s’étonne-t-il aussitôt.

Erwann se relève légèrement, pour mieux observer sa fille et sonder son ressenti, espérant se tromper sur le sens de cette dernière déclaration. Manon-Tiphaine baisse les yeux de peur que ses pensées ne soient lues dans ses prunelles myosotis et démasquées. Elle imagine que si la nouvelle compagne de son père établit ses quartiers ici, elle recevra la visite régulière de ses amis, et Manuella en fera partie. Elle aimerait que cela ne se produise pas et même si elle adore sa nouvelle belle-mère, l’idée de se retrouver constamment face aux deux tourtereaux est au-dessus de ses forces et lui serre l’estomac.

— Non, répond-elle en reniflant. Non, c’est juste que ça fait beaucoup de changement d’un coup. J’ai du mal à m’habituer à tout ça.

— Je sais, ma puce, et je sais que ces derniers temps, je n’ai pas arrêté de t’imposer des choses sans te consulter avant et je m’en veux crois-moi. Les choses vont s'arranger, j'en suis persuadé.

Si seulement c'était vrai !

Malgré son ton enjoué qui fleure bon la méthode Coué et qu'il espère encourageant, il ne peut s'empêcher de se blâmer intérieurement. Il s’en veut d’autant plus que ni elle ni Emma, ne sont au courant pour le futur bébé. Erwann commence sérieusement à redouter leur réaction, et à se demander quel sera le meilleur moment pour leur en parler à toutes les deux.

J’ai déjà la réponse : jamais ?

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