Chapitre 62 : Le brasier

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Erwann ouvre la porte avec la précaution d’un voleur en plein travail. Un frisson d’angoisse lui parcourt l'échine du bas vers le haut de sa colonne vertébrale lorsqu’il constate que la chambre est déverrouillée et… vide. Le lit est défait, sans personne à l’intérieur. Les affaires de son ami sont sur le dossier de la chaise, ou par terre, en vrac. Il n’est donc pas parti en pleine nuit. Malgré leurs désaccords, Richard n’aurait jamais fait ça. Pourquoi la lumière est-elle encore allumée ? À mais oui, qu’il est con ! Il doit être aux toilettes et ne va pas tarder à revenir.

Erwann entre dans la pièce et fait les cent pas derrière la porte qu’il a pris soin de refermer. Les minutes s’égrènent, interminables. En réalité, il s’agit plutôt de secondes mais son impatience a tendance à le rendre Marseillais. Ne tenant plus en place, il décide d’aller chercher son ami aux chiottes, apparemment en train de faire la grosse commission. Quand il arrive devant les toilettes, Erwann découvre la porte de celles-ci ouverte. Pas de Richard dans sa chambre, ni dans les W.C., et la cuisine était libre lorsqu’il y est allé. Personne pour lui dire avec qui son fils s’envoie en l’air.

Et puis, émerge une image. Le suçon. Les suçons. La spécialité de Richard, sur le corps d’Anthony. À côté de la cuvette, Erwann se penche et se vide. Tout se met en place dans sa tête. La complicité qui unit l’adulte et l’adolescent, résultat de tout ce temps passé ensemble. Les nuits où son fils a logé chez son meilleur ami. La colère incompréhensible de Richard qui grouille à son encontre, comme si ce dernier avait quelque chose à lui cacher ou à lui reprocher. Erwann réalise qu’il ne les a jamais vus ensemble au parloir, comme s’ils avaient voulu éviter une trop grande proximité face à lui. Il se remémore la question à laquelle Anthony semblait mal à l’aise de répondre, concernant sa petite amie. Ce dernier avait botté en touche. Il comprend maintenant pourquoi... Toutes les pièces du puzzle lui sautent au visage, parfaitement assemblées.

Anthony et Richard. C’est une blague ?

Erwann pose la bouteille doucement sur le sol et revient sur ses pas, puis s’arrête devant la porte de la chambre où dort son fils et d’où lui parviennent encore des bruits de succions.

Putain, je vais gerber.

Non. Non. Non.

La main tremblante comme il l’a rarement eue, il ouvre la porte d’un mouvement brusque, tout en allumant la lumière du plafond en même temps. Ses yeux agressés ont à peine le temps de voir Richard à quatre pattes derrière son fils. Tous les deux complètement nus.

— Mais putain de bordel de merde mais qu’est-ce que tu fous, enfoiré !! vocifère-t-il ahuri. Mais t’es pas bien !

De sa main, il attrape Richard par le cou et le jette violemment hors du lit. Ce dernier atterrit dans un bruit sourd sur le parquet en gueulant :

— Calme-toi, putain, tu vas alerter toute la maison.

— Mais qu’est-ce que j’en à foutre ! T’es en train de baiser mon fils !!!!

Anthony profite de cet échange de politesses entre les deux hommes pour se mettre debout, enfiler un jogging et un pull, et sortir de la chambre en vitesse. Il se précipite vers l’entrée où sont rangés ses clefs et son casque de moto, ses chaussures et son manteau.

— Anthony ! hurle Erwann à sa poursuite. Reviens là tout de suite.

Quelques dizaines de secondes plus tard, Manon-Tiphaine, suivie de Clara, aussi peu vêtues l’une que l’autre, arrivent en courant, aussi essoufflées que surprises, devant la chambre où logeaient les deux amants. Elles ne dormaient pas lorsqu’elles ont entendu les cris. Affolées, elles affichent des visages inquiets.

— Qu’est-ce qui se passe ? commence Manon-Tiphaine.

Elle s’adresse à Richard, tranquillement en train de chercher ses fringues pour se rhabiller. Clara, la bouche grande ouverte devant son corps nu, n’en perd pas une miette, savourant le spectacle bienvenu. Mais elle est énorme sa teub ! pense-t-elle, ébahie. Il ramasse son caleçon et l’enfile de dos, avant de se tourner et de s’expliquer :

— Ton père nous a… surpris.

— Qui ça « nous » ?

— Ton frère et moi.

— Son demi-frère, corrige Clara.

— C’est bon, Clara, n’en rajoute pas. C’est quoi le problème avec mon frère ? Pourquoi il s’est enfui ?

— Peu importe, soupire Richard. Ton père est arrivé pendant qu’on était ensemble et comme c’est son fils, même si ce n’est son fils que depuis cinq minutes, il a décrété qu’il avait un droit de propriété sur lui.

— Hein ? Je comprends rien, déplore Manon-Tiphaine. Il vous a surpris comment ?

Clara la tire par le tissu léger de sa nuisette transparente.

— Au lit, nunuche…

Manon-Tiphaine arbore alors l’expression d’un visage semi réjoui, semi surpris. Elle remarque la capote que Richard tient à la main, cherchant un endroit pour la balancer.

— Ah ouais ? Ben dis donc, tu t’emmerdes pas, le taquine-t-elle. T’as serré mon frangin ? Mais il a quoi ? Dix-huit ans ! Et t’en as au moins le double.

— Exactement, renchérit Erwann qui arrive par derrière les deux filles.

Bien qu’ayant rattrapé son fils à temps, celui-ci s’est échappé de la propriété sans un mot d’explication. Erwann aurait pu verrouiller le portail pour l’empêcher de partir, mais il a bien vu que cela aggraverait les choses. Impuissant à le retenir, il a regardé Anthony filer dans la nuit.

— Manon, Clara, retournez dans votre chambre s’il vous plaît, reprend-il à cran.

Et arrêtez de vous baladez à poil dans toute la baraque. J’en ai ras-le-bol de vous voir à moitié nues, alors barrez-vous. Y’en a marre de votre exhibitionnisme !

Erwann se contente de les morigéner intérieurement, silencieux, en se tenant l’arête du nez, puis de répéter, avec un calme olympien qu’il ne se connaît pas :

— Allez dans votre chambre les filles, s’il vous plaît. Je dois parler à Bud.

Ce dernier est debout au fond de la chambre, en train de finir de se rhabiller avec les affaires de rechange qu’il avait emmené ici au cas où... Au cas où quoi ? Qu’il se fasse surprendre par un Erwann fou furieux ? Finalement, malgré le malaise de la situation, il savait bien que cela arriverait. Cela aurait été se voiler la face que de penser le contraire. Il sait qu’Anthony et lui n’ont pas pris leurs précautions pour éviter d’être démasqués. Ils ont joué avec le feu, et la flamme est en train de se transformer en brasier. Richard n'en est pas étonné. Seul son amant ne l’a pas supporté, ce qui était prévisible. Mais ce n’est pas grave, il s’en remettra. Il va aller de ce pas le rejoindre et le consoler. Une fois la haine d’Erwann apaisée, ils pourront enfin s’aimer au grand jour, voilà qui est une très bonne chose, finalement. Richard s’avance vers la porte, prêt à filer, comme les deux jeunes filles qui viennent de détaler à l’étage, sur ordre du propriétaire des lieux.

Erwann lui bloque la sortie.

— Tu crois quand même pas que tu vas t’en tirer comme ça ?

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