Akeïn et le Prince
Son visage est pur comme la neige,
Ses traits si gracieux, empreints de mystère,
Ses yeux bleu-vert, de véritables miroirs de l’univers.
Il ressemble à un ange, nimbé de lumière.
Et chaque nuit, il vient me visiter dans mes rêves :
« Viens… prends ma main. Je t’attends, ma belle Akeïn »
Quatre ans ont passé. Désormais au lycée, Akeïn n’a guère eu l’occasion de rendre visite à sa grand-mère, entre l’école, ses nombreux loisirs et son programme d’études à l’étranger. Son potentiel hors norme et sa soif insatiable de botanique l’ont menée loin, toujours en quête d’onguents miraculeux. Depuis toute petite, Akeïn manipule les plantes, extrait leur jus, prépare des décoctions, initiée par Naka, qui a toujours eu un lien particulier avec la nature. « Les plantes nous parlent, et nous avons le don de les comprendre » lui répète souvent sa grand-mère à propos de sa famille.
Malgré ces activités si exigeantes, Akeïn repense souvent à ce vieux téléphone, à Balsa et au Prince. Elle rêve bien souvent d’eux et de ce monde parallèle, se languissant de cette magie dont elle n’a fait qu’effleurer les secrets. Mais pourquoi a-t-elle été choisie ? En raison ce fameux don de sa lignée ? Son pouvoir sur les éléments ? Le téléphone l’a-t-elle transportée à ce moment précis à cause de l’être des ombres, apparu sur cette dimension jumelle ?
Akeïn se réveille, les joues en feu. Elle a encore rêvé de lui, son ange aux cheveux bleu saphir.
Chaque nuit, il l’appelle. Chaque nuit, il l’invite à le rejoindre dans son monde étrange.
Ses rêves lui semblent si réels…
Elle aimerait tellement le retrouver.
Sa vie de lycéenne l’ennuie. Première de sa classe et constamment en déplacement pour son sujet de prédilection, la botanique, elle subit la jalousie maladive de ses camarades. Les filles de son âge envient ses longs cheveux châtains aux reflets cuivrés, ses jolis yeux noisette en amande, ses traits délicats. Elle se sent lasse, réellement usée par ces regards envieux posés sur elle.
Akeïn semble appartenir à un autre monde.
Tout lui réussit, et pourtant la jeune fille se sent terriblement seule, pas à sa place. Elle cherche constamment une raison d’exister.
Alors qu’elle s’habille pour aller au lycée, elle s’observe dans le miroir. Un visage bien triste s’affiche dans la relique donnée par sa grand-mère. Les contours dorés, ouvragés du bel objet témoignent de son ancienneté.
Elle aimerait tellement recevoir encore les conseils de sa chère Naka.
Une lueur vrille son reflet. Akeïn recule d’un pas, stupéfaite.
Une onde bleutée parcourt la glace. Son reflet disparaît.
La main contre sa bouche, choquée, elle voit se dessiner une autre image : celle d’un magnifique jeune homme au regard perçant.
– Que… comment est-ce possible ? prononce-t-elle d’une voix étouffée.
Aucun doute… le Prince qu’elle a sauvé lorsqu’elle avait douze ans. Comme il a grandi ! Akeïn en frissonne, le souffle coupé.
– Je ne t’ai pas oubliée. Ne crains rien. Je viendrai te chercher. Bientôt.
Sur le chemin du lycée, Akeïn se sent déboussolée. A-t-elle – encore – rêvé ? Elle n’a qu’une hâte : rentrer chez elle et retrouver le Prince !
Le soir venu, elle adresse à peine la parole à ses parents et court jusqu’à sa chambre.
Face au miroir, elle attend. Elle touche la glace, contourne la précieuse relique de sa grand-mère pour chercher un mécanisme dissimulé – en vain.
– Fais-moi voir le Prince ! ordonne-t-elle au miroir.
Rien ne se produit.
La nuit est de nouveau intense. Son Prince vient la chercher, lui tenant la main. Il la conduit sur un splendide balcon orné de fleurs. Le vent soulève ses cheveux mi-longs. Son corps rayonne d’une aura scintillante. Akeïn est subjuguée par sa beauté angélique.
La dure réalité la rattrape au petit matin. Elle est seule, dans son lit. Et il est l’heure d’aller au lycée. Sa prison.
Elle s’attarde devant son miroir, attendant un signe, puis se détourne, lasse.
Les vacances de printemps arrivent enfin, et toujours aucun signe du miroir. Akeïn jubile : elle va pouvoir retourner chez sa grand-mère, pour la première fois depuis quatre ans ! Elle se sent tiraillée entre son désir de voir Naka et le fait de quitter son précieux miroir : promesse de son bel Apollon. Peut-être que le téléphone sonnera de nouveau, là-bas, et que le passage entre les deux mondes se rouvrira.
À peine a-t-elle franchi le seuil de la porte que Naka bondit sur sa petite-fille, la serre chaleureusement dans ses bras et s’exclame :
– Ma chérie ! Le téléphone scintille ! Il était pourtant resté « éteint » pendant toutes ces années. Mais au moment où tu as posé le pied dans mon jardin, il s’est éclairé, comme s’il t’attendait… Tu dois y aller, maintenant !
Akeïn bredouille, déboussolée :
– Que… quoi ? Mais on s’est à peine dit bonjour !
– C’est le destin de notre lignée, Akeïn ! Ton ancêtre, Asuna, a disparu de la même manière que toi. Lorsque tu es partie dans cette autre dimension, il y a quatre ans, j’ai réalisé qu’elle était certainement allée là-bas, elle aussi, et que cette magie est liée à notre famille.
Naka ne laisse pas sa petite-fille protester : elle l’entraîne déjà dans le salon, prend sa main et la pose directement sur le combiné, brillant d’une lueur turquoise, l’oblige à décrocher.
Akeïn pousse un hoquet de surprise : l’onde bleutée s’échappe du téléphone, tourbillonne en un bruit sourd, enveloppe le corps de la jeune fille et la tire vers la porte interdimensionnelle. Ballotée en tous sens dans le vortex, Akeïn se sent disloquée, perdue dans le néant.

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