Les âmes doubles (chapitre réécrit)

6 minutes de lecture

 Les derniers rayons du soleil filtrent à travers les arbres. Leurs feuilles bruissent sous une brise fraîche. Akeïn grimpe avec agilité à un arbre pour y cueillir des fruits juteux violets. Elle tend la main, en équilibre précaire.

 Soudain, des bras la saisissent fermement par la taille pour la contraindre à descendre. Akeïn tressaillit, puis se fige, nez à nez avec le Prince, tout juste rentré d’une mission.

 Leurs regards se croisent. Les yeux d’Akeïn brillent sous les rayons mordorés du soir. Elle retient son souffle, captivée par les pupilles saphir de Sayan. Ce dernier sourit en voyant ses joues se colorer de rose. Le vent joue avec la chevelure d’Akeïn, laissant quelques mèches sauvages caresser son visage. Sayan approche sa main, d’un geste lent, mesuré, et replace délicatement les mèches derrière ses oreilles, effleurant au passage sa peau. La jeune Gardienne ferme les yeux, savoure le contact de ses doigts sur son visage.

– Akeïn… souffle Sayan. Je suis désolée, nous allons avoir besoin de ton pouvoir. L’entité du Chaos est belle et bien réapparue dans les contrées de l’Est. Elle s’est désormais complètement matérialisée et avance vers nous, en quête de la Perle d’étoile…

 La Gardienne rouvre les yeux, le regard sérieux et déterminé :

– Je te protégerai. Tu peux compter sur moi.

– Nous partirons dans quelques semaines, avec Balsa. La créature ne doit pas arriver jusqu’ici, elle détruira tout sur son passage.

 Sayan attrape sa main en douceur, entrelace ses doigts aux siens et l’attire contre lui. Akeïn lâche un hoquet de surprise, puis se laisse aller pour un instant. Il lui souffle à l’oreille, la faisant frémir :

– Tu es courageuse, petite Terrienne…

 Il relâche son étreinte et rejoint le palais, un sourire presque taquin aux lèvres.

 Akeïn reste là, stupéfiée, à la fois troublée et fascinée par l’attitude du Prince. Elle soupire, confuse, alors qu’elle rapporte les fruits fraîchement cueillis, un peu anxieuse à l’idée de devoir combattre un monstre.

 La nuit, ses rêves sont peuplés d’images du Prince, superposées à celles de l’être aux yeux pourpres qu’elle a terrassé quatre années plus tôt.


 Les jours suivants, elle observe Sayan s’entraîner à l’épée, sans relâche. Ses mouvements sont rapides, précis, incisifs. « Il sait se battre et peut se défendre seul », réalise Akeïn. « Il lui faut juste ma magie. »

 Pendant qu’il perfectionne ses techniques de combat, la jeune herboriste affine ses pouvoirs et concocte toutes sortes de mixtures à base des plantes fascinantes de cette dimension. Elle teste diverses combinaisons d’extraits végétaux, assistée par Balsa. La guerrière se révèle particulièrement habile à réduire les feuilles en poudre et à mélanger les ingrédients. Ensemble, elles scrutent les forêts sombres, à la recherche d’esprits errants, testant leurs créations en les lançant sur ces spectres pour évaluer leur efficacité. Un long processus… effrayant et douloureux pour la pauvre Akeïn, peu habituée à ce genre de confrontations.

 Mais malgré ses efforts, rien ne semble agir réellement. Les orbes étincelants qu’elle libère ne font qu’encercler les cibles sans les atteindre, et ses élixirs toxiques ne parviennent même pas à décimer des esprits errants ! Que dire alors du redoutable roi des ombres ?

 Désemparée, épuisée par cette série d’échec, Akeïn confie ses doutes au vieux botaniste qui l’a formée.

– C’est justement parce que tu prépares tes potions de façon purement intellectuelle que tu échoues ! s’exclame son professeur. Tu te comportes en bonne botaniste, mais tu ignores ton héritage ! Cette magie ancestrale qui te permet de communiquer avec les plantes. Appelle-les ! Relie ton cœur au monde végétal, écoute-le. La nature t’offrira le remède parfait contre le roi des ombres.

 « Le remède… » songe Akeïn. « Et non le poison ! ». Une nuance subtile, la clé du mystère !

 Ainsi, chaque matin, Akeïn médite au pied d’un arbre, puisant dans sa magie ancestrale pour  communier avec la nature, sa précieuse alliée et sentinelle de la Gardienne.

 Au bout d’une semaine d’expérimentations acharnées et de connexion profonde au règne végétal, Akeïn trouve enfin le « remède » destiné à ensorceler le Chaos, prête à défier le monstre.

 « Je suis fière de toi, Akeïn. Tu n’es pas mon double pour rien ! Nous partirons demain », lui annonce Balsa.


 Le lendemain, Balsa réveille son amie à l’aube, déjà en armure. Akeïn se sent étourdie après une nuit au sommeil tourmenté et décousu. Après s’être restaurées, Balsa prend un ton sérieux :

– Bien, je te redonne le plan. Nous sommes obligés d’emporter la Pierre d’étoile pour décupler tes pouvoirs. Le monstre fera tout pour s’en emparer. N’oublie pas, tu dois impérativement canaliser son esprit à l’aide de ta magie et faire apparaître son cœur dans le monde physique. La dernière fois, ses yeux n’ont pas suffi. Atteindre son cœur sera plus difficile avec mon épée… Si j’y parviens, selon la prophétie, il ne pourra plus jamais réapparaître. C’est notre seule chance de l’anéantir définitivement !

– Compris !

 Avisant le regard anxieux d’Akeïn, Balsa ajoute :

– Cela fait des semaines que l’on s’entraîne pour ce grand jour. Aie confiance. Nous allons y arriver !

 La jeune Terrienne hoche la tête d’un air déterminé.



 Sayan, Balsa, Akeïn et une troupe de soldats sillonnent les chemins vers l’Est depuis trois jours. Le monstre a été repéré non loin d’ici. Tous restent sur leurs gardes, malgré la fatigue accumulée lors de ce périple à pied.

 Les villageois des environs ont été évacués lors de la précédente mission du Prince. Son peuple est en sécurité. La Perle d’étoile scintille déjà dans son sac, son rayonnement filtrant à travers les interstices.

 Au loin, Akeïn aperçoit l’entité du Chaos : un géant au corps immatériel, d’un noir profond, longiligne. Cette fois, pas de pupilles rouges, et son cœur demeure invisible.

 Face au monstre, Akeïn tressaille, mais se ressaisit rapidement. Sayan expose sa Pierre d’étoile et hurle à l’entité :

– C’est ça que tu veux ?

 La manœuvre de diversion : seule la Pierre l’intéresse, rien d’autre n’aurait pu détourner son attention. Akeïn puise dans la force de la Pierre magique tandis que les soldats se placent devant le Prince. Le roi des ombres plonge sur eux, les balayant comme de vulgaires soldats de plomb. Balsa bondit, tente de pourfendre son amas informe, mais son épée le traverse sans résistance. Un véritable fantôme.

 La phase deux du plan fonctionne. L’herboriste sort ses potions ensorcelées de son sac, puis jette chaque fiole sur le monstre, occupé à propulser les pauvres soldats dans les airs. Une lueur rouge palpite soudain au milieu de sa masse gigantesque. Grâce au sort d’Akeïn, son cœur devient visible, palpable dans ce monde : le fameux remède.

 Les âmes doubles agissent en cœur : Balsa prend appui sur le sol, saute en virevoltant dans les airs, son épée dressée vers le monstre. Mais ce dernier se retourne et déploie des tentacules sombres qui s’enroulent autour de Balsa puis se resserrent inexorablement. La guerrière hurle de douleur, prise au piège.

 Akeïn écarquille les yeux, effrayée, courbée en deux par une terrible sensation d’étouffement. Elle suffoque, impuissante. Le Prince crie sa rage, brandit son épée devant le monstre. Il s’approche de la Gardienne en lui tendant la Pierre. La magie des étoiles agit, son halo s’agrandit jusqu’à atteindre la jeune fille. Akeïn retrouve son souffle, inspire à fond et se redresse enfin. Elle lit le soulagement dans le regard de Sayan.

 Les soldats restants essaient désespérément de sauver Balsa, mais leurs armes se révèlent inefficaces contre cet être intangible.

 La Gardienne ferme les yeux, ouvre ses mains pour capter le fluide de la nature et invoquer sa force. Des spores dorées s’échappent alors de son corps, nimbé d’une aura lumineuse. Le Prince observe le phénomène, émerveillé. Les petits orbes viennent se coller contre le monstre et l’immobilisent. Le monstre relâche son étreinte mortelle, ses appendices paralysés par le sort d’Akeïn, et Balsa chute des hauteurs, comme une poupée de chiffon.

 D’un geste vif, son double crée immédiatement des lianes pour la récupérer, inerte, et la déposer à terre. Sayan prend l’épée enchantée de Balsa et profite de l’état de léthargie de la créature pour bondir jusqu’à sa poitrine, la Pierre d’étoile lui conférant une force prodigieuse. Il abat l’épée d’un coup fatal dans son cœur.

 Le Chaos hurle d’un cri démentiel et tonitruant, puis s’affale de tout son long en s’évaporant peu à peu, anéanti.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0