Hide : première neige

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La première neige. En voyant les flocons tourbillonner derrière l’étroite lucarne qui perçait sa cellule, Hide prit conscience du temps qui s’était écoulé. Depuis combien de semaines était-il là, enfermé dans cette cellule d’isolement ? Sans aucune visite pour rythmer son quotidien, Hide avait perdu la notion du temps. Il n’avait pas plus de nouvelles de la révision de son procès. En étant transféré ici, il avait pensé bénéficier d’une avancée.. Mais finalement, les choses semblaient s’être figées. Quel con il avait été de se laisser enfermer comme ça…!

Hide croisa les bras étroitement autour de son corps. Un vent glacé venait de s’engouffrer par l’étroite lucarne, maintenue ouverte nuit et jour. C’était le vent sibérien, annonciateur de grand froid.

Recroquevillé sur lui-même, Hide posa ses yeux noirs sur la neige qui tombait. Lola voyait-elle la même chose que lui ? Neigeait-il là où elle se trouvait ? Il ignorait l’endroit où elle était. La dernière fois qu’il l’avait vue, il lui avait dit de fuir, de se mettre à l’abri loin de lui et des yakuzas. Même Masa ignorait où elle était. C’était mieux comme ça.

Lola. Je t’ai promis que je te rejoindrais bientôt... mais je ne suis plus certain de pouvoir tenir ma promesse.

Hide ferma les yeux. Une larme pointa au coin de son œil effilé, mais il se persuada qu’elle était due à l’air vicié et poussiéreux de la cellule de confinement.

*

Un bruit étrange le tira du sommeil. Il avait à peine ouvert les yeux que le flash d’une lampe-torche le força à les refermer. Un gardien la pointait sur son visage, à travers la porte de la cellule entrouverte.

— Lève-toi, chuchota une voix familière. Je t’attends à l’extérieur.

Arisawa. C’était elle. Qu’est-ce qu’elle lui voulait, encore ?

Hide déplia sa grande silhouette et s’extirpa de l’étroite cellule. Que cela faisait du bien de pouvoir se mouvoir un peu plus librement, de faire quelques pas !

— Ne fais pas de bruit, lui intima-t-elle une fois qu’il fut dehors.

Hide la toisa sans sourire.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

Il avait souvent vu l’inspectrice passer devant sa cellule, le soir. Elle le regardait. Surtout la première semaine, lorsqu’on l’avait laissé attaché les bras dans le dos comme un criminel de l’époque féodale. Une fois, il l’avait surprise en train de prendre une photo avec son téléphone. Cette femme avait un grain ; il se méfiait d’elle.

— J’allais juste te proposer de prendre une petite douche, répliqua-t-elle en levant les mains en signe d’incrédulité. Mais si tu le prends comme ça...

Hide la scruta. Elle semblait sincère... mais comment savoir ce qui se passait dans sa tête ?

Tant pis. De toute façon, il n’avait rien à craindre d’elle.

— Je ne dirais pas non, admit-il enfin.

Arisawa lui répondit avec un sourire blanc.

— Parfait. Je savais que l’idée te plairait. Ça fait un sacré bout de temps que tu es là-dedans...

Hide la suivit dans la pénombre des couloirs. La cellule de confinement se trouvait dans une partie isolée de la prison. Arisawa le conduisit jusqu’aux parties communes, où se trouvaient les douches.

— Vas-y, souffla-t-elle, entre. Mais ne fais pas de bruit. Je ne suis pas censée être là, et toi non plus. Les gardiens ne sont pas dans le bâtiment, mais je ne veux pas que les autres détenus entendent : ils pourraient cafter.

Hide lui jeta un regard oblique.

— Pourquoi prenez-vous tant de risques pour moi ?

— Le procureur aimerait que tu lui fournisses certaines petites infos sur le fonctionnement interne du Yamaguchi-gumi.

— Des infos ? De quel genre ?

— Oh, rien de bien important, tempéra-t-elle en voyant la grimace de son interlocuteur.

— J’ai du mal à croire que le procureur vous autorise à bafouer le règlement d’un centre de détention pour ça...

De nouveau, Arisawa lui envoya son sourire dentu.

— Il ne s’intéresse qu’aux résultats. Et puis... j’ai une autre motivation.

Hide la regarda en silence, puis il tourna la tête. Il n’aimait pas cette femme. Elle lui faisait froid dans le dos.

En apercevant son visage dans le miroir minuscule de l’évier, il eut un choc. Ses cheveux avaient repoussé, et une barbe noire, striée de touches de gris, envahissait son visage.

— Ça fait combien de temps que je suis enfermé ?

— Un mois et demi, admit Arisawa en s’adossant au mur. Même ta femme ne vient plus. Tout le monde t’a abandonné.

Un mois et demi au trou. Que de temps perdu... et pendant ce temps, Lola était livrée à elle-même.

Pourvu qu’elle soit loin, espéra encore Hide.

— Ma femme ? Vous avez des nouvelles ?

— Je viens de te dire qu’elle ne vient plus.

— Tant mieux. Je lui avais demandé de quitter le pays.

— Cette pute d’Occidentale... c’est sans doute ce qu’elle a fait, en t’abandonnant à ton sort.

Hide se retourna brusquement.

— Faites attention à ce que vous dites, gronda-t-il, menaçant. Je suis peut-être un détenu, mais je ne vous laisserai pas insulter ma femme.

Arisawa soutint son regard, un demi-sourire sur les lèvres.

— Oui... j’aime quand tu es comme ça. Quand ta vraie nature reprend le dessus, celle d’un yakuza sauvage et brutal. C’est ce que tu es, non ?

Les sourcils froncés, Hide lui faisait face. Lorsque la main d’Arisawa jaillit pour lui saisir l’entrejambe, il l’intercepta et la chassa sur le côté d’un revers de bras.

— Ne jouez pas à ça avec moi, l’avertit-il.

— Sinon quoi ?

Le regard défiant, elle continuait à le fixer. Hide connaissait ce type de regard... tout comme il connaissait la tension qui avait soudain rendu l’air plus opaque autour d’eux, et celle qu’il sentait grandir dans son entrejambe.

— Ça fait combien de temps que tu n’as pas baisé, Ôkami ? murmura Arisawa, les lèvres brillantes. Cinq mois ? Six ? Je peux te soulager, tu sais. Et si tu te montres à la hauteur, je pourrais peut-être rendre ta vie ici plus agréable... Te laisser appeler ta Française, même.

Hide se détourna en étouffant un juron. Cette femme...

— Allez, va te doucher, le tança Arisawa en lui lançant un sac plastique. Un peu d’eau froide ne te fera pas de mal ! Et rase-toi. J’aime que les hommes soient bien lisses lorsque je les ai entre les jambes.

*

Seul dans la douche, Hide s’appuya à deux mains sur le mur d’en face, laissant l’eau ruisseler sur sa nuque et son dos. Ce qu’Arisawa lui proposait, c’était rien de moins que de faire le gigolo en échange de quelques bénéfices. Mais si ça lui permettait d’appeler Lola, ou de prendre l’avantage...

Non. Je peux pas.

Un mois auparavant encore, il se serait cru capable de discipliner son corps, surtout face à une fliquette vicieuse et arrogante comme celle-là. Mais elle avait raison sur un point : au terme de six mois de régime carcéral, il ne contrôlait plus son corps. C’était comme si ce dernier ne lui appartenait plus. Il ne pouvait pas présager de ses réactions avec elle. Si elle le poussait trop loin...

Je me suis affaibli, se résigna Hide en regardant l’eau couler sur le carrelage.

Un peu d’eau tiède, les insinuations d’une garce comme cette Arisawa, et sa bite se mettait au garde-à-vous. Mais il n’allait pas s’abaisser à ça. Jamais. D’ailleurs, il n’allait pas se raser. Que cette salope comprenne qu’il ne comptait pas lui céder.

Le regard de Hide tomba sur le sac en plastique que lui avait donné l’inspectrice. Il contenait une serviette en simili-plastique, une savonnette, un tube de dentifrice, une brosse à dents, de la mousse Bioré et... un rasoir jetable. Hide le ramassa. Il avait beaucoup trafiqué avec ce type d’objet lorsqu’il était lycéen, dans l’un des établissements techniques les plus agités du pays. À l’époque, les jeunes voyous des gangs locaux les démontaient pour se fabriquer des armes, jouer les durs. Il savait sans doute encore le faire... quoiqu’avec ce type de manche, tenu de la bonne manière, ce ne serait sans doute pas nécessaire. Et comme ça, il n'aurait pas à contrevenir à son code en frappant une femme... même si cette Arisawa méritait une bonne leçon.

— Bon, t’en as encore pour longtemps ?

La voix d’Arisawa lui parvint de l’autre côté du mur. Hide sortit de la douche, lui fit face sans s’être rhabillé. L’inspectrice resta interdite un instant, les yeux fixés sur son bas-ventre.

— Eh ben... sacré beau paquet ! s'exclama-t-elle avec un sifflement admiratif.

Lorsque Hide la saisit, elle poussa un glapissement surpris.

— Hé ! Pas la peine d’être aussi brusque...

Elle s’immobilisa soudain au contact de la lame sur sa jugulaire.

— Qu’... qu’est-ce que tu fais ? Tu espères me tuer avec ce truc ?

— Bouge pas. La lame est peut-être petite, mais je sais dans quel sens il faut couper pour ouvrir une artère. Je suis un yak’, ne l’oublie pas. Un truand.

Arisawa déglutit avec peine.

— Ok. On fera ce que tu dis... qu’est-ce que tu veux ?

— Sortir d’ici, murmura Hide derrière elle en réaffirmant sa prise. Si tu me fais sortir du bâtiment, je te laisse repartir.

— Idiot ! Tu seras rattrapé en moins de deux.

— C’est un risque à courir. Mais je ne peux plus me permettre d’attendre le bon vouloir de ton procureur. Visiblement, il a décidé de me laisser pourrir ici.

— Si tu t’enfuis maintenant, tu ne seras jamais innocenté !

— Tant pis. Mais je dois protéger ma famille. Puisque l’état refuse de le faire. C’est le rôle d’un yakuza. Ça aussi, tu le sais.

Arisawa garda le silence. Hide la poussa jusqu’au casier où il avait laissé son uniforme.

— Allez, file-mon mon futal. Plus vite que ça !

L’inspectrice s’exécuta de mauvaise grâce. Hide se rhabilla d’une main, tout en continuant à la maintenir collée contre lui. Lorsqu’il eut enfilé les tennis réglementaires, il lui montra la porte qui donnait sur le couloir et l’escalier de service.

— On y va.

*********

Désolée, je prends de plus en plus de retard dans la publication de ce roman ! J'ai beaucoup de trucs à gérer en ce moment et je manque de calme pour me poser et pour écrire. Je suis en train de signer un contrat pour publier mon premier roman, une romance SF, qui sortira normalement à Noël. Si ça se concrétise (oui je suis superstitieuse), je vous en dirais plus au prochain chapitre. :)

On approche de la deuxième partie, qui aura une ambiance différente. Encore deux chapitres ! Je pars au Maroc pendant les vacances, donc vraisemblablement il n'y aura pas de publication dimanche/lundi prochain, sauf si j'arrive à écrire un chapitre d'avance et le programmer. On verra...

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