Lola : retour à Tokyo

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Tokyo. Ses immeubles à perte de vue, traversés par le maillage des trains qui jamais ne s’arrêtent. Cela ne faisait que quelques semaines que j’étais partie, mais j’avais l’impression que cela faisait des années. Miyazaki se situait vraiment dans un autre espace-temps.

Enfin. J’étais là maintenant. Et j’avais des choses à régler.

Je pris une grande inspiration, et poussai la porte du bureau du clan Ôkami.

Les choses avaient bien changé, depuis la création du groupe. Déjà, l’effectif était réduit de moitié. Une grande partie des décorations coûteuses avait été vendue, et j’avais l’impression que la poussière n’avait pas été faite depuis plusieurs semaines. Surtout, l’immense plaque de bois gravé et doré dans l’entrée représentant les armoiries du clan était recouverte d’un tissu blanc, comme si on était à des funérailles. Je l’arrachai d’un coup en passant et, le portant dans mes bras, je me dirigeai d’un pas décidé vers le bureau de mon mari.

Masa s’y trouvait. Il leva un regard blasé en me voyant : il avait considérablement maigri, et même, vieilli.

— Ane-ue. Si vous m’aviez dit que vous viendriez, j’aurais envoyé une voiture...

— Arrête, le coupai-je. Tu n’as plus assez d’hommes disponibles pour ça. C’est qui qu’on enterre ?

Je jetai le drap blanc sur la table. Masa posa un œil morne dessus.

— Justement... Je m’apprêtais à vous le dire. J’ai essayé d’appeler à Saitô, mais Hanako-san m’a dit que vous n’étiez pas disponible.

— Me dire quoi ?

Masa baissa la tête.

— Le patron... il a disparu.

— Disparu ? répétai-je en plissant les yeux.

— Il... a tenté de s’enfuir, hier soir.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.

Hide... non.

— Et alors ? Que s’est-il passé ? Comment va-t-il ?

— On ne sait pas, avoua Masa. Uchida vient de m’appeler...

Je sortis fébrilement mon téléphone de ma poche. Pourquoi cet idiot ne m’avait-il pas appelée en premier ? Ah si, il avait essayé. Mais mon portable était en mode avion depuis que ce matin, et je ne l’avais pas remis en fonctionnement normal en quittant l’aéroport... Quelle cruche !

Uchida répondit au premier coup de fil.

— Hide-san a tenté de s’échapper hier, confirma-t-il. Il a pris en otage une adjointe au procureur pour pouvoir sortir du complexe. C’est plutôt grave.

Plutôt, oui.

— Mais où est-il actuellement ? Est-ce qu’il est toujours détenu à Sapporo ?

Uchida parlait bien de « tentative ». C’est qu’ils l’avaient rattrapé, non ?

— C’est plus compliqué que ça, admit l’inspecteur d’un ton ennuyé. Est-ce que je peux vous voir de visu ? Vous pouvez passer à mon bureau.

— Est-ce qu’il va bien ? Uchida-san...

— Passez à mon bureau. Je vous dirai tout.

Et il raccrocha.

Je relevai la tête vers Masa, bouleversée.

— Ils ne l’ont pas retrouvé, souffla ce dernier. Mais il semblerait qu’il... soit mal en point.

— Mal en point ?

— Uchida n’a rien voulu me dire de plus.

J’en avais assez entendu. Je me précipitai hors du bureau, Masa sur les talons.

— Où allez-vous ?

— À Shinjuku, soufflai-je en pianotant déjà sur mon téléphone pour réserver un avion.

— Je vous accompagne.

— Ce n’est pas la peine, vraiment, Masa.

— J’insiste. Kôhei, va chercher la voiture.

Le dénommé Kôhei — qui avait bien monté en grade depuis la dernière fois — acquiesça d’un mouvement de tête et sortit pour aller chercher la voiture. Le dernier véhicule de fonction du clan Ôkami.

Je regardai Kôhei manœuvrer la voiture, songeant au jeune Yûji, qu’il remplaçait. Était-il possible qu’autant de temps se soit écoulé depuis l’époque où Yûji conduisait cette voiture ? J’avais du mal à réaliser.

— Après vous, ane-ue, fit Masa en m’invitant à monter dans le SUV.

Je pris place machinalement, alors que Masa, monté à ma suite, verrouillait les portières. Kôhei, au volant, passa en première. Les quelques membres du clan restés au bureau, qui nous avaient escortés à l’extérieur, saluèrent d’un seul homme, formant une ligne impeccable. J’eus le cœur serré en pensant à l’époque, pas si lointaine, où s’était devant Hide, qu’ils saluaient ainsi. L’époque où Hide était à mes côtés. Nous étions heureux alors...

— Tout va bien, ane-ue ?

Je me tournai vers Masa.

— Oui... je pensais juste à mon mari.

— Quoi qu’il lui soit arrivé, je suis sûr qu’il va s’en sortir. Il n’est pas encore né, celui qui fera tomber le loup du Yamaguchi-gumi.

Tombé... c’est pourtant ce qui est arrivé, faillis-je répliquer. Le clan du loup n’est plus que l’ombre de lui-même... Toi y compris, Masa.

Mais je gardai mes pensées pour moi. Masa, lui aussi, avait besoin de soutien.

— C’est pour quand ?

— Quand, quoi ?

— La naissance, fit Masa en montrant mon ventre.

— Oh... ah. Bientôt.

Masa se tut. Il était mal vu de poser trop de questions sur la vie intime de la femme de son boss.

Par la fenêtre, les devantures lumineuses de Roppongi défilaient, redoublant de brillance sous la pluie. La voiture stoppa.

— Pourquoi on s’arrête ? murmurai-je. Il n’y a pas de feu rouge.

— Un camion bloque la route, o-nê-sama, me répondit Kôhei de sa grosse voix grave.

Je tendis le cou pour mieux voir. Effectivement, une grosse fourgonnette noire bloquait la voie. Kôhei donna un coup nerveux sur le klaxon.

Nandayo, kono yarô ! grogna-t-il en roulant les r à la façon caractéristique des yakuza.

Une silhouette sortit de la camionnette. Un homme de forte stature, vêtu d’une parka voyante. Il portait un masque bizarre, ressemblant à celui des démons dans le théâtre nô. Je le regardai s’approcher, fascinée.

Le cliquetis d’une arme qu’on enclenche me tira de ma rêverie.

— Baissez-vous, ane-ue, me dit calmement Masa.

C’est alors que j’aperçus l’arme de l’homme au masque. Une mini-mitraillette semi-automatique Uzi...

Hashire ! hurla Masa à Kôhei.

La voiture bondit au moment où l’homme au masque ouvrait le feu. Les vitres blindées absorbèrent le premier choc, permettant à Kôhei d’effectuer sa manœuvre pour se dégager de se piège mortel. Une autre voiture venait d’apparaître sur notre gauche, nous bloquant la route. Sur la droite, c’était le type au masque, qui nous tirait dessus.

Kôhei n’hésita pas une seconde. Il écrasa la pédale et fonça droit sur le tireur. Un réflexe que peu de chauffeurs avaient dans ce type de situation... mais qui nous permit de nous tirer de ce traquenard.

Alors que la berline filait vers la sortie de l’avenue, j’eus le réflexe de me retourner pour regarder dans le hauban arrière. Un homme venait de sortir de la deuxième voiture. Grand, les cheveux soigneusement gominés en arrière, sa silhouette mince vêtue d’un élégant costume croisé.

Un frisson me descendit l'échine. C'était Kiriyama Reizei.

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