Lola : jusqu'au bout

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Je somnole à moitié, le cœur trop lourd pour que le sommeil me prenne vraiment. Les ombres dansent sur les murs de la chambre, découpées par les branches fines que le vent agite contre la fenêtre. Taichi dort dans la pièce d’à côté. Miyako aussi. Mais moi… moi, je suis dans cet entre-deux où l’attente ronge plus que l’absence.

Je n’ai pas pleuré.

Je n’ai plus de larmes.

J’ai tant de fois imaginé ma vie sans lui. Mon retour en France, mon bébé sous le bras. Le regard apitoyé de ma famille, leur silence face à ma douleur. Oui, j’ai fantasmé cet échec, quelque part. Rejoué ce film encore et encore dans ma tête, repassant les scènes les plus douloureuses comme on gratte un bouton qui fait mal. Mais aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, j’ai pris la décision de ne plus fuir. Jamais je ne retournerai en France. Jamais. Ma vie est ici, avec lui. Et s’il advenait qu’il ne me revienne pas vivant… je vengerais sa mort. Et reprendrais le flambeau, son héritage.

Je me retourne dans mon lit, les yeux rivés sur le plafond. Grands ouverts. Mon cœur bat la chamade. J’ai envie d’en découdre. Je n’en peux plus d’attendre, de ne pas savoir. Sao, Masa. Kiriyama. Hide. Tous, ont des comptes à me rendre.

Puis, un bruit. Infime. Une respiration étranglée par la porte d’entrée qui grince à peine. Mon cœur explose en silence. Je me lève d’un bond, pieds nus sur le bois froid, l’adrénaline noyant les doutes.

Quand je le vois dans l’embrasure, une silhouette trempée par la pluie, le manteau noir alourdi de silence, ma voix me trahit avant même que je réalise.

Tu as réussi.

Il a réussi à convaincre les Kozakura. Juste en étant lui-même, sans arme, ni monnaie d’échange. Que leur a-t-il promis, pour pouvoir quitter Kagoshima ? Son âme ?

Oui, probablement.

Ses yeux me fixent, plus sombres encore qu’à son départ, mais plus brûlants. Présents. Et surtout, il est là.

Hide.

Comment ai-je pu douter de lui ?

Il ferme la porte derrière lui sans un mot, avance lentement vers moi. Mon souffle se bloque dans ma gorge. Il me regarde comme on regarde la lumière après avoir frôlé l’obscurité trop longtemps. Et je comprends. Il revient de très loin.

Je le touche. Mes doigts frôlent sa joue, rugueuse et glacée. Sa main attrape la mienne, la presse contre ses lèvres. Il murmure contre ma peau :

— Tu m’as manqué.

C’est tout ce qu’il dit. Et c’est tout ce qu’il faut.

Je ne demande rien de plus. Pas encore. Mes bras s’enroulent autour de son cou, et nos corps se cherchent, se retrouvent, se soulagent. Il me serre contre lui si fort que je sens ses tremblements. Ou les miens. Je ne sais plus. Nous tombons dans les draps sans rien dire, comme si le monde s’effaçait pour nous laisser cette parenthèse de chaleur, cette victoire volée à la guerre.

Pas d’artifice, de jeux de rôles. Juste nous deux. Les battements de son cœur contre le mien, la chaleur de sa peau, son souffle mêlé au mien. J’ai l’impression de fusionner avec lui. De me voir à travers ses yeux, fugitivement. Est-ce que c’est pareil pour lui ? J’imagine que oui.

Quand enfin nous sommes allongés, encore haletants, ses doigts glissent dans mes cheveux. Sa poitrine se soulève lentement, rythmée par un silence qui n’a plus rien d’angoissant. Juste lourd de ce que nous n’avons pas encore dit.

Je me tourne vers lui. Mon regard croise le sien dans la pénombre.

— Tu es revenu seul, murmuré-je. Ils ne t’ont pas suivi.

Il acquiesce sans un mot.

— Tu vas retourner à Tokyo, n’est-ce pas ?

Il ne répond pas tout de suite. Il sait que je connais déjà la réponse. Alors je continue :

— Je viens avec toi.

Il se redresse légèrement, surpris.

— Lola…

— Ne dis rien. Je suis prête. Kiriyama… ça nous concerne tous les deux. Et Masa… s’il a vraiment trahi, alors il nous doit une explication, à toi comme à moi. Mais tu ne porteras pas tout ça seul, pas cette fois.

Je vois l’éclat dans ses yeux. Un mélange de crainte et d’amour si brûlant que j’en ai presque mal.

— Tu es-prête à aller jusqu’au bout, Lola ?

Jusqu’au bout. Et même plus loin, s’il le faut.

Un silence suspendu. Puis il hoche la tête, doucement, comme s’il scellait quelque chose entre nous. Il me prend contre lui, pose son front contre le mien. Ses doigts effleurent ma nuque : sa voix est basse, rauque, emplie d’une fierté qui me gonfle le cœur.

— Alors on y va ensemble.

Je ferme les yeux. J’ai peur, bien sûr. Mais je ne suis plus la femme d’hier. Je suis sa complice. Sa louve.

Et cette guerre, elle est aussi la mienne.

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