Hide : capture

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Les rues de la ville sont désertes à cette heure de la nuit. Des heures qu’on guette… L’air frais glisse sur ma peau, mais la tension dans mes muscles me dit que ce soir, il va faire plus froid encore. Un froid de mort.

Je jette un regard furtif à ma droite. Masa est concentré, immobile comme une ombre, les mains serrées autour du volant de la voiture, prêt à agir au moindre signe. Il me connaît assez pour savoir qu'il n'y a aucune place à l'erreur. La guerre, c'est un jeu de patience, mais aussi d'impulsions rapides. Mais je le sais prêt à me suivre jusqu'au bout.

La voiture de Kiriyama, cette saloperie de traître, approche. Je la vois au loin, des phares perçant l’obscurité comme les yeux d’un ennemi.

— Il est seul, murmure Masa en me tendant une paire de jumelle tactiques, un surplus de l’armée populaire de Corée du Nord.

Je fronce les sourcils.

— Ses gardes du corps sont avec lui ?

— Apparemment non. Il a voulu y aller incognito…

Au Club. Voir Naho. Elle n’y est pas ce soir : Miyako l’a prévenue. Et elle est allée la rejoindre. Les retrouvailles de deux sœurs séparées par le destin. Je n’ai pas cherché à m’en mêler : tout cela ne me concerne plus. La seule chose qui m’importait, c’est que Kiriyama quitte sa soirée contrarié, et que cette absence imprévue le rende nerveux, prompt à faire une gaffe.

Je me tourne vers elle. Lola.

Elle est juste à côté, les cheveux noirs éparpillés en une cascade parfaite, son regard dur, concentré, aussi féroce que le mien. La première fois qu’elle m’a montré ses crocs, j’ai eu du mal à l’accepter. J’ai cru que c'était juste le soubresaut d’une femme insoumise, qui ne supporte pas l’autorité. Mais en réalité… Elle avait ça en elle, depuis le début. Et c’est ce que j’avais vu dès la première fois que j’ai posé les yeux sur elle.

Elle est là, avec nous dans la voiture. C’est la première femme que je prends avec moi dans une opération de ce type. Elle est parfaitement calme. Mais une lueur d’excitation brille dans ses yeux. Ce soir, elle ne joue pas le rôle de la spectatrice. Non, elle est là pour se battre, pour faire ce que nous devons faire.

Je dois admettre que je suis fier d’elle. Elle n'a pas hésité à plonger dans ce monde de violence, de mensonges, et de sang. Lola n’est pas la fragile poupée que j’ai voulu protéger au début. Elle est plus forte que ça. Mais une part de moi, un vieux réflexe de protection, me fait douter. Elle est là avec nous, mais je sais ce qu'il y a en jeu. Trop de choses pourraient mal tourner. Je dois garder mon esprit clair.

Ne pense pas à elle, Hide.

Je ferme les yeux, respire profondément, puis je les rouvre. Il est trop tard pour reculer maintenant. Nous avons le contrôle. Je serre le pistolet dans ma main. Le bruit des moteurs se fait plus présent : ils approchent. Il est temps.

D’un simple geste, je donne l’ordre à Masa de se positionner. Lola est déjà prête, ses mains nonchalantes sur une arme qui parait trop grosse pour ses doigts. C’est ce soir qu’elle fait ses preuves. Le test du feu. Beaucoup d’hommes craquent, lors de ce moment de vérité. Des durs.

— N’en fais pas trop, murmuré-je à ma femme sans me regarder. Tu n’es là qu’en soutien. Ce soir, c’est moi qui bouge. Toi, tu restes dans la bagnole. Compris ?

Lola garde le silence. Mais je la sens qui se crispe un peu. Elle n’aime pas que je la relègue à l’arrière. Mais je ne peux pas m’en empêcher : c’est plus fort que moi. Je ne pourrais pas supporter qu’il lui arrive quelque chose. Et ce moment est trop important pour qu’on prenne le risque d’une erreur.

Kiriyama, l'ancien frère juré, celui qui m’a trahi, est à quelques secondes de l’ultime erreur de sa vie.

La voiture s’arrête juste devant nous, coincée dans la rue étroite. Le regard de Kiriyama dans le rétroviseur le trahit. Il nous a vus trop tard. Tant mieux.

Je me fais entendre, ma voix basse mais implacable.
— Maintenant.

Là, une explosion de mouvement. Masa saute hors de la voiture, trop rapide pour que Kiriyama puisse réagir. Et Lola à sa suite. Je bondis moi aussi, un peu déstabilisé. Ce n’était pas prévu comme ça… J’essaie de tirer ma femme en arrière, en vain. Cette fois, elle a été plus vive que moi.

Putain.

J’avais pas prévu que ça merde si vite. Si je ne fais rien, elle va se faire buter…

Mais Lola et Masa sont déjà sur Kiriyama, les armes braquées, le visage caché par les ombres. Et Lola tient ce salaud en joue comme une professionnelle.

— Bouge pas ! ordonne Masa en le poussant brutalement sur le volant.

Effaré, les yeux de Kiriyama se posent sur Masa, puis sur Lola. Une haine acide brûle dans ses yeux. Enfin, il échange un regard avec moi.

— Je me doutais bien qu’il y avait un loup, ironise-t-il, le sourire mauvais. Naho-chan absente…

Je braque mon regard sur lui.

— Je t’avais dit de ne plus jamais l’approcher. Tu vois que ce n’était pas des paroles en l’air.

— Quoi, tu la protège toujours ? siffle-t-il, mielleux.

Je sais qu’il fait ça pour torturer Lola, jouer sur ses nerfs. Il fait semblant de l’ignorer, mais il s’adresse à elle, en fait. Je me place entre elle et lui. Cet enfoiré n’a pas à lui parler.

— T’étais pas censé revenir, grince-t-il en retour. T’étais supposé mort, non ?

— Toi par contre, c’est le rôle que tu vas jouer ce soir, répliqué-je avec un sourire glacial. Celui du mort.

Il ne s’attendait pas à nous voir là. Il fait le fier à bras, mais il est surpris, son corps tendu comme une corde prête à céder. Je le vois se pencher en avant, probablement pour sortir son arme. Trop tard, connard. Trop tard.

Je claque la portière sur lui sur son bras. Il hurle, comprenant enfin que je suis sérieux.

— Tu crois que j’allais te laisser vivre après tout ce que tu as fait ?

Je le sais. Il le sait. La traîtrise a un prix.

Il se relève, ses mains tremblent. Un sourire nerveux s’esquisse sur son visage.

— Tu sais bien que ce n’était pas contre toi, Kaz, plaide-t-il, à court de ressources. Ça n’a jamais été contre toi. Je voulais juste m’élever, avoir ma chance… on était frères, toi et moi. Et voilà comment tu me traite ! J’ai le bras cassé, tu sais ?

Y a pas que ton bras, que je vais casser. Mais ça, il s’en doute.

— OK. T’as joué, et t’as perdu.

Je n'ai pas de temps à perdre avec ses misérables excuses. Je saisis mon ancien ami, le seul que je pensais avoir, par le col, et le fais sortir du véhicule. Il ne tente même pas de résister.

Masa nous rejoint : il a déjà ouvert le coffre. Cette fois, Kiriyama a un sursaut, de l’ordre de la survie. Il sait qu’on va le buter. Alors, il essaie de se débattre, en vain : je le pousse dedans violemment, comme un sac. Pendant que je le maintiens par la gorge, Masa lui colle du chatterton sur la bouche, avec les gestes assurés d’un professionnel. Ce n’est la première fois qu’il fait ça. Lola, qui observe la scène derrière nous, son arme toujours braquée sur Kiriyama, est en train de se rendre compte que pour nous, il s’agit juste d’une autre journée de travail. Masa et moi, on a l’habitude de bosser ensemble. Surtout sur les sales boulots comme celui-là. J’en ai jamais parlé avec elle, mais elle comprend. Combien de types on n’a pas largué dans la baie, lui et moi ?

En tout cas, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas sali les mains personnellement. Et c’est la première fois que je le fais devant ma femme.

Je fais le tour de la voiture et, sans un mot, ouvre la porte à Lola, qui reste là, les bras un peu ballants. Elle n'a rien dit depuis le début, et je vois qu’elle est nerveuse, peut-être un peu choquée. Mais la détermination reste visible dans ses yeux. Elle est prête, elle aussi. Plus prête que jamais. Je suis fier, oui, mais je sens une légère inquiétude m'envahir. C’est une première, pour elle. Et si elle ne s’en remettait pas ? C’est pour cela qu’on préserve les femmes. Pour qu’elles puissent rester intouchées par le mal, et continuer à l’ignorer.

Elle aurait pu rester à l’écart, loin de ce carnage.

Mais je lutte contre ces pensées. La situation est sous contrôle. Kiriyama est à nous maintenant.

— Où on va ? demande Lola en voyant Masa remettre le contact.

— Au hangar. Là, on aura tout le temps de lui faire parler.

— Le hangar ?

J’essaie d’ignorer le sentiment qui me tord les entrailles.

— C’est là qu’on fait le sale boulot, répond Masa en réponse en rajustant ses éternels verres fumés.

— Je n’avais jamais entendu parler de cet endroit, murmure Lola.

— Normal, grogné-je.

Mon job en tant qu’époux, c’était justement de protéger ma femme de ce genre de savoir. Mais ce temps-là est révolu. Et Lola, au fond d’elle, le sait.

Je regarde Lola encore une fois, ses lèvres à peine entrouvertes dans un sourire discret, et cette sensation de fierté se transforme en quelque chose d’encore plus fort, plus intime. Elle est mienne.

—On y va.

Masa fait partir la voiture. Il conduit prudemment : ce n’est pas le moment de ce faire repérer. Kiriyama est maintenant dans le coffre, en notre possession. Sécurisé. Prisonnier. Et bientôt mort.

Il sait où il va, nous aussi. Et ce soir, il va comprendre ce que ça signifie de trahir sa famille, son clan. Il n’a jamais cru au code des yakuzas. Je vais le lui imprimer dans la tête.

Ce soir, la nuit est particulièrement sombre. Mais elle ne va pas tarder à devenir encore plus noire.

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