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Eté 304 après Mantawa

Ruben posa sa hache et se releva pour masser son dos endolori. L’après-midi touchait à sa fin. Dans le sous-bois, sous l’épais toit d’épines, la lumière n’avait guère changé, mais les moustiques s’étaient éveillés et commençaient à l’attaquer. Il essuya d’un revers de manche la sueur qui picotait son visage et secoua sa tunique collée à sa peau. Il continuerait à débiter le tronc plus tard, il lui faudrait sans doute encore plusieurs jours pour en venir à bout. Il redescendit en direction de la maison, son outil à la main.

Ruben quitta l’ambiance résineuse et feutrée de la forêt pour l’atmosphère surchauffée de la prairie. Le clapotis constant du ruisseau dispensait sa musique cristalline, en écho aux stridulations des grillons. Une brise opportune souffla des sommets, secouant les cimes des grands arbres dans un froissement doux. Sur le versant d’en face, le potager assoiffé attendait son dû pour pouvoir en gorger ses légumes. Plus loin, les arbres fruitiers masquaient à sa vue les quelques ruches qui guettaient le retour des abeilles chargées de leur butin.

Il longea la grange, à l’ombre de laquelle grattaient les poules. Au fond, les clapiers bruissaient d’activité mais ses yeux aveuglés de soleil ne lui permettaient pas de distinguer les lapins dans la pénombre. Ruben atteignit la maison, ce havre où il avait trouvé un semblant de paix. Il gravit les quelques degrés de pierre qui longeaient la maison jusqu’à la terrasse dallée d’ardoise. De là, il vit les visiteurs arriver par le chemin caillouteux entre les châtaigniers. Une femme menait un âne bâté, sur lequel un enfant était perché. Ils étaient déjà au niveau du puits.

Ruben s’avança au-devant de ses visiteurs et les salua d’un signe de tête. L’enfant juché sur l’âne, une petite fille, lui adressa un regard brun très clair, presque jaune, sans dire un mot. Elle portait une tunique poussiéreuse et un foulard sur la tête. Sa mère, que les cheveux blonds et la peau dorée désignaient comme une Zinarie, lui rendit son salut avec timidité, comme si elle s’excusait d’être là.

— Monsieur Hikama… commença-t-elle.

— Ruben suffira, coupa le guérisseur de sa voix éraillée d’être peu utilisée.

Elle hocha la tête, et prit le temps de détailler l’homme kyali qui se tenait devant elle, grand et sec, aux cheveux blancs tressés à la manière des guérisseurs, avant de poursuivre.

— Je suis Liska, et voici ma fille Sethys.

— Bienvenue à toutes les deux.

Ruben s’approcha de l’enfant pour la faire descendre de l’âne. Âgée de cinq ou six printemps, la petite ressemblait beaucoup à sa mère. Même visage, même peau claire légèrement dorée, mêmes yeux ocres. Elle se laisser glisser entre ses bras, et aussitôt au sol, fila d’un pas sautillant en direction du ruisseau. Le guérisseur l’observa avec une attention toute professionnelle avant de ramener son regard vers la mère.

— Occupons-nous de l’âne et ensuite vous m’expliquerez ce qui vous amène à moi.

Ruben conduisit l’animal jusqu’au bas de l’escalier, et détacha les paniers de bât.

— Qu’avez-vous apporté ? demanda Ruben.

— J’ai pris de l’huile, de la farine, et des céréales.

— Ça sera parfait. Même en plein cœur de l’été, il me faut déjà préparer les réserves pour l’hiver.

— Madame Kazuma m’a conseillé également de vous apporter des étoffes. Vos précédents patients lui ont signalé que vous aviez besoin de rapiécer vos chausses, et il se trouve que je sais coudre.

— Excellente idée ! dit Ruben avec un rire bref.

La vieille Kazuma qui s’occupait de ses affaires au village savait souvent avant lui ce dont il avait besoin. C’était elle qui orientait les patients pour qu’ils sachent quoi lui monter en rétribution de ses soins.

Une fois l’âne pansé et nourri, ils remontèrent les paniers sur la terrasse et Ruben invita Liska à s’assoir sur le banc de pierre, à l’ombre de la maison. Il la rejoignit bientôt, et lui tendit une chope de bière de maïs. Sethys était en contrebas, dans les herbes hautes, occupée à attraper des sauterelles. Ruben essuya son front couvert de sueur et se demanda comment l’enfant pouvait supporter son foulard dans la chaleur de la fin d’après-midi.

— D’où venez-vous ? interrogea Ruben.

— Nous vivons à Alkorya, près de la mer, un hameau à environ douze jours de marche de Zinaya. Nous avons séjourné quelques jours à l’auberge de Madame Kazuma le temps que vos précédents patients redescendent.

— Alkorya ?

— C’est très petit, je ne serais pas surprise que vous n’en n’ayez jamais entendu parler. L’arrivée à Zinaya a été impressionnante pour Sethys, elle n’a jamais vu de si grande cité.

— Je peux l’imaginer. D’autant que pendant les fêtes de Rayowan, la ville est très animée et attire beaucoup de monde.

— C’est ce que j’ai constaté ! Les rues et le temple d’Hayvan étaient remplis de jeunes gens.

— Y a-t-il des Mumaraïs armés ?

— Non, je n’en ai pas vu. Avec un peu de chance, ils auront décidé de respecter notre fête de la fertilité cette année.

Sethys déboula en courant près d’eux. Sa mère se leva d’un bond et rajusta le foulard qui avait glissé. Ruben lui tendit une tasse d’eau mais la petite l’ignora et repartit aussi vite qu’elle était arrivée.

— De quoi souffre-t-elle ?

— Elle se plaint sans cesse de douleurs, dans les bras, les jambes, parfois la tête ou le dos. Elle se blesse beaucoup, elle a souvent des hématomes. Je n’arrive pas à savoir comment ça arrive.

Le guérisseur émit un grognement pensif. Sur l’instant, l’enfant bondissante ne lui semblait pas souffrir. Il devait y avoir plus que ça pour justifier un voyage d’un mois.

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