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Le lendemain, Ruben entreprit de soigner l’enfant. Sethys était allongée sur une paillasse recouverte de peaux de moutons. La grande pièce était plongée dans un clair-obscur, brisé çà et là par la lumière ondoyante des bougies et du feu dans la cheminée. Ruben détacha la pierre accrochée à son pendentif et la plaça dans les braises.

— C’est une pierre-de-feu ? demande Liska.

Le vieux guérisseur approuva d’un hochement de tête.

— Les anciens l’appellent Harshen Wata.

— Je n’en avais jamais vu.

— C’est une bonne chose, ça signifie que vous n’avez jamais eu besoin d’un guérisseur jusqu’à aujourd’hui.

Quelques claquements se firent entendre dans les braises. Ruben était assis au sol près de l’enfant. Mortier et pilon en main, il entreprit de réduire en poudre des lamelles de champignon séché. Lentement, il accomplit son ouvrage, qui n’était que la première étape du rituel. Mais ce simple geste contribuait déjà à le faire entrer dans une sorte de transe, mélange d’exaltation anticipée et d’impatience avide. Il versa sur la poudre quelques gouttes d’essence de plantes, qu’il préleva dans une fiole posée sur le manteau de la cheminée, puis remplit le mortier d’eau froide. Un délicat effluve de pin se répandit fugacement. Le guérisseur pouvait presque sentir, comme une caresse, le regard de la mère qui observait chacun de ses mouvements avec un espoir teinté d’appréhension.

À l’aide d’une pince, il saisit la pierre-de-feu ardente et la laissa tomber dans l’eau. Les reflets de miel de la pierre disparurent dans la décoction sombre avec un chuintement. L’eau se mit à frémir, et les volutes qui s’élevèrent emplirent la pièce d’un parfum douceâtre de forêt. Ruben fit tourner quelques minutes la préparation dans le mortier entre ses mains, inspirant à plein poumons les vapeurs, puis but d’un trait la potion. Il grimaça au passage du liquide encore brûlant, fut secoué par quelques spasmes. Il savait pour avoir observé d’autres guérisseurs qu’à cet instant ses pupilles se dilataient, et son regard bleu glacier devenait alors d’un noir inquiétant. Envahi par un bien-être extatique, il prit quelques instants pour le savourer, puis rassembla sa concentration. Ruben appliqua ses mains de chaque côté du visage de Sethys, prit une grande inspiration, et plongea dans une immersion destinée à la sonder, et ainsi apprendre de quoi elle souffrait.

Ruben fut happé par les volutes internes de l’enfant. Epaisses et mouvantes comme chez tout être en pleine santé, elles avaient les reflets verts ondoyants des personnes choisies par la Déesse Nabathys, et dont Sethys tirait son nom. L’esprit de Ruben sonda les fumées, témoins de vie, à la recherche de signes de maladie ou de souffrance. Il trouva de nombreuses petites taches d’un brun vert maladif, qui étaient le résultat de cicatrices et plaies anciennes, déjà guéries. Il avait besoin de trouver des ondes noires, qui sauraient lui indiquer de quoi souffrait la petite. Mais il eut beau chercher, pas d’ondes noires. Aucune maladie physique n’était décelable. Il décida de se tourner vers l’esprit de la petite fille. Il savait d’expérience que certaines maladies ne se situaient que dans la tête. Se pouvait-il qu’une maladie mentale puisse expliquer les innombrables cicatrices ? Oui, même sans être expert de ce type de pathologie, il pouvait tout-à-fait l’envisager. Mais quand il focalisa son attention sur l’esprit de Sethys pour s’en assurer, il ne comprit pas du tout ce qu’il vit. D’ordinaire, il était capable de comprendre approximativement le caractère de ses patients, leurs aspirations, leurs penchants. Chez Sethys, rien de tout cela. En lieu et place de son esprit, une lueur éblouissante lui bloquait l’accès à la personnalité de la petite. Jamais dans sa longue expérience de guérisseur, il n’avait été confronté à une telle barrière lumineuse. Rien de ce qu’il fit ne put dissiper les volutes brillantes, il s’épuisa à essayer de les percer, en vain. Sethys resta un total mystère.

L’immersion dura longtemps. Liska patientait à leur côté, en se tordant les doigts d’inquiétude. Ruben détacha lentement ses mains des tempes de Sethys, et les essuya sur ses chausses. L’effort avait été intense. Sethys cligna des yeux plusieurs fois, car ils étaient restés ouverts pendant tout le soin, puis se releva. D’un hochement de tête, Ruben l’autorisa à quitter la pièce. Fraîche comme s’il ne s’était rien passé, l’enfant sortit de la grande salle en sautillant. Elle aurait dû au moins se sentir un peu fatiguée par l’épreuve, certains de ses patients s’endormaient même aussitôt l’immersion achevée. Ruben, lui, se sentait plus épuisé que d’habitude. Liska guettait sa réaction, n’osait poser la question. Mais il se contentait de secouer la tête d’incompréhension. Les sourcils froncés, il reprit sa pierre-de-feu et la sertit de nouveau dans l’amulette autour de son cou. L’effet des champignons se dissipaient, il put alors tirer les rideaux pour laisser entrer le peu de lumière qu’autorisaient les petites fenêtres percées dans la pierre épaisse des murs.

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