Les doutes de Eron
Le vent froid s’insinuait dans le cou de Eron, mordant sa peau tandis qu’il avançait entre les arbres tordus de la forêt. L’odeur de mousse emplissait ses narines, et chaque pas soulevait un nuage de feuilles mortes détrempées. Il resserra les doigts sur son arc, sentant le bois poli sous ses paumes. Son père et les autres braconniers marchaient devant lui, leur silhouette massive se découpant entre les troncs sombres.
Cela faisait des années que Garrick, son père, l’entraînait à la chasse. Il lui avait appris à pister un cerf au moindre brin d’herbe plié, à reconnaître l’odeur de la peur dans l’air quand un animal se savait traqué. Pourtant, cette fois-ci, il n’y avait rien. Pas de traces, pas de crottes, pas d’odeur inhabituelle. Rien qui justifie une battue aussi insistante.
Eron accéléra le pas pour se rapprocher de son père.
— On chasse quoi, aujourd’hui ? demanda-t-il d’un ton qu’il voulait léger, bien que son esprit soit en alerte.
Garrick ne répondit pas tout de suite. Il leva la main, leur intimant de s’arrêter. Eron obéit, observant le moindre mouvement autour d’eux. Le silence s’étira, seulement troublé par le bruissement d’une branche chargée de givre.
Puis, enfin, son père se retourna vers lui, le regard dur.
— Des créatures dangereuses.
C’était toujours la même réponse. Une phrase vague, creuse, comme un os rongé jusqu’à la moelle.
— Quel genre de créatures ? insista Eron.
Garrick soupira et reprit sa marche, éludant la question.
— Pourquoi ça t’importe ? Une bête est une bête. Quand on la trouve, on la capture et on la tue.
Eron sentit un frisson d’irritation lui parcourir l’échine. D’habitude, son père prenait le temps d’expliquer, de tout lui apprendre. Mais depuis quelques mois, quelque chose avait changé.
Les battues étaient plus nombreuses. Plus importantes. Les hommes parlaient à voix basse, échangeaient des regards en coin. Et il y avait ces cages.
De grandes cages en fer, cachées sous des toiles épaisses. Eron les avait aperçues à plusieurs reprises dans le campement des chasseurs. Mais ce qui l’avait le plus troublé, c’était leur taille. Bien trop grandes pour un loup, trop solides pour un petit gibier.
Son père lui cachait quelque chose. Il en était certain.
Ils continuèrent leur progression à travers la forêt dense. Le sol était traître, glissant sous leurs pas. Garrick marchait d’un pas assuré, mais Eron le voyait raidir les épaules à chaque craquement de branche. Il n’était pas seulement concentré. Il était aux aguets.
— Tu es sûr que ce ne sont pas des hommes que l’on chasse ? demanda Eron à voix basse.
Garrick s’arrêta net.
Le silence tomba, épais comme un linceul.
Eron sentit son cœur cogner contre sa poitrine. Il venait de mettre des mots sur sa peur.
Son père se tourna lentement vers lui, son expression illisible.
— Qui t’a dit ça !?
— Personne, je me demandais juste pourquoi tu es si inquiet.
Son père l’observa un instant, ses yeux perçants scrutant le moindre signe de faiblesse en lui. Puis, il secoua la tête avec un rictus.
— Tu réfléchis trop, gamin.
Il posa une main ferme sur l’épaule de Eron.
— Écoute-moi bien. Il y a des choses que tu ne comprends pas encore. Nous faisons ce qu’il faut pour survivre. Pour protéger notre peuple.
C’était encore une excuse. Une autre façon de masquer la vérité.
Ils s’enfoncèrent plus profondément dans la forêt. L’air devint plus lourd, presque étouffant. Le sol se couvrit d’un tapis de mousse épaisse, humide sous leurs pieds.
Puis, Eron aperçut quelque chose sur le sol, entre deux racines : une bête étendue, morte, mais pas comme les autres.
Ses yeux étaient ouverts, figés dans une expression de terreur pure. Une trace noire, semblable à une brûlure, marquait sa fourrure, et une étrange cicatrice ondulée parcourait son flanc, comme une marque gravée par une main invisible.
Garrick posa une main lourde sur son épaule, l’obligeant à détourner le regard.
— Eron. Ce n’est pas encore ton combat. Fais-moi confiance.
Mais pour la première fois, Eron comprit.
Son père lui mentait. Depuis toujours.
Et il était bien déterminé à découvrir la vérité.
Annotations
Versions