La plaine d'Urys

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-Les Albinos, reconnaît sombrement Gwyldann.

-Ou au moins leurs Adeptes.

Tirant sur ses rênes, debout sur ses étriers, Zohan fit tourner Aku sur lui-même plusieurs fois, tout en scrutant les alentours, les yeux plissés pour voir à travers la fumée.

-L'attaque a l'air récente, mais il n'y a plus l'air d'y avoir la moindre trace d'eux.

-Où sont partis les gens ?

Ils explorèrent un peu plus avant parmi les ruines de Darnival, quand un bruit attira leur attention. Les chuintement d'épées sortant de leurs fourreaux, et le grésillement d'une flèche électrique remplirent l'air pendant un instant. Cependant, ils baissèrent bien vite leur armes lorsqu'ils virent un petit groupe au milieu des débris.

Un enfant dans les bras, une femme les regardait avec terreur, alors qu'un homme brandissait une fourche dans leur direction pour protéger ces deux innocents. Le garçon semblait amorphe, répondant à peine aux stimulis extérieurs. Il était blessé à un bras, et un bandage couvrait sa tête. La femme portait également des bandages, et des traces de contusions marquaient sa peau. Seul l'homme semblait intact. Leurs vêtements étaient couverts de poussière, et déchirés par endroits.

Isaac mit pied à terre immédiatement, et rangea sa lame avant de s'avançer vers eux. Il fallut plusieurs minutes pour dissiper le malentendu, mais les villageois finirent par se détendre en leur présence. Isaac décida de ne pas leur révéler son identité, histoire de ne pas les stresser davantage. A la place de quoi il leur demanda de leur raconter les évenements qui ont conduits à la destruction du village.

-Des hommes sont apparus sur la place centrale, près du puits, décrivit la femme en indiquant l'endroit d'un mouvement de main. L'instant d'avant, il n'y avait rien, et d'un coup, ils étaient là.

-Ils montaient des Kô noirs aux yeux rouges. Leur peau était blanche, et ils avaient des pupilles violettes, froides comme la mort. Pendant un instant, ils n'ont pas bougés, puis ils ont commencé à tuer les gens autour d'eux.

-Même les enfants, pleura la femme en serrant son garçon contre elle.

-Ils riaient en incendiant les bâtiments et en massacrant les notres. Certains d'entre nous avons réussi à nous enfuir vers les villages voisins. Quand ils ont eut fini de tout mettre à sac, ils ont disparus. Tout aussi subitement qu'ils étaient arrivés.

-Savez-vous où ont les autres rescapés ?

Isaac semblait sincèrement inquiet par l'état des survivants.

-Plus loin à l'Ouest, il y les champs du vieux Lugen. Il a accepté de nous acceuillir. On est nombreux, mais il a pas rechigné. Brave homme.

Il mit un léger coup de la pointe de sa fourche sur une poutre en bois, et la regarda tomber en morceaux. Il poussa un profond soupir quand il comprit qu'il ne pourrait rien récupérer.

Ils laissèrent derrière eux Darnival incendiés, et raccompagnèrent les villageois à la ferme où ils avaient trouvé refuge.

Lungen était un homme dans la cinquantaine, au dos courbé et la peau brunie par les années de travail aux champs passées sous le soleil.

-J'ai juste mon étable et ma grange à foin, ma Dame, marmonna le fermier. Avec les villageois qui sont arrivés, z'y reste p'us beaucoup de place. Ma Dame.

-La grange à foin sera parfaite, rassura Lysiana. Nous serons partis avant l'aube. Et je ne suis pas une dame.

Ils s'installèrent au millieu de réfugiés de Darnival. Des hommes, des femmes et des enfants à l'expression terrifiée et perdue. Lorsque Zark sortit une flute de son paquetage, et joua quelques airs festifs d'Asraad, les enfants sortirent de leurs torpeurs et firent un demi-cercle autour de lui. Lysiana utilisa sa maîtrise élémentaire pour aggrémenter la musique d'un petit spectacle improvisé. Rapidement, les rires des plus jeunes remplirent l'espace, et les plus vieux se joignirent, après avoir observé un instant, à la bonne humeur qui s'installait.

L'allègresse retomba quand le fatigue les attrapa, les uns après les autres. Zark termina sur des rythmes plus lents qui guidèrent tout le monde dans les limbes du sommeil.

Avant même le lever du soleil, le petit groupe se faufila à l'extérieur de la grange, prenant garde de ne réveiller personne. Lungen les attendait pourtant à l'extérieur. Ils le remercièrement pour son hospitalité, et grimpèrent sur leurs Kô, se faufilant dans la nuit alors que la lumière commençait à peine à éclairer le paysage.

Isaac se tourna sur sa selle, et défit quelques lanières. Il lui tendit son sac de provision.

-Ce n'est pas grand chose, mais partagez ceci avec les survivants de Darnival.

-Arrêtez-moi si je me trompe, messire, murmura l'homme en s'approchant poour prendre le paquet. Seriez-pas le Prince Isaac ? Je vous ai aperçu une fois que j'étais à la Citadelle. Z'avez un visage qu'on oublie pas. Messire.

Isaac se contente de lui sourire gentillement, et tourne la bride de Siwou, pour partir avec ses compagnons. Derrière lui, Lungen s'inclina gauchement en remerciant profusément la générosité de son bienfaiteur.

Lorsqu'Isaac les rejoignit, Zohan tendit en silence une pomme qu'il avait tiré de son sac de selle.

-Il va falloir rationné d'autant plus, si on veut rejoindre Elarya sans s'arrêter inutilement. On en a encore pour deux jours. Le Prince mordit dans le fruit sans répondre. Il ne regrettait pas son geste, et ses compagnons de route ne lui reprochaient rien, de toute façon. En vérité, ils avaient chacun prélevé sur leurs parts respectives, et laissé un sac de nourriture dans la grange à foin.

Et durant le matin du troisième jour, la cité d'Elarya apparut dans le lointain au détour d'une colline, et se précisa tout au long de la journée, au fur et à mesure qu'ils s'en rapprochèrent. Etablie au bord du lac (Nom), plus grand lac du continent, elle était le siège de Lenton, le gouverneur de la Plaine d'Urys. Ouverte sur le lac, elle possèdait un port d'où allaient et venaient barges et navires d'eau douce, depuis la Citadelle, Port-Kelna ou D'Arkylen, village portuaire le plus au Nord de la côte. Côté plaine, Elarya se divisait en deux partie : la ville supérieure et la ville inférieure.

La ville supérieure était fermée par des remparts de sept toises de haut, protégeant le donjon du Gouverneur et les habitations des plus riches habitants de la cité. C'était néanmois dans la ville inférieure, construite au fur et à mesure des siècles par le peuple de plus basse extraction, et s'étendant sur plusieurs lieues, que la vie se faisait. Arrivant du Nord-Est, et laissant les champs qu'ils longaient depuis plusieurs lieux derrière eux,le groupe finit par rejoindre les premières habitations

Ils manquèrent d'écraser un groupe d'enfants qui jouaient sans faire attention au monde les entourant, et qui passèrent presque sous les pattes de leurs montures. Mais seuls les enfants respiraient l'insouciance, comme ils le remarquèrent rapidement. Les habitants leur jetaient des regards en coin, et les passants, silencieux, ne restaient jamais au même endroit très longtemps. Aucun air de musique ne s'échappait des fenêtres ouvertes des différentes auberges qu'ils croisèrent, et toutes les discussions semblaient se faire à voix basses.

-Ce n'est pas normal, murmura Lysiana, en regardant autour d'elle. Les gens n'ont jamais été comme ça. Normalement, les raccoleurs crient si fort qu'on s'entend à peine penser...

La nervosité générale gagna le petit groupe, qui décida de ne pas s'attarder et de rejoindre la ville supérieure. La herse baissée fit fronçer les sourcils Zohan.

-Que fiche Lenton ? La ville supérieure est censée être libre d'accès.

Un lègere pression du talon, et il fait s'avancer sa monture jusqu'au mur d'enceinte. Deux soldats placés de chaque côté de la porte croisèrent leurs lances pour lui signifier de s'arrêter, et un autre homme sortit précipitamment par une porte dissimulée sur le côté.

-L'accès à la ville supérieure est réglementée. Déclinez vos identités ! Exigea-t-il.

Le Kô bleu d'Isaac s'avança pour se placer juste devant l'homme.

-Je suis le Prince Isaac, déclara-t-il en jetant en arrière la capuche de sa cape de voyage. Je suis venu à Elarya pour discuter avec le Gouverneur Lenton sur des sujets touchants le royaume.

Il a une intonation dans la voix qui ne laisse place à aucune protestation. Les hommes se s'échangèrent des regards idiots derrière le dos de leur chef. Celui-ci se secoua plus rapidement, et cria un ordre. La herse fut relevée dans un grincement métallique qui dénonçait l'entretien négligé du mécanisme.

-Sa Seigneurie vit une période de trouble avec Port-Kelna, grommella le garde en les guidant jusqu'au poste de garde. Et ses visiteurs lui prennent aussi tout son temps. Il n'en a pas à consacrer aux doléances, en ce moment. Je vais quand même le faire prévenir de votre arrivée et de votre attention de le rencontrer. Reposez-vous ici en attendant.

Il les introduisit dans une pièce ronde contenant une table et quelques chaises, et referma derrière lui en leur indiquant qu'il leur ferait parvenir de quoi se restaurer.

Le bruit métallique de chaînes en mouvement attira leur attention, et Zark jeta un coup d'oeil par la meurtrière.

-Ils ont refermé la herse, indiqua-t-il aux quatre autres. Et je vois un soldat devant la porte du corps de garde.

-Impossible de filer en douce, résuma Gwyldann en s'asseyant lourdement sur une chaise.

Les autres le suivirent, et Zohan sortit un jeu de cartes et des dés de sa besace. L'attente fut longue, et presque insupportable. La pitance qu'on leur apporta se résuma à une bouillie de pois et des morceaux de pain. La conversation dériva sur le dirigeant de la Citadelle.

-Le Gourverneur Lenton est un homme... Discutable, disons. Mais la région prospère, depuis qu'il est à son poste... Si c'est avec vous, il sera surement ouvert à la discussion.

-Je n'ai qu'eu l'occasion de le croiser, lors d'un de ses passage à le Citadelle. L'avez-vous déjà rencontré ?

-Une seule fois, et c'était bien suffisant, souffla Lysiana avec énervement.

-Il nous a pris de haut, sous prêtexte que nous étions des enfants, expliqua Zohan. Elle n'a pas aimé du tout.

-Ca ne t'a pas fait plaisir non plus, lui rappela-t-elle.

Il haussa les épaules avec un petit claquement de langue, mais ne répondit pas. La porte s'ouvrit, et l'homme qui les avait emmené là se présenta de nouveau à eux.

-Sa Seigneurerie s'est dégagée du temps pour vous recevoir. Par ici, je vous prie.

Il les mena hors du batîment, et le long du boulevard, qui remontait de la herse jusqu'au donjon, puis dans les couloirs de pierre jusqu'à ce qui semblait être une salle de réunion.

Assis à un bout d'une longue table rectangulaire en bois les attendait Lenton. L'homme les salua d'un mouvement de tête, et les invita à prendre place sur les chaises d'un mouvement de main.

-Votre Altesse, quel plaisir de vous recevoir dans mon humble demeure. Je ne vous avais pas vu depuis la fête de la Déesse, si je me souviens bien.

Ses cheveux couleur d'or étaient maintenus sur sa nuque par un ruban vert, ses yeux bleu les fixaient et la moue qui étirait ses lèvres trahissait son déplaisir. Il placa ses mains gantées sur le bois de la table, tapotant le bois du bout des doigts, en attendant que chacun soit installé.

Le port altier, et le visage fermé, il écouta le prince lorsque celui-ci leur expliqua la raison de leur venue, hochant distraitement la tête à la mention des évenements de Forn.

Et furent abordés les humeurs inhabituellement maussades des villageois et leurs comportements étranges.

-Les habitants de Camlayr sont toujours angoissés, à cause de la proximité de la Brèche, balaya Lenton d'une voix suffisante.

-Ceux de Darnival affirment que le village a été rasé par des Albinos, Gouverneur Lenton, clama Isaac. Nous avons vus ce qu'il en restait de nos propres yeux. Des ruines, marquées de l'emblème des Albinos.

L'homme en face d'eux claqua avec férocité ses mains gantées sur la table, et se redressa de toute hauteur, rejetant son fauteuil en arrière.

-La région connaît le passage d'une bande de pillard que mes forces peinent à contenir, je dois l'admettre, déclara-t-il sèchement. Mais je peux vous assurer Votre Altesse, qu'aucun de vos prétendus Albinos ou Adeptes ne se balade impunément sur mes terres.

-Sur les terres de mon père, releva le prince.

-Si vous souhaitez vous attaquer à un problème de la région, continua Lenton avec un mouvement nonchalant de la main, Port-Kelna a cessé de remonter le poisson par le fleuve, et refuse toute discussion. Réglez donc la situation.

Il se détourna complétement d'eux, et s'apprêta à sortir de la pièce.

-Attendez Gouverneur ! S'interposa Lysiana. Me permettez-vous de visiter votre bibliothèque ? Je recherche des textes traitant de l'Ancien Monde, et de peuples maniant les éléments ? Peut-être en possèdez-vous ?

-Mes possessions ne sont rien qui vous concerne, déclara l'homme alors que les portes se refermaient derrière lui.

-Quel... !

Lysiana se mordit la lèvre pour retenir le chapelet d'insulte qui s'apprétait à passer ses lèvres.

-Que fait-on ? Questionne Zark. Il a entendu ce que nous avions à lui dire, même s'il n'y accorde aucune importance. Est-ce qu'on fait route vers Asraad ? Le Gouverneur Aftyr est clairement plus sympathique, je vous le promet.

-Non, décida Isaac. Beaucoup de gens vivent des produits de la pêche de Port-Kelna. S'il y a effectivement un problème, je veux m'en occuper avant d'aller dans le désert.

Lorsqu'ils sortirent à leur tour, un garde, le même qui les avait accompagné tantôt, les raccompagna jusqu'à la sortie de la ville supérieure. Ils récupérent leurs montures, et la herse se baissa derrière eux.

Ils décidèrent de passer la nuit dans une des nombreuses auberges de la ville inférieure. Dans la salle commune, un barde grattait les cordes de son luth en fredonnant, mais l'ambiance de l'endroit ne s'élevait pas, pesant et triste.

Finalement, ils allèrent se coucher.

En sortant dans le petit matin, ils repérerent du mouvement devant l'écurie où se reposaient les Kô. Drapé dans une cape de voyage, l'inconnu les attendait à l'ombre du parapet placé au-dessus de la porte.

-Qui c'est ce zouave ? Chuchota Zohan alors qu'il s'approchait.

-Mon nom est Erneld, se présenta l'homme. Le Gouverneur Lenton m'envoie avec vous en qualité d'émissaire dans les négociations que vous comptez mener avec le bourgmestre de Port-Kelna.

Il fit un pas dans la lumière, et leur dévoila son visage.

Un menton imberbe barré d'une cicatrice qui courait jusque sur sa joue, il avait néanmoins un visage très avenant, et des yeux noirs qui exprimaient une grande douceur.

-Lysiana, se présenta celle-ci. Et voici Zohan, Zark, Gwyldann et le prince Isaac.

Passant devant le nouvel ajout de leur groupe, elle avança jusqu'à la stalle où se trouvait Puru.

Celui-ci siffla joyeusement en la voyant, terminant de réveiller ceux qui somnollaient encore. Il avait autour du cou une lanière de cuir au bout de laquelle se balançait une besace.

-Qu'est-ce que c'est que ça, encore ?

Avec un froncement de sourcils, Lysiana prit la missive enroulée accrochée à la bandoulière de la besace, et l'ouvrit.

"Puisse votre maîtrise atteindre son apogée, et vous permettre d'endosser votre rôle de Prêtresse Royale.

Un dévoué ami"

-Qu'est-ce que... ?

Elle fouilla dans le sac, et sortit plusieurs parchemins traitant d'un des peuple de l'Ancien Monde capable de prouesses incomparable avec la terre, allant jusqu'à être capable de fendre des montagnes en deux. Alerte, elle se redressa et observa autour d'elle, à la recherche de ce "dévoué ami" qui semblait vouloir l'aider. Mais il n'y avait personne d'autre que ses compagnons.

-Qu'est-ce que tu as trouvé ? L'interrogea son frère en haussant un sourcil.

-Une aide inespérée, apparement.

Rangeant sa trouvaille dans ses sacoches de selle, elle grimpa sur son Kô, et emboita le pas aux autres alors qu'ils se dirigeaient vers la sortie de la cité.

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