La fête de la Déesse

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Les bâtiments en briques de pierres rouges se serraient sur la rive nord de l'oasis. La fraicheur émanant de l'eau contrastait avec la sécheresse de l'air. Un peu plus à l'est, un chenal creusé dans la terre amenait l'eau depuis la source jusqu'à des serres et des champs d'où le groupe pouvait voir les plantations de fruits qui faisaient la réputation de la ville.

-Juste à temps ! S'exclama Gwyldann en essuyant la sueur qui lui coulait dans les yeux. On arrive à court de vivres.

-Et d'eau, souligne Zohan, qui venait de finir sa dernière gourde.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la ville, vers la fin de l'après-midi, l'effervescence des villageois les frappèrent de plein fouet. En plus des enfants qui couraient dans les rues à grands cris, les gens discutaient bruyamment et à grand renfort de gestes. Réunis autour d'une fontaine représentant la Déesse Pryss, les habitants s'agitaient à la pose de guirlande à fanions et autres décorations. Ils semblaient même se disputer sur la façon de les installer.

-Qu'est-ce qui se passe ici ? Questionna Isaac en apostrophant l'un d'eux.

-La Fête de la Déesse, mon seigneur, répondit l'homme. Les festivités commencent demain.

Il le regarda un instant comme s'il avait perdu l'esprit, puis retourna à ses occupations. Qui sur cette terre ignorait la Fête de la Déesse ?

-Déjà ?! S'exclama Lysiana avec surprise.

-On a voyagé si longtemps ? Murmura son frère.

Elle s'assit sur la margelle de la fontaine, et Puru plongea le bec dans l'eau claire pour boire tout son saoûl.

-Prince Isaac, restons pour la Fête. Les Asraadiens savent en faire un véritable évenement !

Emporté par l'impatience des compagnons pour les festivités, et l'effervecence des habitants à leur préparation, Issac accepta l'invitation. Il n'avait participé à une Fête de la Déesse en Asraad qu'une seule fois, et c'était il y avait plusieurs années. Autant dire qu'il en gardait peu de souvenir. Et l'idée de rester incognito au milieu des habitants pour ce moment lui disait bien. Il ignorait comment le commun vivait cette période, qui était toujours faste au château.

Tout en buvant à l'eau de la fontaine, comme le faisaient ses compagnons et leurs montures, il observa les alentours. Les gens se disputaient avec animation, se disputant à qui mieux mieux sur quelle décoration accrocher et où. Dans un coin de la place, les chars pour la parade attendaient sagement le moment où ils entreraient en scène. Comme leur expliqua Zark, ils allaient rester là pendant toutes les festivités, afin que chacun puissent les admirer et y déposer leurs offrandes, avant de faire le tour de ville pour revenir devant la fontaine et y d'être enflammées, marquant la fin de la Fête de la Déesse.

Ils étaient au nombre de quatre, et étaient chacun assez longs et larges. Tous possédaient au centre de chaque plate-forme des statues. La plus grande d'entre elle, sur le dernier char, représentait la Déesse Pryss. C'était Elle qui fermait la marche, lors de la parade, car Elle veillait sur les trois chars la précédant, et sur le peuple de Noventa de manière générale. Les trois autres, plus petites, représentaient respectivement et dans cet ordre: Urys, Asraad et Forn, les trois fils de la Déesse, qui avait remodelé les paysages de Noventa après qu'Elle les eut détruit.

Le char de Urys était tapissée d'un grand voile vert, de la même teinte que l'herbe qu'il devait évoquer. Des voiles de soies bleu figuraient les nombreux fleuves et rivières qui parcouraient les Plaines, et quelques renflements simulaient des collines.

Celui d'Asraad était saupoudré de sable, imitant des dunes et de petits cactus avaient été posé dessus. Il y avait également des feuilles de palmiers disposées ça et là, ainsi que d'autres tissus bleu représentant des oasis.

Le troisième, pour Forn, avait un sol recouvert de feuilles d'arbre fruitiers évoquant celles des arbres de la forêt. Il y avait également quelques branches disséminées, et une zone qui semblait plus dense. Le groupe comprit qu'il s'agissait du Bosquet Sacré.

Les trois frères se dressaient au mileu de leurs décors respectifs, presque identiques dans leurs traits, si ce n'étaient les pierres précieuses qui leur faisaient office d'yeux. De saphir pour Urys, de rubis pour Asraad et d'émeraude pour Forn. Lysiana reconnut dans ce code couleur l'affinité élémentaire lié à chaque région. L'eau, le feu et la terre.

Le char de la Déesse, en comparaison, était simple, et vide. Sur le bois de la structure avaient été éparpillé ce qui figurait le sol sur les trois autres. La statue prenait la pose qu'on associait à Pryss; les mains en coupe levées vers le ciel, dans un représentation du moment où elle avait détruit Noventa. Elle était parée d'atours et de broderie qui brûleraient avec elle le moment venu, comme autant d'offrandes, auxquelles s'ajouteraient celles données par les habitants.

Car les chars faisaient office d'autels. Durant deux des trois jours que durait le festival, ils restaient au même endroit, afin que qui le souhaite puisse y déposer une offrande. Il s'agissait généralement d'aliment, placés là pour apaiser Pryss et ses enfants, et s'attirer leurs faveurs pour l'année qui suivait. Au troisième jour, généralement bien garni, les chars entamaient leur procession dans les rues de la ville, sous les vivats de la foule, jusqu'à ce qu'ils reviennent à leur point de départ, où ils étaient brûlés pour envoyer le tout aux divinités. Fin du festival.

C'était la partie commune à la Citadelle et aux grandes villes des trois régions. Les villages plus petits n'avaient pas de parade, comme expliquait Zohan à Lysiana. Ils dressaient sur leurs places centrales des bûchers dans lesquelles étaient jetées les offrandes à la fin du troisième jour. Et l'on vivait les deux précédents dans la liesse, entre deux chopes d'hydromel et deux morceaux de danses.

Gwyldann, que personne n'avait vu disparaître, revint sur ses entrefaits. Essuyant le verre de ses lunettes avec un tissu, il fixa les membres de son groupe de ses yeux myopes. Quand il les eut remise sur son nez, il s'avisa de leurs regards curieux.

-Je suis allé nous trouvé une auberge, indiqua-t-il en désignant la direction par laquelle il arrivait. C'est presque complet, d'ailleurs.

-Qu'est-ce qu'on ferait sans toi, sourit Lysiana en lui tendant une gourde d'eau fraîche.

-Je ne redors pas dehors, grommela le jeune homme en la prenant. J'ai du sable jusque dans mes sous-vêtements !

Dans leur auberge logeait une jeune femme, qui s'approcha de leur table dès le premier soir. Elle se présenta sous le nom de Angelia. Plutôt petite et menue, blonde platine à la beau d'albâtre, elle leur expliqua venir d'un petit village frontalier d'Urys.

-La plupart des gens ici sont du coin. Entre Urysien, autant se serrer les coudes, plaisanta-t-elle.

Elle attrapa une chaise à la table d'à côté, et s'assit avec eux. Ils échangèrent un regard surpris, mais la laissèrent faire.

-Qu'est-ce qui vous a amené à Subba, Angelia ? Demanda poliment Isaac.

-Mon père m'a envoyé ici, en mission pour notre famille.

Elle se pencha sur le ton de la confidence, et murmura:

-Je vais me marier avec un fils de marchand local, pour la prospérité notre entreprise.

-Oh ! Félicitations ! Avez-vous déjà rencontré votre fiancé ?

-Oui, non... Je l'ai observé de loin alors qu'il installait son étal pour demain. Lui ne m'a pas encore vu.

Elle laissa échapper un rire gênée, et se peigna les cheveux avec ses doigts.

-Et votre famille vous a laissé voyager seule jusqu'ici ? S'étonna Zark. Le désert n'est pas aisé à traverser, à plus forte raison pour une demoiselle investie d'une telle mission. Que ce serait-il passé si vous aviez été blessée, ou pire ?

-C'est gentil, mais il est inutile de vous inquièter. Le voyage est derrière moi, à présent. Seul compte le futur.

Elle s'enquit longuement sur leur groupe et les raisons de leur présence à l'oasis de Subba, mais ils ne lui donnèrent que quelques réponses vagues, évitant même de réveler leurs identités. Elle les laissa finalement pour la nuit, et ils allèrent se coucher également.

L'humeur festive contamina le groupe avant même qu'ils ne fussent tous complètement réveillés. Ils ne s'attardèrent pas dans l'établissement.

Les marchands s'étaient rassemblés en nombre, et présentaient sur leurs étals des articles qu'ils ne montraient pas habituellement; bijoux aux couleurs chatoyantes, tissu raffinés... Ils vantaient leurs produits en hélant les badauds à grands cris, histoire d'essayer de couvrir la voix de leurs rivaux. Très régulièrement le long des rues, des stands de nourritures laissaient échapper des odeurs appétissantes qui embaumaient à la ronde, et faisaient saliver tous les passants. Il y avait également de nombreux bardes, partout, qui entraînaient la foule pour une danse au beau milieu des avenues. Ils jouaient tous des airs différents, mais, quelques fois, certains d'entre eux s'accordaient, et un même morceau résonnait dans un quartier pendant quelques minutes.

Les gens s'arrêtaient sans prévenir au beau milieu des allées, qui pour regarder un stand et marchander un prix, qui pour parler à un voisin. La liesse était presque palpable dans l'air, et les cinq compagnons s'y abandonnèrent avec joie. Ils n'oubliaient pas leur mission, ni ce qu'ils avaient observé à l'Ouest de la Plaine, mais cette pause festive était bienvenue, et ils l'acceuillaient avec un certain soulagement.

Issac profita des deux jours pour explorer plus intensément la ville. Zark,connaissant la topographie des lieux mieux que ses amis, lui servit de guide et de garde du corps. Gwyldann avait du mal à s'habituer aux températures du désert et voulait visiter plus lentement, et Lysiana préférait rester avec lui. Au cas où, disait-elle. Zohan, pour sa part, passa du temps dans les deux groupes. Il rapporta même à sa soeur et son ami quelques fruits juteux qu'il ne trouva que sur un étal qu'il découvrit en accompagnant le Prince.

A la tombée de chaque nuit, un grand feu était allumé sur la place centrale, devant la fontaine, et des conteurs rivalisaient d'histoires pour amuser la foule. Il y avait même une troupe de jongleurs et de voltigeurs, qui récoltaient les acclamations de tous les enfants. Angelia les avait retrouvé au milieu de la foule, et les entraîna vers un des banquets. Ils mangèrent tous ensemble, puis, à force d'insister, elle finit par convaincre Zohan de partager une danse avec elle, arguant qu'elle vivait ses dernières journées de femme célibataire.

Lysiana rit doucement de les voir prendre place au milieu des autres danseurs, quand elle vit une main se tendre vers elle.

-Mademoiselle ? Invita Isaac.

La musique était festive, et, après avoir tournoyée quelques minutes dans les bras du Prince, elle se retrouva à partager plusieurs morceaux avec les locaux, dans une bourrée qui impliqua une grande partie de la place. Ils rentrèrent courbattus d'avoir tant danser.

La deuxième journée se passa de la même façon, et ils en profitèrent pour acheter et placer des offrandes sur les chars. Au troisième jour, lorsque midi sonna, la procession démarra, sous les acclamations des gens devant lesquels elle passait. A la fin de la journée, elle était revenue à son point de départ.

Les chars furent placés sur la grande place devant la fontaine, et les rayons du soleil couchant ricochaient sur les eaux de l'oasis pour venir les éclairer. La bourgmestre appela aux retardataires, les priant de placer leurs offrandes avant la cérémonie de clôture. Quand cela fut fait, elle et trois membres du conseil disposèrent les bûches servant à transformer les chars en bûchers, s'emparèrent de torches enflammées, et les jetèrent sur les monceaux de bois. Ceux-ci s'enflammèrent rapidement, projettant de vives flammes qui éclairaient la foule. La fumée s'éleva vers les cieux. Isaac l'observa un moment, puis, comme les personnes qui l'entouraient, il ferma les yeux et pria la Déesse.

-Mais Pryss ne peut rien pour vous, murmura une voix à son oreille.

Il sentit une carresse sur sa joue, et rouvrant les paupières, il croisa les yeux bruns d'Angelia. Elle se tenait face à lui.

-Qu'avez-vous dit ?

-Pryss ne peut plus rien pour vous, ni pour personne, sussura Angelia avec un sourire de velours. Mon Prince.

L'instant d'après, elle s'était blottie contre le torse d'Isaac. Celui-ci, et ses compagnons, ouvrirent des yeux ronds d'incrédulité devant cette familiarité affichée. Puis le regard du Prince se brouilla de souffrance, et il cracha un petit filet de sang, dont quelques gouttes atterrirent dans les cheveux blonds de la jeune femme.

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