La fuite

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-Isaac ? Questionna Lysiana avec inquiètude.

Angelia recula, lentement, de plusieurs pas. Au bout de son bras, barbouillée de rouge, elle tenait la dague qu'elle venait de planter entre les côtes du jeune homme.

Gwyldann bondit, plus par réflexe qu'autre chose. Plaquant sa main contre la blessure infligée, il aida son prince à se maintenir debout, plutôt que de tomber et de finir écrasé sous les pieds de la foule. Zohan se prépara au combat, bien qu'il n'ait pas son arme, mais Angelia avait profité que chacun soit tétanisé par la surprise pour s'enfuir entre zigzagant entre les gens.

-Lysiana ! S'exclama Gwyldann. Il faut faire quelque chose !

Celle-ci scruta une dernière fois dans la masse, mais n'aperçut pas leur ennemie. Elle se précipita pour supporter le poids d'Isaac, et l'aider à marcher.

-Garde ta main appuyée, surtout. Zark, ouvre nous un chemin. Il faut qu'on aille dans un endroit tranquille.

-La taverne ?

-Pour qu'elle nous y retrouve ? Non, il nous faut un endroit où je puisse le soigner sans être dérangée.

Son ami hocha la tête, et commença à fendre la foule, laissant les feux et la liesse du festival derrière eux. En progressant lentement, ils finirent par atteindre les abords de la ville. Tout était silencieux, et les rues n'étaient éclairées que par des bougies au-dessus des portes des bâtiments. Zark continua de les mener, regardant régulièrement par-dessus son épaule pour s'assurer qu'ils le suivaient. Jusqu'à ce que les serres se profilent devant eux. Ils pénétrèrent dans l'une d'elles, et la moiteur du lieu leur colla aussitôt à la peau.

-Je vais chercher nos affaires et les Kôs, décida Zohan, avant de faire demi-tour pour retourner vers la ville.

-Fais attention, supplia sa soeur.

Il lui répondit d'un mouvement de main et disparut dans l'obscurité. Zark avait trouvé une couverture, en fouillant les lieux, et l'avait étalé au sol. Ils y allongèrent le Prince. D'un mouvement du poignet, Lysiana fit apparaître une flamme dans le creux de sa main. Qu'elle découvrit poisseuse et rouge de sang. Celle de Gwyldann se trouva être dans le même état.

-Oh non ! Non, non, non, non !

-Lysa...

Mais la jeune femme ne prêtait déjà plus attention à ses compagnons. Déboutonnant la veste et la chemise, qui étaient tellement imbibés qu'ils en semblaient noirs, elle mit à nu la blessure. Celle-ci avait des bords nets, d'où le sang s'écoulait à gros bouillons. Eteignant sa flamme, et les replongeant ainsi dans le noir, elle posa une main ferme dessus, et l'autre sur le front du Prince. Puis elle ferma les yeux et murmura quelques mots, qu'elle répéta plusieurs fois. Sous ses doigts s'éleva une lueur dorée qui éclaira faiblement autour d'eux, et s'accentua, jusqu'à devenir aveuglante. Puis elle diminua de nouveau, jusqu'à disparaître. La flamme fit son retour.

-Il nous faut de l'eau, pour nettoyer ça.

-Et pour nous nettoyer nous, ajouta Gwyldann en se désignant.

Lysiana créa deux boules de feu supplémentaires, qui suivirent ses compagnons pour les éclairer dans leurs recherches. Quand ils revinrent avec un seau rempli, elle entreprit de laver le flanc de Isaac avec minutie et douceur. Ses doigts tremblaient, et elle dut s'y reprendre à plusieurs fois quand elle arriva sur la zone blessée. Elle était effrayée, mais tentait quand même de rester maîtresse de ses actions et de ses pensées.

Zark alla monter la garde dehors, bien qu'il fut sans arme, et Gwyldann resta avec Lysiana. Il surveillait régulièrement la porte, inquiet à l'idée que l'assassin ne revienne. Ce fut finalement Zohan qui s'encadra dans l'entrée. Avisant la scène, il se précipita aux côtés de sa soeur.

-Isaac va s'en tirer ? Demanda-t-il avec inquiètude.

La jeune femme hocha la tête, et renifla. Essuyant son nez avec sa manche, elle réussit à lui répondre.

-Il a perdu beaucoup de sang pendant le trajet, mais j'ai réussi à refermer la blessure. Si la lame n'était pas empoisonnée, il s'en sortira.

Avec des gestes lents et doux, Zohan mouilla un des chiffons qui gisait près de lui, et lava les doigts tâchés de sang de sa soeur. Puis il serra longuement sa main entre les siennes.

-On ne peut pas rester ici, chuchota-t-il. En allant à l'auberge, je n'ai croisé personne qui semblait nous chercher. Je ne suis pas retombé sur Angelia non plus, mais rien n'indique qu'elle ne va pas chercher à finir le travail.

-On ne peut la déplacer, s'indigna-t-elle. C'est trop dangereux. Et de toute façon, il ne tiendra pas sur sa selle.

-Lysa, si on reste ici, les gens qui travaillent là vont nous trouver dès demain. S'ils sont dans le même quand qu'elle, on va tous y passer.

-On ne sait même pas pourquoi elle a fait ça ! S'exclama Gwyldann.

Il passa un chiffon mouillé sur le front ruisselant de sueur d'Isaac. Lysiana secoua violemment la tête pour se remettre les idées en place. Ce n'était pas le moment de céder à la panique.

-J'ai trouvé ça, jeté dans un parterre de fleurs, avoua Zohan.

Et il posa devant eux la dague qu'Angelia avait utilisé. Sur le pommeau de l'arme était gravé une armoirie qu'ils connaissaient bien. Même Zark, qui écoutait la conversation depuis l'extérieur, eut un frisson lorsque ses compagnons laissèrent échapper un hoquet de surprise. Ils ne pouvaient définitivement pas rester dans le coin, même jusqu'au matin.

-J'ai fait une razzia dans les cuisines de l'auberge, indiqua Zohan. Mais on ne tiendra pas les trois jours de voyage jusqu'à Kathul.

-On doit aller voir le Gouverneur Aftyr, ou mieux, rentrer à la Citadelle ! S'écria Gwyldann. Le Prince a été blessé sous notre garde, on risque déjà d'y perdre la tête, on ne peut pas faire de détour supplémentaire.

-Gwyl, parla Lysiana d'une voix calmée. Que l'on aille à Osalys demander de l'aide, ou que l'on ramène le Prince chez lui, cela nous prendra plus d'une semaine. Dans son état, c'est trop dangereux. De plus, on aura pas de quoi survivre jusque là-bas. Kathul est la meilleure solution pour l'instant.

Un silence plana, finalement coupé par Zark:

- Nous nous déplacerons la nuit, et dormirons la journée. Je vais chercher des tentes, elles nous fournirons l'ombre nécessaire. Je sais où en trouver, j'en ai pour vingt minutes, maximum.

-Et pour transporter le Prince ?

-Nox est celui qui a la patte la plus sûre dans le sable, et il est robuste. Enlevez mes fontes de ma selle pour les mettre sur Siwou, laissez uniquement la nourriture et l'eau. Gwyldann montera avec le Prince.

-Quoi ? S'étonna celui-ci. Mais pourquoi moi ?

-Parce que si on se fait attaquer, Lysiana, Zohan et moi, on vous défendra pendant que t'enfuira.

-Tout seul dans le désert avec un blessé ?

Mais Zark avait disparu. Lysiana lui frictionna doucement le bras, et se leva.

-Notre tacticien a parlé. Au travail, alors.

Zohan se redressa à son tour, ébourriffa les cheveux chatains de Gwyldann et la suivit à l'extérieur. Zark fut de retour au moment même où ils s'attelaient à garder Nox suffisamment calme pour pouvoir faire grimper Isaac dessus. Celui-ci ne s'était toujours pas réveillé, et était soutenu de part et d'autre par les deux jumeaux. L'Asraadien se saisit des rênes de son Kô, et, d'un mouvement du poignet, le força à plier les pattes jusqu'à ce qu'il fut couché sur le ventre. L'animal bouffa les plumes et laissa échapper un cri quand les cavaliers prirent place. Il n'aimait pas du tout ce changement. Même si le poids des deux nouveaux était presque équivalent à celui de l'ancien, il n'appréciait pas du tout de se retrouver avec deux personnes sur le dos qui n'étaient pas son cavalier.

Zark lui flatta un côté de la tête et le cou, en lui adressant des mots d'encouragements, mais il n'eut pour réponse qu'un regard noir.

-Tiens-toi bien, finit-il simplement par le menacer.

Grimpant sur Kira, le Kô de Gwyldann, il lui donna un léger coup de talon pour l'inciter à avancer. Il se saisit de la bride de Siwou en passant à côté, et prit la tête du groupe. Direction le nord-est.

Ils firent de nombreuses haltes, où Lysiana vérifiait l'état du blessé. A la lueur d'une flamme qu'elle crééait, elle regardait si la plaie était toujours fermée, et si la fièvre augmentait ou diminuait. Ils l'avait revêtu d'une chemise propre, et l'avait enroulé dans la cape de voyage de Zohan. La nuit était glacée, et il était hors de question qu'il attrape froid dans son état.

Lorsque le jour pointa, ils grignotèrent un peu et montèrent les tentes que Zark avait déniché. Il y en avait deux. Elles n'étaient pas très grandes, mais suffisamment spacieuses pour acceuillir trois personnes, pour peu qu'ils se collent. Allongé entre Zohan et le tissu rèche, Gwyldann s'éventait lentement de la main.

-Comme s'il ne faisait pas déjà assez chaud, se plaignit-il d'une voix geignarde.

-Essaye de dormir, tenta de le raisonner son ami. On a beaucoup de route à faire, ce soir.

-J'espère que Lysiana pensera à se reposer, elle, murmura Zark. Elle transpire l'anxiété par tous les pores.

-Si j'ai bien compris cette histoire de Prêtresse Royale, son protégé s'est littérallement fait poignarder devant elle sans que personne ne comprenne ce qu'il se passe. Elle n'aura peut-être pas de roi à conseiller.

-Ne nous porte pas la poisse Gwyldann ! Entendirent-ils depuis l'autre tente. Pour ton information, le Prince a déjà reprit des couleurs, et je crois même qu'il a fait un mouvement, tout à l'heure. Ce qui est très encourageant !

Ce qui le fut moins, ce fut lorsque les prédictions de Zohan se révélèrent un peu courtes. Du fait de ne voyager que de nuit, avec un blessé qui ne se réveillait pas, et sur un qui-vive constant, ils ne mirent pas trois jours à atteindre Kathul, mais cinq. Dont deux sans nourritures, et à rationner leur eau.

Plus d'une fois, ils se surprirent à loucher sur les ombres des cactus qu'ils croisaient de temps en temps.

-On a pas le temps de gérer des crises hallucinogènes, rappela Zark, la seule fois où Gwyldann émit l'idée qu'ils pouvaient être consommés.

Une lueur dans le lointain, lors de la quatrième nuit, leur redonna franchement espoir. Au bout de quelques miles, un mouvement entre ses bras fit s'arrêter net Gwyldann. Il tira sur ses rênes avec force, et Nox glapit d'énervement. Les autres se stoppèrent autour de lui. Lysiana fit apparaître une flamme qui éclaira des yeux gris et hagards.

-Prince Isaac ! S'exclama-t-elle.

Sa voix mêlait surprise et soulagement, et elle sauta de selle pour aider le Prince à poser pied à terre. Il essaya de parler, mais seul un grognement rauque lui échappa.

-Reposons-nous pour ce soir, proposa Zohan en lui tendant sa gourde. Nous finirons le trajet demain matin.

Isaac but avidement, et les quatre autres échangèrent un regard désolé lorsque son estomac gronda.

-Il va falloir être patient, Prince Isaac. Nous n'avons plus de vivre, mais nous atteindrons Kathul demain matin. Il ne reste que quelques lieues à parcourir.

-Kathul ? S'étonna-t-il. Nous étions à Subba.

-Vous avez été attaqué, lui rappela Gwyldann. Nous avons fui, pour pouvoir vous protéger.

Et pendant que le jeune homme rappelait au Prince les évenements qui s'étaient produits, les trois autres montèrent le camp. A la lueur du feu de camp, Isaac observa la fine cicatrice que lui avait laissé la dague. Il se rappelait la facilité avec laquelle la lame avait traversé ses vêtements et sa chair, pour se loger entre ses côtes. Pryss soit louée, en plus de maîtriser les éléments, Lysiana était douée d'un pouvoir de guérison. Elle lui sourit faiblement lorsqu'il la remercia.

-Vous allez conserver une marque de cette attaque, et resterez encore affaibli quelques jours. Si j'étais si douée, vous n'en garderiez aucune trace.

Ils mirent en place des tours de garde, auxquels Isaac ne fut pas autorisé participer. Et de fait, il tomba de sommeil en l'espace de quelques minutes. Au petit matin, ils prirent la route vers leur destination, assoiffés et affamés.

Kathul était bâtie sur le même modèle que Subba. Agencée autour d'un puits central, avec des bâtiments de briques rouges et aux toits plats, elle tenait cependant plus du bourg que de la vraie ville. L'activité dans les rues n'était pas dense, et les gens vivaient plus du passage de marchands que d'activités agricoles. Ils y pénétrèrent deux heures après le lever du soleil, et rentrèrent dans la première auberge qu'ils rencontrèrent. Le tenancier leur servit un ragoût auquel ils firent honneur, et ils louèrent des chambres dont ils ne sortirent qu'au milieu de l'après-midi.

Réunis dans la plus grande pièce, ils retracèrent une nouvelle fois les évenements, à la demande d'Isaac. Celui-ci semblait toujours déboussolé, et caressa distraitement son flanc à la mention de sa blessure.

-Que faisons-nous maintenant ? Finit-il par demander.

-C'est à vous d'en décider, Prince Isaac, lui répondit Lysiana.

-Quoi que vous choississiez, nous vous suivrons, assura son frère.

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