La cité des Merveilles

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Isaac les fixa les uns après les autres d'un air concentré. Il réfléchissait à la suite des opérations. La mission que lui avait confié son père d'avertir les Gouverneurs de la menace qui planait sur le royaume était presque complète; il n'en restait plus qu'un à voir. Cependant, ce qu'il s'était passé à Subba ne révélait qu'une chose, terrifiante s'il en était; l'ennemi savait ce qu'ils faisaient, et se déplaçait plus vite qu'eux. En attestait la marque sur son flanc.

Il ne pouvait cependant imaginer se présenter devant le Roi sans qu'un sentiment de honte ne le submerge à l'idée d'avoir abandonné avant la fin. Blessé ou pas, il devait continuer. Et c'est ce qu'il dit à ses compagnons. Ceux-ci n'en demandèrent pas plus pour sortir une carte des environs et se pencher sur l'itinéraire.

Malgré les recommandations de Lysiana, Isaac s'accorda à peine le temps de se reposer réellement, et, le lendemain de leur arrivée à Kathul, après s'être assuré assez de vivres et d'eau pour le voyage, le groupe partit.

Zark et Zohan enchaînaient les allers-retours, jouant les éclaireurs et cumulant les distances, à l'avant, à l'arrière, et même sur les côtés, afin de contrôler la présence d'ennemis sur le trajet. Pendant les cinq jours que dura le voyage, ils ne croisèrent cependant personne, si ce n'est un marchand itinérant qu'ils évitèrent d'un léger détour. Ils n'avaient pas l'intention de tenter le diable plus que nécessaire.

Osalys finit par apparaître, et ils l'atteignirent au soir du cinquième jour. Baignés des rayons du soleil couchant, les bâtiments blanc se teintaient de zinzolin. Les décorations en céramique bleu qui ornaient les saillies des toits plats renvoyaient des éclats violets qui rappelaient des améthystes.

La ville était bâtie sur une dune surplombant une oasis qui faisait presque deux fois la taille de celle de Subba, déjà elle-même conséquente. Les bâtiments s'écoulaient le long de la pente, jusque sur ses rives, avec, comme point culminant, le palais du Gouverneur Aftyr.

En chevauchant dans les rues, mélange incertain de pavés et de sable dur, ils entendirent le ruissellement caractéristique de l'eau courant sur les toits et dans les canaux les reliant entre eux. Celle-ci était draînée de l'oasis jusqu'au palais, où elle était stockée sur le toit, et s'écoulait de maison en maison jusqu'à revenir à son point de départ. Cela permettait de garder les habitations au frais la journée, et servait également de système d'eau courante, chaque toit étant équipé d'une gouttière et de valves qui permettaient de récupérer de l'eau au besoin.

Il y avait ici aussi une grande fontaine sur la place centrale, surmontée d'une statue de la Déesse, copie conforme de la fontaine que l'on retrouvait à la Citadelle. Dans un environnement aussi dur que le désert, l'accès à l'eau et ses utilisations tenaient une place centrale, avait fait remarquer Zark, une fois.

Alors que les premières étoiles s'allumaient dans le ciel, ils atteignirent l'enceinte extérieure du palais. Un soldat les arrêta aussitôt, l'heure n'étant plus au visite. Sur son Kô noir, Zark se redressa de toute sa hauteur en avançant vers lui, supplantant ses compagnons de quelques pas.

-Je suis Zark, fils du capitaine de la garde Dhrax. Allez le chercher.

Les deux soldats qui montaient la garde échangèrent un regard, puis celui qui les avait stoppé passa par la poterne. Il reparut un instant plus tard, accompagné d'un homme qui ressemblait à Zark s'il avait eu trente ans de plus. Ses amis comprirent à quoi il ressemblerait avec trente ans de plus. Le fils sauta à terre, et le père l'attrapa dans une accolade qui sembla musclée, leurs équipements claquant singulièrement l'un contre l'autre. Lorsqu'il s'éloigna pour l'observer plus longuement, les yeux de Dhrax brillaient à la lueur des torches fixées contre le mur. Pas un mot ne fut échangés, pourtant, tout ce qu'il pensait transparaissait dans les gestes de l'homme, et tous ressentaient son soulagement de voir que son fils était en bonne santé.

L'homme les mena dans la cour intérieur, jusque dans la cuisine. Une servante, en train de nettoyer la salle, sursauta en remarquant leur présence, mais s'empressa d'obéir au chef de la garde lorsqu'il lui demanda de préparer de quoi restaurer les nouveaux arrivants.

-Père, vous connaissez déjà Lysiana, Zohan et Gwyldann. Nous accompagnons le Prince Isaac, et souhaitons voir le Gouverneur Aftyr.

-Nous souhaitons l'entretenir d'une affaire importante, et qui concerne le royaume, indiqua Isaac.

-Nous sommes honorés de vous recevoir au palais, Votre Altesse.

Drhax leur fit signe de s'asseoir à une table, et s'installa avec eux quand la servante posa les plats devant eux. D'un geste, il la renvoya.

-Une affaire urgente ? Se renseigna-t-il.

Sa voix grave résonna jusque dans leurs os, et ils ressentirent combien ils étaient fatigués de leur voyage.

-Effectivement, confirma Isaac. Il me faut voir le gouverneur Aftyr immédiatement.

Mais, comme ses compagnons, il ne put s'empêcher de mordre dans un morceau de pain.

-Il est trop tard pour qu'Aftir vous reçoive officiellement, mais soyez sûrs que je vais le prévenir de ce pas. Demain est un autre jour, et il vous verra dès ses premières lueurs. En attendant, je vais vous faire préparer des chambres. Mangez, une servante viendra vous chercher tout à l'heure.

Il disparut par une porte à l'opposé de celle par laquelle ils étaient entrés, et qui semblait donner sur un long couloir.

-"Dès ses premières lueurs" ? Cita Gwyldann.

-Ca veut dire que nous serons attendu pour le petit-déjeuner, lui répond tranquillement Zark en buvant une grande gorgée de bière.

Ils dévorèrent leur repas, à s'en faire éclater la panse, et suivirent d'un air endormi la domestique lorsqu'elle vint les mener à leurs chambres. Des bains avaient été mis à disposition, ainsi que des vêtements propres, et ils en profitèrent presque tous pour se délasser dans l'eau.

Zark, pour sa part, fit une toilette rapide, et emprunta les couloirs jusqu'à rejoindre la caserne. Il y retrouva de vieilles connaissances, des hommes de son âge, et d'autres plus âgé, avec qui il avait grandi et appris la voie de la hallebarde. Il y avait aussi de nouvelles têtes, des soldats qui étaient arrivés après son départ, mais qui avaient beaucoup entendu parlé de lui. Il passa une grande partie de la nuit à boire et jouer au dés avec eux, renouant avec ses anciens amis.

Lorsque Drhax pénétra dans la pièce, le silence fit place, presque plus assourdissant que les éclats de rire qu'il remplaçait. Mais lorsque leur chef se joignit à eux, les hommes se remirent à rire à pleins poumons, et à rattraper le temps perdu.

Lysiana, qui avait erré dans les couloirs jusqu'à trouver un balcon, écoutait les bruits de la nuit. Elle souriait à chaque fois qu'une voix s'échappait d'une fenêtre de la caserne, plus forte que les autres. Certains râlaient contre de la triche, d'autres s'enorgueillaient d'une victoire. L'ambiance était à la bonne humeur, en bas. Pour sa part, elle profita de l'espace qu'elle s'était trouvé pour continuer à s'entraîner. N'ayant pas accès à un point d'eau, et trop éloignée d'un élément terrestre qui ne soit pas le bâtiment, elle décida d'exercer sa maîtrise de l'air.

Elle s'amusa à dévier et modeler les courants déjà existants autour d'elle, créant une petite tornade qui courra le long de la rambarde. Elle s'exerça ensuite à ressentir toutes les variations, les moindres frémissements dans l'air. A l'aide des flambeaux fixés aux murs, elle observa les mouvements du vent, qu'elle imita avec ses mains. Alors qu'elle commençait à sentir une connexion entre la position de ses doigts et celles des flammes, une voix dans le couloir la fit sursauter et perdre sa concentration.

-Avez-vous un nouveau conflit à régler à ma place, jeune élémentaliste ?

Emergeant de l'ombre, Aftyr vint la rejoindre sur le balcon, et Lysiana s'inclina devant lui. Sa peau noire était éclairée par l'éclat argenté de la lune, et la lumière jaune des flammes. Il avança jusqu'à s'accouder à la rambarde, et regarda vers la caserne, d'où un soldat sortait en titubant.

-Nous avons effectivement des choses importantes dont nous souhaitons vous parler, répondit-elle sans lever la tête. Néanmoins, il s'agit là de la mission de Son Altesse le Prince Isaac. Je ne suis ici que pour l'accompagner, et il n'est pas mon rôle de le faire à sa place.

-Je sais pourquoi tu es ici, Prêtresse.

Lysiana releva si rapidement la tête qu'elle sentit son cou craquer.

-Comment...

-Suis-moi jeune fille. Il y a dans mon palais des affaires qui t'appartiennent de droit.

Sans vérifier qu'elle le suivait, Aftyr retourna à l'intérieur du bâtiment. Rien n'avait bougé, mais il sembla à Lysiana que l'air de la nuit s'était rafraîchie de quelques degrés. Réprimant à grand peine un frisson, elle entreprit d'emboîter le pas au Gouverneur. Celui-ci la mena le long de plusieurs couloirs qu'elle se rappela avoir emprunté la fois où elle avait séjourné dans le palais. Il s'arrêta devant une porte qu'elle ne connaissait pas, et observa sagement quand il les ouvrit.

-Voici ma bibliothèque personnelle. Viens de ce côté-ci.

Il s'avança jusqu'à une rangée remplie de livres et de parchemins d'apparence ancienne. Lorsqu'il se retourna, il constata qu'elle n'avait pas bougé du seuil.

-Gouverneur Aftyr, comment savez-vous que je suis la Prêtresse ?

-Contrairement à Urys ou Forn, Asraad est une zone dont les conditions rendent l'accès plus compliqué. De ce fait, nous sommes plus indépendants que les autres, par rapport à la couronne. Par conséquent, lorsque Kylieth le Hargneux décida que tout le monde devait oublier l'existence des Prêtresses Royales, nous ne l'avons pas fait.

Il déroula un parchemin, et l'invita de nouveau à s'approcher, ce qu'elle fit. Sur la feuille s'étalait la généalogie royale, depuis le premier roi, jusqu'à Darius. A côté de chacun, écrit en turquoise, s'inscrivait le nom de chaque Prêtresse les ayant accompagné. Lysiana caressa du bout des doigts le nom de Jennel, le dernier à avoir été noté.

Aftyr prit plusieurs livres qu'il posa en pile sur la table. Il les présenta à Lysiana comme ayant appartenu à certaines de ses prédécesseures, et relatant leurs exploits.

-Il ne s'agit hélas que de copies, regretta l'homme. Mais tu pourrais avoir beaucoup à apprendre de ce qu'elles racontent. Il y en a également sur l'ancien peuple. Connaissais-tu son existence ?

-J'ai avec moi des manuscrits d'Elendard et d'Eldarya traitant sur eux, et leurs capacités. Et puisque j'ai trouvé ceux sur les Ceerins en Urys, et ceux sur les Thikets en Forn, vous devez disposer en toute logique des écrits sur les Kibers.

-Bien deviné, jeune Prêtresse, lui sourit Aftyr en lui tendant les manuscrits.

Elle les prit entre ses doigts tremblants d'émotion, et les serra contre sa poitrine.

-Il se fait tard. Emportez ceux-ci dans votre chambre pour les compulser. Il fait froid ici, la nuit.

-Pourrais-je revenir consulter les autres livres ? S'enquit la jeune femme d'une voix incertaine, en jetant un coup d'oeil aux étagères.

-Il t'appartiennent, Prêtresse, sourit le Gouverneur. Tu peux les emporter si tu le souhaites.

Plaçant une main dans son dos, il la raccompagna gentiment à la sortie de la pièce.

-Ma bibliothèque n'est jamais fermée à clé, tu peux venir ici quand tu le souhaites, lui assura-t-il. Retrouveras-tu le chemin de ta chambre ?

-Oui, Gouverneur, répondit-elle en s'inclinant. Merci infiniment de m'avoir parlé des manuscrits. Je ferai bon usage de ces connaissances, soyez-en certain.

Lorsqu'elle se redressa, il lui tapota l'épaule avec un dernier sourire franc, et lui tourna le dos pour disparaître dans l'obscurité du couloir. Lysiana rejoignit sa chambre également, alluma la mèche d'une bougie d'un claquement de doigt, et retint un hurlement lorsqu'elle vit une forme bouger dans son lit.

-Tu n'as pas une chambre ?! S'écria-t-elle en reconnaissant son frère émergeant de sous le drap.

-Si, répondit-il d'une voix ensommeillée. Et tu es dedans...

Elle observa autour d'elle, et constata, au vue des habits de Zohan un peu partout dans la pièce, qu'elle s'était trompée de porte. Se répendant en excuses, elle alla jusqu'au lui, lui embrassa le front pour lui souhaiter bonne nuit, et recula jusqu'à la porte, éteignant la bougie d'un souffle de vent, et fermant les battant de la même façon. Elle pénétra finalement dans sa chambre.

Mieux qu'une bougie, la pièce possédait une cheminée dans laquelle flambaient encore quelques braises. Elle rajouta une bûche pour que le feu reprenne, et chasser la fraîcheur qui avait envahi les lieux, et s'attela à sa lecture quand la lumière devint suffisante, assise à même le sol, en tailleur sur le tapis.

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