La Brèche

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Le soleil n'était même pas encore levé que les cinq compagnons terminaient de fixer leurs paquettages aux selles de leurs Kô. Caleb, Lithbeth et Papette faisait office de comité de départ. La gouvernante se tapotait régulièrement les yeux avec un mouchoir.

-Trop tôt, murmurait-elle. Même pas reposés. Trop tôt.

-Un long voyage vous attend, leur dit Lithbeth après qu'ils aient tous grimpé sur leurs montures. Je prierai la Déesse afin qu'Elle veille sur vous durant votre périple.

-Nous reviendrons quand il sera terminée, promit Zohan.

-Faîtes attention aux adeptes.

-Vous également. Ils sont venus pour la Source une fois, rien n'indique qu'ils ne réessayeront pas de la trouver.

Après avoir remercié une dernière fois Lithbeth pour son acceuil et vérifié l'itinéraire, le petit groupe se mit en marche. D'un geste vif, Caleb attrapa la bride de Puru, et l'arrêta dans son mouvement.

-Quand tu seras de retour, nous danserons encore, n'est-ce pas Lysiana ?

-Avec grand plaisir, lui sourit-elle largement.

Lançant sa monture au trot, elle rattrapa ses compagnons qui disparaissaient déjà entre les arbres.

Au terme de deux journées de voyage, ils atteignirent l'orée de la Forêt de Forn, et avancèrent dans la Plaine d'Urys, obliquant vers le Nord. Au loin, les montagnes du Plateau Perdu les dominaient déjà de leurs hauteurs. Au fur et à mesure qu'ils s'en approchaient, ils pouvaient sentir l'atmosphère pesante qui s'en dégagait passer par-dessus la Brèche et s'étaler sur le Nord de la Plaine.

Lysiana avait ralenti le rythme de son Kô, avançant en retrait, et travaillait sur sa maîtrise de l'eau.

-C'est notre eau potable, lui lança Zohan en se retournant sur sa selle. Tu joueras dans la prochaine rivière.

-Je ne joue pas ! S'exclama-t-elle furieuse, en lui envoyant une rasade d'eau dans la figure.

Personne ne pipa mot, alors que le bretteur s'essyuait le visage d'un lent mouvement de la main.

-Très bien, grogna-t-il en se détournant d'elle et en relançant sa monture.

Un silence désagréable s'abattit sur le groupe, et ils arrêtèrent leur progression dès qu'ils trouvèrent un cours d'eau pour dresser le camp sur la berge. Lysiana alla s'installer plus en aval, où elle s'entraîna même après que ses compagnons furent couchés, assurant dans le même temps le premier tour de garde. A un moment dans la soirée, Isaac et Zohan échangèrent quelques coups d'épées afin de pratiquer leurs arts.

Quand ils se couchèrent, les dos calés contre leurs selles, la jeune élémentaliste s'était rapprochée du campement, et tous purent entendre Gwyldann lorsqu'il maugréa:

-Fichues montagnes.

Camlayr se trouvait quelques lieues au Sud de la Brèche, où l'on sentait très clairement la domination du Plateau Perdu, qui s'élevait tel un massif escarpement bouchant le ciel malgré la distance. Son ombre s'étendait sur l'herbe de la Plaine, plongeant les environs dans un soir constant. Cela n'empêchait pas l'agriculture de prospérer, sous le temps encore clément de cette fin d'automne. Ils longèrent des champs et des fermes de plus en plus nombreux, sans voir âme qui vive.

Ils atteignirent le village en milieu de journée, et découvrirent pourtant portes et volets clos.

-Encore pire que d'habitude, commenta Lysiana.

Elle fit s'avancer sa monture jusqu'à l'édifice principal de la bourgade, dont l'enseigne proclamait "A l'ombre éternelle". Elle mit pied à terre et frappa à la porte.

-Bourgmestre Leonas ! Ouvrez s'il vous plaît !

Le reste du groupe avait pris place derrière elle, encadrant le Prince. Le cadran de bois s'ouvrit à la volée, et un homme bondit hors de l'auberge.

-Les Enfants ! S'exclama-t-il d'une fausse voix enjouée. Que nous vaut votre visite ? Une mission dans nos régions ?

-En quelque sorte. Pouvons-nous prendre des chambres pour la nuit ?

-Qui sommes-nous pour refuser asile aux voyageurs de passage ? Entrez donc, entrez donc.

Il fit un geste de bras, et, de l'intérieur du batîment sortirent deux hommes qui attrapèrent les Kô par leurs brides.

-Mes fils vont s'occuper de vos montures. Est-ce le Prince Isaac qui vous accompagne ? Votre Altesse !

L'homme se fendit d'une révérence, puis les incita à entrer dans le bâtiment. Avant de claquer la porte dans leurs dos, il jeta un coup d'oeil dans les rues désertes, l'air inquiet et suspicieux.

-Tout va bien Bourgmestre ? S'enquit le Prince. Pour quels raisons les gens sont fermés chez eux à cette heure de la journée ?

-Oh, rien qui ne doive vous inquièter Votre Altesse, minauda l'aubergiste. Avec l'arrivée prochaine de l'hiver, la vie ici ralentit, les villageois se couchent tôt.

-Avec tout le travail à faire au champs ?

La question flotta dans l'air, ignorée par leur hôte, qui les entraîna à l'étage en leur vantant les mérites de ses cuisinières, qui n'étaient autre que sa femme et sa fille. La chambre qu'ils leur proposa consistait en deux pièces en enfilade aménagées avec respectivement un lit double et trois lits simples. Les jumeaux se partagèrent le lit, laissant les trois autres s'approprier la deuxième pièce.

-J'aimerai voir la Brèche de plus près, lança Isaac, en déposant son sac au pied de son lit.

Le concert de soupir et de grognement qui lui répondit le fit sourire, mais personne n'argumenta.

-J'accompagne le Prince Isaac, intervint Lysiana. Pendant ce temps, essayez de comprendre ce qu'il s'est passé ici, tous les trois.

Les montagnes les surplombaient d'une hauteur vertigineuse. Même de l'autre côté de la Brèche, il était impossible de voir le sommet. Depuis le lointain contrebas, on entendait le rugissement de la mer qui s'engouffrait depuis le Col des Brumes jusqu'au Grand Pic, où elle disparaissait sous la montagne.

-Sérieusement Prince Isaac, nous sommes suffisamment près pour que vous puissiez voir en contrebas. Inutile d'avancer plus.

Il l'ignora, descendit de son Kô, et se rapprocha encore plus du bord. Il finit par heurter un mur invisible.

-Vous avez insisté, Votre Altesse, gronda Lysiana. Mais je n'irai pas expliquer à Votre Majesté Votre Père que vous êtes aller vous briser la nuque en bas de la falais parce que je vous ai laissé faire l'inconscient au bord de la Brèche.

-Lysiana...

-Vous ne ferez pas un pas de plus vers ce rebord. Je suis mortellement sérieuse, reculez.

Isaac leva les mains en signe de défaite, et, jetant un dernier regard vers la mer qui bouillonnait en contrebas, fit demi-tour. Lorsqu'il se retourna, Lysiana attendit qu'il soit bien remonté sur son Kô avant de faire tomber son mur. Ensemble, côte à côté, plongés dans une obscurité à peine brisée par la flamme que générait Lysiana, ils levèrent la tête et observèrent la face rocheuse qui s'étendait à perte de vue devant eux, les écrasant de sa masse noire.

Ils prirent finalement le chemin du retour, rejoignant leurs trois amis à A l'ombre éternelle. La salle commune, habituellement remplie d'habitants se déléctant, après une dure journée de labeur, de choppes de bière accompagnant le récit de quelque barde, ne comptait que trois clients, et un silence de mort. Lysiana et Isaac s'assirent à la table qu'occupait le reste du groupe.

Ils commencèrent à discuter en murmurant, peu désireux d'attirer sur eux l'attention de l'aubergiste, qui les observait depuis son comptoir. Ce fut sa fille qui apporta les plats, et Lysiana et Zohan pouvaient aisément affirmé qu'ils ne lui avaient jamais vu cet air de biche apeurée qui peignaient ses traits de manière constante. Gwyldann constata avec étonnement que la nourriture était délicieuse. Lorsqu'elle se fut éloignée, Zark prit la parole. Sa voix était à peine audible par-dessus leurs bruits de mastication, et c'était le soldat qui s'exprimait.

-Camlayr entier est sous-tension. Les gens sursautent au moindre bruit et regardent constamment par-dessus leurs épaules. Ils donnent l'impression que le village est pris dans un piège, ou assiégé...

-C'est ce à quoi vous pensiez lorsque vous disiez "spéciaux" ? Questionna Isaac à voix basse. Des gens apeurés et paranoïaques, c'est ce que je vois, personellement.

-La proximité du Plateau Perdu a toujours affecté les habitants de Camlayr. Mais ils n'ont jamais eu ce comportement auparavant.

-Après votre départ, quand ils ont compris qui nous étions, les gens ont commencé à sortir de chez eux, expliqua Gwyldann. Ils avaient l'air soulagés, mais ça n'a pas duré longtemps.

-Le bourgmestre nous a fait comprendre qu'il serait mieux pour nous de ne pas nous attarder dans le coin, ajouta Zohan. Il n'en a pas parlé, mais quand nous avons mentionné les Adeptes, tous les gens à portée de voix se sont agités. Ils étaient vraiment terrorisés, comme si la menace était devant eux, prête à les torturer.

Le silence plana au-dessus de la table pendnat qu'ils épongaient la sauce avec leurs pains. Malgré la terrible ambiance des lieux, les cuisinières avaient fait des merveilles, et ils tenaient à leur rendre honneur. Son assiette et sa bière terminée, Zark s'éclipsa par la porte arrière de l'établissement, et Lysiana rejoignit le comptoir.

-Que font-ils ? S'intéressa Isaac.

-Zark met notre équipement en sûreté dans nos chambres, à mon avis. Lysiana va probablement payer pour le repas et la nuit, afin que l'on puisse s'éclipser demain matin.

La jeune femme se retourna vers eux, et leur fit un signe de la main, les invitant à monter dans les chambres. Durant la nuit, où ils se reposèrent peu, chacun put, pendant son tour de garde, observer les habitants traîner dans la ruelle en face de leurs fenêtres pour les surveiller dans l'ombre. Au petit matin, réunis dans l'une des deux chambres, ils décidèrent d'éviter les villes et villages jusqu'à leur arrivée à Elarya.

-Si les Albinos sont impliqués, nous devons aider ces gens, plaida Isaac.

-S'ils ne nous ont pas attaqué cette nuit, c'est uniquement parce qu'ils nous ont vu monter la garde et prêts à nous défendre.

-Si les Albinos sont impliqués, comme vous le dites, nous sommes clairement visés, ajouta Lysiana en les désignant tous les deux, le prince et elle. Nous devons partir avant qu'ils ne nous trouvent. Zark, Gwyl, occupez-vous d'emmener les Kô en dehors du village, on s'occupe de prendre l'équipement.

Les deux compères se glissèrent sans bruits hors de la pièce, suivis quelques minutes après de leurs trois amis, qui arrivaient à se déplacer en silence malgré leurs charges.

Isaac se retourna plusieurs fois sur sa selle après qu'ils eurent quittés le village, et ce jusqu'à ce que celui-ci ne lui soit plus visible.

-Vous pourrez revenir et tenter de déméler le problème une fois la mission achevée, le raisonna Lysiana. Pour l'instant, vous devez donner la priorité à votre rôle d'ambassadeur du Roi auprès des Gouverneurs.

Elle avait raison, et il le savait, mais il admit difficilement la nécéssité d'abandonner, même temporairement, les habitants de Camlayr. Serrant les dents, il se força à regarder devant lui et à continuer d'avancer.

Les fermes et les champs s'espacèrent, puis ils finirent par ne plus en croiser, avançant dans les plaines dans un silence pesant. Cela dura pendant deux jours. Ils se reposaient au sommet d'une colline, laissant leurs montures se désaltérer dans le bassin d'où émergait une source.

-Il y a une fête à Darnival ? Questionna Zark.

-De quoi tu parles ?

D'un mouvement du menton, l'Asraadien désigna la colonne de fumée épaisse et noire qui s'élevait dans le ciel, plus loin au à l'Est.

Leur idée de rester loin des zones habitées rallongait leur trajet, et diminuait d'autant plus vite leur réserve de nourriture.

-Peut-être la fête de l'automne ? Hasarda Zohan.

-Elle est passée depuis un moment, condredit Gwyldann après un instant de réflexion. Et la fumée est blanche.

-On devrait aller vois ce qu'il s'est passé, décida Isaac.

Et avant que quiconque n'ai put parler, il sauta d'un bond sur Siwou et le lança sur la route. Les quatre autres s'élançèrent à sa suite, mais ne le rattrapèrent qu'aux portes du village, où il s'était subitement immobilisé.

-Oh ma Déesse, chuchota Lysiana en s'arrêtant à son tour.

De village, il ne restait que le nom. Le portail qui en indiquait l'entrée était tombé au sol, bloquant à moitié la route. L'épaisse fumée noire s'élevait sans discontinuer des gravats calcinés, et pour certains encore en train de brûler, de ce qui furent auparavant des habitations.

Zohan couvrit son nez et sa bouche avec le foulard qui ornait son cou, et s'avança au milieu des décombres. Les autres le suivirent, et redoutait déjà de tomber sur le triste spectacle d'un charnier sur la place principal.

Ils trouvèrent quelques cadavres éparses à demi-ensevelis sous les décombres, mais pas suffisament pour la population de Darnival.

-Qu'est-ce qui s'est passé ? Murumura Gwyldann en se couvrant la bouche d'une main.

Zark arrêta Nox d'un brusque mouvement de renne qui attira l'attention sur lui, mais ses yeux restaient rivés sur quelque chose.

Une demie porte de maison pas complétement calcinée avait été marqué d'un emblème représentant une terre en feu.

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