Histoire au coin du feu

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-Peut-être devrions nous chercher un village, afin de dormir dans une auberge ? Souffla Gwyldann en s'approchant de Lysiana.

Elle chevauchait en tête avec son frère, quelques pas devant Zark et Isaac.

-Pourquoi ? Tu es fatigué ? Questionna-t-elle en l'analysant d'un coup d'oeil.

-Non, mais pour le Prince...

-Isaac, intervint celui-ci.

Il talonna sa monture, et la fit s'arrêter devant les autres.

- Appellez-moi par mon prénom, s'il vous plaît. Nous sommes compagnons de route, et vous n'êtes pas mes soldats. Inutile de vous adresser à moi, ou de parler de moi avec une telle référence.

-Nous sommes vos sujets, argua Zohan.

-Et nous avons le même âge, argumenta Isaac. J'aimerais que vous ne soyez pas aussi formel à mon égard.

Sa voix leur sembla presque implorante, et ils échangèrent un regard gêné.

-Cela prendra peut-être un peu de temps, mais nous ferons de notre mieux, Prince... Isaac.

Celui-ci leur sourit, visiblement ravi de l'effort.

-Il n'est pas non plus nécessaire de chercher une auberge. Si j'avais souhaité un confort absolu, j'aurais emmené ma suite pour ce voyage. Et là n'est pas son propos.

Faisant faire demi-tour à son Kô, il recommença à chevaucher en direction du fleuve Cyan, à peine visible dans le lointain. Il l'avait vu en étudiant les cartes, le village le plus proche se trouvait à l'Ouest, et impliquait que le groupe fasse demi-tour pour pouvoir rejoindre Forn après s'y être reposé. Ce n'était donc pas une étape nécessaire. Ils firent quelques lieues en silence, le soleil couchant étirant leurs ombres devant eux, et ils décidèrent de faire halte pour la nuit. Alors que Gwyldann s'aventurait dans les buissons alentours pour récupérer du bois pour le feu, Zohan et Lysiana marchèrent jusqu'à une des petites rivières qui parsemaient le paysage afin de ramener de l'eau pour tout le monde. Zark s'occupait de desseller les Kô et de lisser les plumes de leurs dos, malmenées par les équipements.

-Laissez-moi vous aider, proposa Isaac.

S'installant à côté de l'Asraadien, il entreprit de défaire les rênes autour du bec de l'oiseau noir, qui claqua méchamment des mandibules lorsqu'il en fut débarasser.

-Pardonnez Nox, Votre Altesse, excusa Zark en saississant la tête de l'animal entre ses deux mains. Il est teigneux, et n'aime pas son équipement.

-Isaac, corrigea celui-ci. Ce n'est pas grave, il ne m'a pas touché.

D'une main legère, il gratta les plumes sur le front de l'oiseau, qui ébourriffa le reste de son corps pour exprimer son mécontentement. Quand Zark le libéra, il trottina se réfugier auprès de ses congènères en poussant un cri d'indignation. Zohan et sa soeur, qui revenait à cet instant, laissèrent échapper un rire.

-Lysiana ! Appela Gwyldann. J'ai besoin d'une flamme pour lancer la flambée.

Avec les branches sèches qu'il avait ramassé, le jeune homme avait construit un feu de camp qu'il avait entouré de pierres plates récupérées au bord du ruisseau. Posant les gourdes près de lui, la jeune femme s'agenouilla et tendit une main vers la structure. Celle-ci laissa échapper le petit craquement caractéristique du bois sous l'effet de la chaleur, et un filet de fumée s'en éleva. Puis le feu s'échappa d'entre les morceaux de bois, les consumant lentement.

Isaac se précipita devant les flammes, abasourdi par ce qu'il venait de voir.

-Lysiana, est-ce vous qui êtes à l'origine de ce qui s'est passé ? Demanda-t-il. Comment avez-vous fait ?

-Oh, juste comme ça.

Tendant la paume de sa main vers le ciel, elle y fit surgir une petite flamme.

-Je n'avais jamais entendu parler d'une telle chose, souffla le Prince.

Accroupi devant elle, il observait la flamme sous toutes les coutures, sa lumière se réfléchissant dans ses yeux brillants de curiosité.

-Avez-vous d'autres pouvoirs ? S'enquit-il.

Elle désigna quelque chose du doigt, derrière lui, et il se retourna. Devant ses yeux flottaient quelques pierres, et le ruisseau sortait de son lit pour serpenter dans les airs. Un souffle d'air lui ébourriffa les cheveux et gonfla ses vêtements.

-Quelques autres, répondit-elle avec un sourire.

-J'ai hâte de rencontrer d'autre personne capable de réaliser ces choses ! S'exclama Isaac.

-Vous avez fait le tour, Votre Altesse. Je suis la seule.

-Isaac, corrigea-t-il. Que voulez-vous dire "la seule" ? Il n'existe personne avec qui vous partagez ces capacités ?

Elle sembla vouloir répondre quelque chose, mais se ravisa, et secoua simplement la tête. Se relevant, elle fouilla dans ses sacs de selle, et sortit un morceau de viande séché qu'elle mâcha pensivement.

-Je suis la seule, finit-elle par répéter à voix basse. Nous devrions manger, dit-elle plus haut, à l'adresse de ses compagnons. Le soleil sera bientôt couché, reposons-nous aussi.

Ils acquiessèrent en s'installant autour du feu, assis contre leurs selles.

-Appréhendez-vous d'aller à la Source de la Déesse, Prince Isaac ? Questionna Gwyldann, en bégayant lègerement sur le prénom.

-Père m'a dit avoir reçu un message de la Déesse lui signifiant que j'y étais attendu, répondit le Prince en buvant à sa gourde. Que je n'avais donc rien à craindre. Je suis plutôt curieux de ce que je vais y découvrir, en réalité. Père m'a également prévenu de ce dont vous lui avez parlé lors de l'audience, après notre départ. Je suis aussi d'avis de d'abord faire le tour des régions. Nous devons découvrir où se cache l'ennemi pour pouvoir l'attaquer. Et notre défense n'en sera que meilleure si tout le monde se tient prêt...

Il laissa son regard se faire happer par les mouvements dansant des flammes, puis revint à lui.

-Comment votre groupe s'est-il formé ? A l'instar de mes parents, j'ai entendu parler de vous, et vos exploits, mais je dois admettre tout ignorer de vous.

Les quatre jeunes adultes s'échangèrent un sourire, qu'ils lui adressèrent finalement. Puis Zohan se pencha vers lui, comme pour lui adresser des confidences.

-Lysiana et moi avons quitté notre ville natale il y a quelques années. Avec l'apparition de ses pouvoirs, cette demoiselle s'est entraînée comme une forçonnée, et a décidé un beau jour de mettre ses capacités au profit du Royaume. Et comme elle est plus têtue qu'une mule, j'ai préféré l'accompagner plutôt que de tenter de la faire rester.

-Vous semblez si bien vous entendre, et être si proche, fit remarquer Isaac.

-Nous n'avons pas le choix, sourit le bretteur. Nous sommes de la même famille.

-Des jumeaux, ajouta Lysiana.

Grignotant son repas, elle s'installa à côté de son frère, et laissa Isaac les comparer à la lueur du feu. Sans être identique, le Prince devait bien admettre qu'ils se ressemblaient énormément. Ils possédaient les mêmes sourcils droits et le même nez convexe. Les yeux de Lysiana avaient cependant une teinte plus claire que ceux de son frère, ses cheveux étaient plus foncés et son menton plus petit.

-Nous avons rallié la Citadelle, enchaîna sa soeur, lorsque l'inspection fut passée. Chez nous, nous avions entendu parler du Tableau à Affiches. Nous avons commencer à gagner notre pain en aidant les gens qui en avait besoin.

-Sur une mission à Subba, nous avons rencontré Zark.

Le jeune homme leva les yeux de sa hallebarde, et son regard accrocha celui, curieux d'Isaac.

-Mon père est le chef de la garde du Gouverneur Aftyr. Depuis tout jeune, je suis entraîné afin d'intégrer les soldats qui la composent. Quand le Gouverneur se déplaçait, mon père m'emmenait toujours avec lui. Il considérait que si je vivais dans son univers de façon permanente, et dès le plus jeune âge, je pourrais devenir le meilleur soldat que puisse compter le Gouverneur. Ce jour-là, un différent avait éclaté à Subba. Le genre qui ne se règle pas sans intervention. Le temps qu'on arrive, cette intervention avait déjà eu lieu.

-Ca, c'est nous, chuchota Lysiana en les pointant du doigt, son frère et elle. C'était notre mission, de ramener l'ordre. Une source qui ne s'écoulait presque plus et sur laquelle quelqu'un avait mis une taxe d'accès.

-Quoi qu'il en soit, le Gouverneur Aftyr était furieux que deux enfants sortis de nulle part règlent les affaires dans sa région. Il a failli vous faire jeter en prison pour vous faire paraître devant Sa Majesté.

-Si le Gouverneur n'avait pas été si long à intervenir, personne ne serait monté jusqu'à la Citadelle pour déposer cette mission, argua la jeune femme. Et il n'a finalement pas mit ses menaces à exécution.

-Parce que, louée soit la Déesse, il a accepté de m'écouter, rappela son frère en la bousculant légerement du coude. Tu étais prête à te battre contre son armée, espèce de tête brûlée.

Elle tira la langue avec espièglerie, mais finit par admettre:

-Tu es toujours là pour me sortir de mauvaises situations.

-Dans lesquelles tu t'es toi-même mise, termina-t-il d'enfonçer le clou.

-Quoi qu'il en soit, intervint Zark, avant qu'une dispute n'éclate entre les jumeaux. Le Gouverneur a longuement discuté avec Zohan et Lysiana, et quelque chose l'a finalement convaincu de les acceuillir comme invités de marque. En récompense pour leur action pour Subba, plutôt que de les punir pour avoir outre-passer son autorité. Ils sont restés pendant quelques temps, et nous avons sympathisés. Lorsqu'ils ont décidé de repartir, j'ai choisi de les accompagner.

-A force de répondre aux quêtes que les habitants plaçaient sur le Tableau à Affiches, nous avons fini par nous faire un petit nom.

-"Les Enfants du Monde" ?

-Parce que nous sommes plus jeunes que la plupart des gens qui acceptent les missions déposées sur le Tableau, expliqua Zohan.

-Et vint Gwyldann, lança Lysiana, sa voix perçant joyeusement dans la nuit.

-Pas de grande histoire à raconter pour moi, vous me connaissez du château, Prince Isaac, balaya le jeune homme à lunette d'un mouvement de main. Même si nous n'avions pas tant que ça l'occasion de nous côtoyer.

-Comment le fils du Chancelier se retrouve-t-il dans un groupe d'aventuriers ?

-Bien honteusement, je dois l'avouer, je me suis retrouvé dans une mauvaise passe, et Zark m'a aidé. C'était il y a deux ans, environ. J'étais sorti en ville afin de faire une course pour le maître bibliothécaire. J'ai trop traîné sur le chemin, et suis tombé sur un groupe de détrousseurs au coin d'une rue que je pensais être un raccourci. Je ne suis pas un bagarreur, et sans l'intervention de ce grand barraqué, je ne serais plus là pour en parler.

Gwyldann sourit à Zark, le remerciant encore d'un mouvement de tête, qu'il balaya d'un geste de main.

-Ca fait longtemps maintenant, marmonna-t-il, gêné.

-Il était tard, et la herse du château avait été baissée, reprit Gwyldann. Alors j'ai été invité à partager le repas avec le groupe dans la taverne qui est devenue notre base quand nous somme à la Citadelle. Pendant un moment, quand ils étaient là, nous nous retrouvions pour discuter, et ils me racontaient tout ce qu'ils avaient fait. Un jour, par curiosité, je les ai suivi alors qu'ils partaient pour une petite mission dans un village voisin. Nous sommes rentrés le soir même, et j'ai annoncé à Père que je voulais rester avec eux, et partager leurs aventures. Il a été surpris, mais ne s'y ait pas opposé.

-Il a quand même débarqué à la taverne pour nous faire promettre de te garder sain et sauf quoi qu'il arrive, lui rappela Lysiana en étouffant un rire derrière sa main.

L'évocation du souvenir du Chancelier, dans sa robe de velours couleur de jade, son insigne à l'effigie de la Déesse épinglée sur le revers de sa cape, debout près de leur table lors du petit-déjeuner et en train de leur faire un sermon au moment de leur confier son fils unique, les fit sourire tendrement.

-Gwyldann n'avait pas fait le fier, à ce moment-là, c'était le moins que l'on puisse dire, se remémora Zark en fixant le feu.

-Mais il a la caboche bien remplie, ajouta Zohan en désignant sa propre tête. Il a passé sa jeunesse à lire des livres et apprendre mille choses sur le continent qui nous sont sans arrêt utiles ! On est content de l'avoir avec nous. Il n'est pas taillé pour la bagarre, mais ça, Zark et moi, on s'en occupe !

Les deux guerriers laissèrent échapper un sourire carnassier qui en disait long sur leurs capacités. Lysiana tapa dans ses mains, ramenant l'attention sur elle.

-La lune est là, nous devrions nous coucher. Qui prend le premier tour de garde ?

-Je ne suis pas fatigué, se proposa Zark.

-Très bien, réveille-moi dans deux heures alors, sourit-elle.

-Je prend le troisième, déclara Isaac.

-Ce n'est pas la peine, Votre Altesse.

-Isaac, corrigea-t-il automatiquement. Et j'insiste.

Lysiana abdiqua devant l'air qu'affichait le jeune homme. Il était déterminé à participer à la vie du groupe, même pour le tour de garde. Zohan s'octroya le quatrième tour de garde, et laissa à Gwyldann le soin d'effectuer le dernier. Le pire, songea celui-ci, lorsqu'on sortait des limbes du sommeil, mais aussi le meilleur quand on voyait le reste du monde se réveiller avec l'arrivée du soleil.

A part l'Asraadien, chacun s'enroula dans sa cape de voyage, et s'endormit rapidement.

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