La citadelle de Sangengonza

8 minutes de lecture

Dans la Plaine d'Urys, quatre silhouettes se tenaient sur l'une des quelques rares collines de cet horizon à peine perturbé par quelques petits vallons dans le lointain. Trois d’entre eux, assis, étaient des hommes, assis alors que la quatrième, l'unique femme du groupe, se tenait debout un peu à l’écart et fixait ses yeux vert clairs sur vers le nord-est. Celle-ci s'exclama soudain, un sourire aux lèvres :

– Debout les gars, Sangengonza en vue !

Un soupir se fit entendre derrière elle. Un des hommes se leva pour venir se placer à côté d'elle. D’un roulement de l’épaule, il rajusta la lanière qui maintenait son épée dans son dos, les bras croisés sous sa poitrine.

– Comment trouves-tu notre capitale, Zohan ?

– Compte-tu me le demander à chaque fois que nous la verrons ? Répondit le jeune homme, un sourire moqueur aux lèvres.

– Gwyl ! Zark ! Debout ! Interpella-t-elle les deux autres en roulant des yeux devant la réaction du premier.

– Mais Lysianna... Commença faiblement l'un de leurs compagnons de route. On est crevés...

La dénommée Lysianna se tourna vers eux pour les avoir tous dans son champ de vision, et les détailla un à un. Ils venaient de subir une tempête, encore trempés jusqu'aux os malgré le soleil qui s'élevait maintenant haut dans le ciel. Leurs capes de voyage, complètement usées, ne les avaient pas protégés des pluies torrentielles, mais s'étaient imprégnées de l'eau, et pesaient lourds sur leurs épaules. Pourtant, aucun d'eux ne songait à les enlever. Lysianna examina l'état de ses compagnons d’un œil critique.

Gwyldann, allongé au sol, ne bougeait pas. Complètement exténué, il dévisageait la jeune femme de ses yeux noisette. Son surcot rouge avait pris une teinte foncée tant il avait absorbé l'eau et son pantalon noir, imbibé également, lui collait à la peau, comme il en était pour les vêtements aux autres membres de la petite équipe. D'un geste las, il remonta ses lunettes sur son nez, et enleva quelques mèches brunes de son front.

Le regard de Lysianna passa sur Zark. Il était habillé d'un uniforme noir comprenant un tunique et un pantalon simple. Il était en manche de chemise sous sa cape de voyage, sa veste roulée dans son sac de selle. Sa carrure et sa hallebarde imposante correspondaient parfaitement à son statut de guerrier. Son teint hâlé, ses cheveux et ses yeux noirs comme de l’encre indiquaient clairement d'où il venait. D’un geste distrait, il gratta la barbe qui lui mangeait la moitié du visage, et qui semblait le gêner particulièremnent.

Ensuite, elle se concentra sur Zohan. La tenue du jeune sabreur était composée d'un pantalon et d'une cotte en laine par-dessus une chemise à manches longues, relevées au-dessus de ses coudes. Ses cheveux bruns dégoulinaient d'eau. Un éclat de malice brilla dans ses yeux verts lorsqu'il les tourna vers elle, la fixant à son tour, sans un mot.

Son regard passa sur sa robe aux manches serrées sur les poignets et fendue le long de de ses deux jambes, depuis ses hanches jusqu’en bas, et portée par-dessus un pantalon. Comme ses camarades, elle possédait des bottes de voyage en cuir souple, mais, à leur inverse, les siennes lui montaient jusqu'aux genoux. Elle essora ses longs cheveux bruns pour la énième fois, une petite moue irritée sur les lèvres, et leur sourit.

– Tu ne pourrais pas… Tenta Gwyldann en désignant ses habits trempés.

Lysiana secoua gentiment mais fermement la tête.

– Je suis fatiguée aussi, Gwyl.

Elle le regarda longuement, cherchant un moyen de le motiver, quand une idée germa dans son esprit.

– Si nous arrivons avant le couvre-feu, nous aurons de bons lits bien moelleux pour dormir, vous savez... A moins que vous ne préfériez une nouvelle nuit à la belle étoile.

Gwyldann sauta sur ses pieds, aussitôt ragaillardi par la promesse d'une bonne nuit. Le feu de camp venait à peine de prendre, mais il en étouffa les flammes d’un coup de pied. Ils ramassèrent rapidement leurs quelques affaires, et rejoignirent leurs montures. Les Kô, de leurs noms, étaient de grands oiseaux aux plumages colorés qui variaient d’un individu à l’autre. Robustes, ils pouvaient parcourir des lieues au pas de courses sans se fatiguer et était capables de porter ou de tracter de lourdes charges sur de longues distances. Utile quand on connaissait le poids d’un Zark en équipement complet, dont le bouclier pesait ce qui semblait une tonne à ses compagnons.

Lysiana flatta le long cou gracile de Puru, son Kô au plumage vert pomme, et lui donna une poignée de graines avant de monter en selle. Zohan sauta souplement sur le dos de Aku, dérangeant à peine les plumes rouges de son flanc avec ses jambes. La prévenante Kira plia les pattes, pour permettre à Gwyldann de montrer plus aisément, et battit doucement des ses ailes jaunes en se relevant. Le grincheux Nox claqua du bec à l’approche de Zark, et lui lança un regard aussi noir que son plumage. Comme si son maître était responsable de la rasade qu’ils s’étaient tous prit.

Une fois tous en selle, il se placèrent côte à côte pour observer la ville.

Sangengonza était la plus grande ville du royaume, là où siégeait la famille royale. Leur palais, placé dans la partie Nord de la ville, surplombait la partie méridionale, où les couleurs et symboles de la famille royale étaient affichés fièrement par les habitants. La disposition de la ville permettait au roi de poser un regard bienveillant sur ses sujets depuis le balcon principal du palais. La capitale était entourée de hautes murailles qui, bien qu'elles aient montré leur efficacité par le passé, étaient, depuis l’époque où les conflits étaient monnaies courantes, devenues inutiles. Les quatre compagnons se regardèrent avec un sourire, puis entamèrent leur descente.

Le soleil déclinait, semblant vouloir se cacher derrière de lointaines collines, quand ils arrivèrent enfin sous les remparts, qui se dressaient, dégageant toujours une aura menaçante au point de dissuader tout étranger de continuer, les quatre comparses avançaient d'un pas décidé en direction de la Grande Porte, entrée principale sud de la ville. Gwyldann talonait presque Kira à l'idée qu'un lit bien douillet puisse l’attendre, remplaçant le sol dur sur lequel il dormait chaque nuit depuis un bon moment. Ses compagnons devinaient aisément ses pensées, et sourirent à son comportement impatient. Ils saluèrent d’un hochement de tête les gardes qui montaient la garde, et pénètrèrent dans la citadelle.

Aussitôt, l'activité débordante de la ville les envahit. En effet, malgré l'heure tardive, le soleil presque sur le point de se coucher, Sangengonza ressemblait à une fourmilière géante tant les gens se pressaient dans les rues. Les boutiquiers hélaient les passants de vives voix, désireux de vendre un ou deux articles supplémentaires avant de feermer pour la nuit. Des enfants passaient en courant entre les adultes, probablement des coursiers en livraison, et les voisins s’arrêtaient sur le pas des portes pour discuter pendant quelques minutes avant de reprendre leurs activités. Les compagnons se regardèrent, tous les quatre envahis par le même sentiment. Enfin de retour à la maison ! Ils s'engagèrent dans la grande rue, qui traversait la ville du Nord au Sud. Un autre axe traversait la ville d'Est en Ouest. Ces deux avenues permettaient de desservir les trois portes principales de la capitale, la Porte de la Plaine, qui donnait directement sur la Plaine d’Urys, la Porte de l’Est, d’où démarrait la longue route menant en Forn, et la Grande Porte, tournée vers Asraad. Les avenues se croisaient dans le centre de la citadelle en une grande place où trônait la statue de la Déesse, trésor de la ville, et offrait un accès direct au château, au nord. Entre elles s’étendait un réseau de ruelles à demie circulaire qui veinaient la ville et qui mènaient d'une grande rue à l'autre, comme des autant de raccourcis.

Sur le passage des quatre jeunes gens, les habitants se retournaient en chuchotant entre eux. Murmures loin d'être médisants dont certains leur remontaient aux oreilles. «Les voilà de retour», «De quoi nous ont-ils sauvés nos héros ?». Il fallait dire qu’ils étaient partis depuis presque deux mois. Le terme héros leur fit inconsciemment bomber le torse. Ils atteignirent Les Vagabonds en peu de temps. Le nom, peu engageant, abriait en réalité une auberge luxueuse logeant des hommes de passage; marchands du Sud, rôdeurs... Peu d'entre eux y restait plus d'une semaine, ce qui en faisait du lieu très passant, à la salle commune toujours pleine, et aux chambres toujours occupées.

Ils firent le tour du bâtiment, et rejoignirent les écuries accolées à l’auberge, toujours aussi remplies, confiant les rênes de leurs montures à un garçon d’écurie qu’ils savaient être le fils de l’aubergiste. Celui-ci, Gavis de son prénom, s’extasia plus sur le retour de Kô que sur celui de leurs propriétaires, et s’attela à défaire leurs selles et les bouchonner. Ils discutèrent pendant plusieurs minutes avant de le laisser à son travail.

Alors que les trois hommes entraient dans l'établissement, Lysiana se détourna en tournant vivement sur ses talons:

– A tout à l'heure !

Alors qu'elle s'éloignait, quelque chose la retint.

– Où vas-tu ? Demanda Gwyldann en tenant son poignet.

– Voir le Tableau, répondit-elle avec un haussement d'épaule.

– Lysa, on est trempés, et il va bientôt faire nuit. Tu iras demain !

Son vis-à-vis haussa un sourcil, penchant lègerement la tête sur le côté. Un courant d’air chaud s’enroula autour d’eux pendant quelques secondes, soulevant la jupe d’une femme qui passait près d’eux. Lorsque ses cheveux et sa cape retombèrent sur ses épaules, Lysiana étaient parfaitement sèche.

– Va prendre un bon bain, lui dit-elle simplement, en tentant de libérer son poignet d’entre ses doigts. Je vais voir le Tableau et je vous rejoins.

– On vient à peine d'arriver ! Tu veux déjà repartir ?

– Allons Gwyl, si je n'y vais pas maintenant, les meilleures primes auront déjà disparu demain matin !

– Justement ! La prochaine fois qu'on partira, ça sera moins dangereux.

Elle se dégagea de sa poigne d’un mouvement sec.

– Écoute-moi bien Gwyldann ! S'exclama-t-elle, une pointe d'énervement dans la voix. On est presque à sec, et nous on a pas de chambre au doux lit moelleux qui nous attends dans la Citadelle toute l’année !

Elle désigna Zark, Zohan et elle-même.

– Si on ne peut pas payer, on ne rentre pas. Peu importe combien Tohm nous apprécie, la maison ne fait pas crédit, je te rappelle. Sans compter que tout ce qu’on a fait ce mois-ci n’avait rien de « dangereux » ! Alors cesse de geindre !

Son ami déglutit difficilement. Zohan posa ses mains sur leurs épaules en déclarant, un demi-sourire aux lèvres pour apaiser la tension naissante:

– Ne t'inquiète pas, je vais l'accompagner et je veillerai à ce qu'elle ne choisisse pas une mission trop compliquée.

Vague grognement d'approbation de la part de la jeune femme, qui est en fait plus un grognement irrité. Zohan défait la sangle de son épée, et confia son arme à Zark, roulant des épaules pour défaire quelques tensions. Lysianna soupira avec résignation et ils partirent alors que les deux autres entraient dans l'auberge. Au bout de quelques pas dans la rue, alors qu’il semblait lui parler, un nouveau coup de vent quelque peu violent sécha Zohan.

– Ne t’énerves pas contre moi, veux-tu… Maugréa-t-il.

Annotations

Vous aimez lire P.M. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0