– Le roi va vous recevoir.

Lysiana hocha distraitement la tête puis reporta toute son attention sur la tapisserie géante accrochée sur le mur. Avoir une audience avec le Roi Darius n’avait prit que deux jours, grâce à Gwyldann. Celui-ci attendait patiemment avec eux dans le couloir, devant la porte de la salle du trône. Lysiana réfléchissait à la façon d’entamer la conversation sur ce dont Zohan et elle avaient été témoins sur la Grande Place. Et surtout, quand en parler ?

– A quoi sert-elle ? Demanda Zohan en désignant la tapisserie, la tirant de ses pensées..

– Elle permet à ceux qui ne savent pas lire de comprendre l'histoire du royaume, expliqua Gwyldann.

-Quand on sait dans quel sens ça se regarde, commenta Zark avec une moue dubitative, pour qui les images n'avaient aucun sens.

– Mais si, sourit Lysiana. Tu es juste du mauvais côté. Regarde ! Le début est là, indiqua-t-elle en montrant l'image la plus à gauche.

Elle prenait tout le mur, et se lisait de gauche à droite. Longue et ininterrompue, elle relatait les événements qui avaient amené leur monde à être ce qu’il était sous forme de tableaux. Ce qui signifiait que les gens patientant pour les doléances suivait le fil de leur histoire au fur et à mesure qu’ils avançaient.

Zark se plaça au début, Lysiana à ses côtés et ils contemplèrent la broderie. Ils pouvaient y voir un représentation du royaume à une époque antérieure. Dans les coins de cette première image, il y avait quelques vagues formes que le temps et l’usure avait rendu difficile à nommer. Au centre, cependant, représentés au milieu de quelques ruines et flammes, une petit groupe cousu de fil blanc levait leurs armes en l’air.

Dans le second tableau, le groupe était relégué sur le coin en bas à droite . Le centre était occupé par une image de la Déesse. Tissée de fils blanc, vert, bleu et rouge très distinctifs, des orbes gravitaient autour d’elle, alors que Pryss brandissait au-dessus de sa tête une boule de fils dorés. Le Cataclysme, dont chacun, petit ou grand, jeune ou vieux, connaissait le récit.

– Et celle-là, dit-elle en désignant le troisième tableau. C’est quand elle dépose ses...

Elle s'interrompit. Un mouvement au fond du couloir capta leur attention et ils tournèrent tous la tête. Juste à temps pour voir un homme distingué venir à leur rencontre. Sa cape de soie bordeaux frôlait à peine le sol alors qu'il s'avançait vers eux d’un pas rapide. Sur le revers de sa robe foncée était brodées les armoiries du roi; une représentation de la déesse lors du Cataclysme, les bras levés au ciel et tenant entre ses doigts une boule de lumière. Lysiana sourit. Le chancelier Somhas lui-même venait les accompagner auprès du roi. Gwyldann , jusque là assis sur un petit siège, sauta sur ses pieds, le visage rayonnant.

– Père ! S'exclama-t-il. Vous m’aviez dit ne pas avoir de temps aujourd’hui !

– Sa Majesté a requis ma présence. Je suis son conseiller, après tout, et cette affaire touche le prince héritier.

Son fils hocha la tête, plus que ravi de passer un moment supplémentaire avec son père.

– Voyez chancelier, nous avons tenu parole, intervint Zohan, la plaisanterie dans la voix. Votre fils est revenu sain et sauf.

– Et en un seul morceau, renchérit Zark.

– Gwyldann m’a raconté vos récentes aventures. Vous avez l'air épuisés, les enfants, constata l'adulte après un léger rire.

Lesdits «enfants» échangèrent un regard pour jauger de leurs états physiques. Ils avaient quand même eu deux solides nuits dans des lits bien douillets. De quoi effacer généralement jusqu’aux traces de fatigues les plus récalcitrantes. Etait-ce une bonne idée de se présenter au roi s’ils n’avaient pas l’air au mieux de leurs formes ? Sohmas indiqua l’endroit d’où il venait d’un large mouvement de bras, coupant court à leurs réflexions.

– Venez, Darius vous attend.

Ils suivirent le chancelier le long des tapisseries, Zark y jetant un dernier coup d’oeil au moment de les dépasser. Ils passèrent devant des gardes en armures rutilantes, ainsi que sous une lourde porte en chêne massif, débouchant ainsi dans la salle d'audience.

La grande salle, blanche et lumineuse, possédait une estrade tapissée, comme les marches qui y menaient, de rouge. En son centre se trouvaient les deux fauteuils royaux aux coussins molletonnés de la même couleur. Sur celui de droite était assis le roi Darius. Son ensemble bleu roi contrastait avec le carmin du fauteuil. A sa gauche, légèrement en retrait, était placée la reine Hélénia. Habillée d'une longue robe d’une teinte inférieure à celle de son époux, elle enroulait distraitement une mèche de ses cheveux blonds autour de ses doigts. Puis elle leva les yeux vers les adolescents et leur adressa un chaleureux sourire que, intimidés, ils peinèrent à lui rendre. Alors que le chancelier prenait place derrière Darius, les quatre compagnons s'arrêtèrent à quelques pas des marches. Ils posèrent leurs genoux gauches à terre et leurs mains droites sur leurs cœurs, les yeux rivés sur le sol.

– Vos Majestés, saluèrent-ils d’une même voix.

– Relevez-vous.

La voix du roi, chaude et apaisante, remplit la salle avec juste ces deux mots. Ils obéirent puis Lysiana, faisant un pas en avant, déclara :

– Votre Majesté, veuillez nous pardonner de vous demander une audience aussi rapidement. Et nous vous remercions de nous l'accorder, car il existe plusieurs sujets dont nous souhaiterions vous entretenir. Le premier est le suivant; mes compagnons et moi-même voudrions connaître les modalités de ceci.

Grâce à sa maîtrise du vent, Lysiana guida la feuille de mission jusqu'au trône. Le roi resta un instant stupéfait. Dans ses yeux gris, on pouvait lire l’étonnement devant un telle capacité, ainsi qu’une certaine curiosité pour ce qu’il venait de voir. Hélénia avait aggripé les accoudoirs de son fauteuil, le dos raide et le teint blême. Seul Sohmas semblait impassible, probablement déjà au courant par le viai de Gwyldann. Puis Darius saisit la feuille entre ses doigts.

Lysiana s’en mordit intérieurement les siens. Elle avait laissé sa paresse la diriger, et, plutôt que de s’avancer pour remettre la requête en main propre, avait utilisé son pouvoir comme si elle était entourée d’amis proche, et n’avait pas besoin de faire plus d’effort que nécessaire. La jeune femme s’en serait giflée, si tous ne la regardait pas comme si une plante lui était poussée sur la tête. Elle supplia ses compagnons du regard pour qu’ils cessent de la dévisager, le pire restant ces yeux éberlués au milieu du visage habituellement stoïque de Zark.

– Avant de vous en parler, j'aimerais savoir à qui j'ai affaire...

– Pardonnez-lui d'avoir omis nos noms, reprit Zohan alors que les joues de Lysiana s'empourpraient.

Elle avait définitivement envie de disparaître dans un trou. Un trou qu’elle pouvait aisément faire elle-même, d’ailleurs. Sur sa gauche Gwyldann émit un renifflement qui ressemblait fort à un éclat de rire contenu.

– Voici Lysiana, Zark et Gwyldann. Je me nomme Zohan. Les habitants de Sangengonza et de Noventa appellent le groupe que nous formons les «Enfants du Monde».

– Il me semble avoir entendu parler de vous... Commença Darius. Êtes-vous ceux qui parcourez le pays en aidant quiconque vous le demande ?

– Nous faisons de notre mieux, répondit humblement Zohan en penchant la tête.

– Pourquoi vous appellent-ils ainsi ? Demanda Hélénia avec un intêret certain.

– A part Gwyldann qui nous a rejoints il y a peu, nous allons à travers Noventa depuis un long moment déjà, depuis que nous sommes adolescents.

– Mais... Quel âge avez-vous ?

– Gwyldann, le plus jeune d'entre nous, a vingt ans. Zark, le plus âgé, en a vingt-quatre. Zohan et moi en avons vingt-deux, expliqua Lysiana.

– N'êtes-vous pas trop…

Le roi semblait chercher un mot qui ne froisse personne dans l’assemblée.

– Jeunes ? Proposa Gwyldann après quelques secondes d’hésitation.

– Ne vous inquiétez pas, rassura Lysiana, qui s’était remise de son embarras. Cette mission ne sera pas la première que nous effectuerons... Et certainement pas la plus difficile. .

– J’ai cédé devant la soif d’aventure de mon fils, intervint Sohmas. Et l’ai confié à ce groupe. Depuis, les rares fois où je le vois, il ne fait que me parler de ce qu’ils ont accompli, et des gens qu’ils ont rencontré et aidé. Ce sont eux à qui l’ont doit la résolution du conflit en Asraad, il y a quelques années.

– De bons échos sont remontés jusqu'à moi. Si vous vous dîtes compétents, je vous crois. Allez chercher Isaac, ajouta-t-il à l'adresse d'un garde.

Alors que le soldat obéissait, une porte s'ouvrit sur le côté de la pièce, faisant tourner toutes les têtes dans cette direction. Un jeune garçon entra, grimpa sur l'estrade et s'immobilisa à côté du roi, ses yeux noisette rivés sur lui. Son visage de chérubin était auréolé d'or. Un homme de plus d’une dizaine d’années son aîné s'avança à sa suite. Comme l'enfant, une crinière blonde ébouriffée lui encadrait le visage.

– Pardonnez-nous, Père, s'excusa-t-il auprès du roi. Mais Ronand désirait vous parler.

– J'allais justement te faire appeler.

– Père ! S'exclama le garçon afin de capter son attention.

– Ronand, intervint Hélénia d’une voix douce. Ton père est déjà occupé. Viens attendre là.

Boudeur, le jeune prince obéit et alla s'installer près du trône de sa mère. Ses pupilles volaient d’une personne à une autre, comme s’il entendait mémoriser les moindres détails. Il semblait vibrer d’impatience et , mais resta silencieux.

– Bien. Isaac, laisse-moi te présenter les personnes qui vont t'accompagner. Voici Lysiana, Zohan, Zark et Gwyldann .

– Le fils du chancelier ? S'étonna Isaac en les dévisageant de ses yeux gris.

– Cela fait un moment que je me suis joint à ce groupe, Votre Altesse, répondit Gwyldann d’un ton léger mais révérencieux.

Les deux jeunes gens avaient été amis, avant que Isaac, de trois ans l’aîné de Gwyldann, ne soit accaparé par ses activités princières.

– Grand frère part ? Questionna Ronand. Pourrais-je assister aux réunions à sa place ?

– Prince Ronand, vous êtes encore trop jeune, tenta de temporiser Sohma

– C'est faux ! Protesta l’enfant. Isaac avait mon âge quand il a commencé à prendre part aux conseils, paraît-il. Je peux le faire aussi, affirma-t-il d’une voix claire.

Pour prouver sa bonne foi, le prince se redressa dans une position altière, le dos droit et dans un silence total, prêtant une oreille attentive à la suite de la conversation. Le roi sourit doucement puis reporta son attention sur les quatre jeunes gens.

– Depuis des générations, l’aîné de la famille royale, celui destiné à accéder au trône, se rend à la Source de la Déesse lorsqu'il atteint l'âge de raison. Là-bas, il va recevoir Sa Bénédiction afin de pouvoir devenir souverain.

– C'est une sorte de pèlerinage en fait, résuma Zark. Et notre mission consiste à accompagner le prince sur le trajet jusqu'à la Source.

– En effet.

– Et bien voilà qui devrait être simple, sourit Gwyldann .

– Il reste bien quelques détails à régler, souligna Lysiana. Mais nous pouvons le faire plus tard. Votre Majesté, puis-je profiter de cette audience pour vous soumettre une situation qui s'est déroulée il y a peu de temps ?

– Faites donc.

– Le sujet est plus… Délicat, dit-elle en jetant un coup d'œil au petit prince.

– Je vois... Hélénia, Ronand doit voir son professeur il me semble, non ? Isaac, ton maître d’arme t’attends également, si je ne m’abuse.

– Je vais les accompagner, acquiesça la reine.

– Zohan, reste avec moi, demanda Lysiana à mi-voix en se tournant vers ses compagnons. Zark, Gwyldann, pouvez-vous vous occuper des préparatifs ? Expliquez à Son Altesse comment nous fonctionnons pendant nos missions, et aidez-le à choisir le nécessaire pour son voyage. Nous vous retrouverons dès que possible.

Ses deux amis acquiescèrent et quittèrent la salle d’audience par la grande porte, Hélénia et les princes s’éclipsant par la porte latérale.