Fouille révélatrice

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La montre connectée que Mme Briley portait se mit à vibrer compulsivement. La femme se retourna dans son lit en espérant que l'alarme cesserait, puis, comme les vibrations à son poignet continuaient malgré tout de l'empêcher de dormir. Elle leva la tête pour regarder l'heure sur le réveil lumineux qui se trouvait près de son lit. Quatre heures du matin. Elle se fit violence pour se redresser en dépit de sa fatigue, et s'habilla en souhaitant que ce réveil en plein milieu de la nuit soit justifié.

Emmeline Briley n'avait pas eu le temps de prendre une douche, ni même de se coiffer correctement. Elle avait attrapé sa combinaison blanche pour se précipiter hors de son appartement, en direction du laboratoire d'où venait l'alerte. « J'ai l'impression que je suis déjà venue ici » songea-t-elle en pénétrant dans la pièce. Trois chercheurs en blouses et un ingénieur en combinaison verte s'y trouvaient déjà, et débattaient avec fébrilité. Ils se tournèrent vers elle avec inquiétude quand elle entra, comme s'ils évaluaient son degré de mauvaise humeur pour déterminer la conduite à tenir. Elle leur exposa son agacement en se posant face à eux et en tapant fermement du pied sur le sol, les bras croisés sur sa poitrine.

  • Je vous donne dis minutes pour me dire pourquoi vous m'avez réveillée. L'explication ferait mieux d'être excellente, déclara-t-elle d'un ton glacial.
  • Nous avons perdu deux de nos chercheurs, murmura le plus expérimenté des trois hommes - un scientifique au crâne dégarni.

Mme Briley fit claquer sa langue, en répondant d'une voix brusque :

  • Il suffit de demander à Superviseur de les trouver ! Superviseur, localise...

Elle tourna le regard vers le second homme en blouse pour qu'il complète la requête, ne sachant pas elle-même qui manquait à l'appel. Celui-ci fini de mauvaise grâce, de grosses gouttes de sueur coulant sur sa tempe :

  • Les docteurs Stelitch et Briley.

La responsable s'étrangla en entendant que son mari manquait à l'appel. Une vague d'inquiétude la traversa, puis ce fut l'indignation qui prit le relais. Il la laissait seule pour aller vagabonder on-ne-sait-où en plein milieu de la nuit avec son collègue, mais de qui se moquait-il au juste ? De gros nuages noirs s'accumulaient peu à peu au dessus de sa tête tandis que Superviseur cherchait dans ses circuits la réponse à ce qui lui était demandé. Sa douce voix robotisée finit par retentir dans le silence tendu du laboratoire.

  • Le signal des montres des docteurs Stelitch et Briley indique qu'ils se trouvent dans cette pièce, Mme Briley.

Toute les personnes présentent dans la pièce échangèrent des regards perplexes, ne sachant pas comment interpréter ce que venait de dire Superviseur. Jusqu'à présent l'intelligence artificielle ne leur avait jamais fait défaut, ce qui les inquiétait d'autant plus. Après de longues minutes désarroi, les trois hommes se tournèrent vers la responsable, secrètement soulagés de ne pas être à sa place. Celle-ci soutint leurs regards en marmonnant :

  • Bien bien bien...

Elle était terrifiée à l'idée qu'il soit arrivé quelques chose à son mari, et plus généralement que la base ne soit pas aussi sûre qu'elle le pensait. La quadragénaire se recoiffa d'une main tremblante - geste parfaitement inutile au vu de la taille des ses cheveux - puis donna des ordres en s'efforçant de paraître la plus ferme possible.

  • Docteurs Melay et Goran, vous me passez ce laboratoire au peigne fin, je veux un rapport dans...

Elle consulta sa montre qui indiquait à présent quatre heures quarante-cinq, avant de continuer.

  • Vingt minutes.

Les docteurs en question eurent un geste de découragement en voyant la pièce, se disant que les vingts minutes accordées leur suffiraient à peine à rassembler toutes les feuilles éparpillées. Mme Briley s'en rendit compte et eut pitié. Elle ajouta :

  • Peut-être trente minutes tout compte fait. M. Heiley vous me passez au crible les ordinateurs et vous me dites si vous trouvez quoi que ce soit d'intéressant. Et vérifiez la base de données si vous ne trouvez rien ici. Je vous attends dans mon bureau, au travail Messieurs !

Le ton était sans appel. Elle quitta la pièce en abandonnant ses pauvres subordonnés qui s'agitaient dans tous les sens pour tenter de finir dans les temps. Ce fut d'un pas vif qu'elle rejoignit les ascenseurs et monta jusqu'à son bureau. Elle se laissa tomber dans son fauteuil, puis se mit à pianoter sur son ordinateur de la main droite en massacrant consciencieusement le peu d'ongle qui restait à son autre main. « Il n'y a pas de raison de paniquer, ces crétins sont sans doute allés faire je-ne-sais-quoi dans la base et ne voulaient pas qu'on les dérange... » cette pensée ne l'aida pas du tout à se calmer, et provoqua à l'inverse un accès de jalousie. Elle brisa sa troisième tasse de la journée quand elle fit un faux mouvement avec son bras. Il y a des jours qui n'en finissent pas de mal tourner.

La responsable trouva ce qu'elle cherchait alors que sa montre indiquait cinq heures et quart. Elle afficha les enregistrements qu'elle avait réussi à isoler sur le grand écran, en les faisant défiler à la suite pour pouvoir suivre le parcours des deux hommes. Après avoir achevé sa main gauche, elle attaqua les ongles de la main droite avec application. Elle mordit si fort quand elle les vit enfiler leurs combinaisons et sortir dans le sas que son ongle s'arracha en pleurant une larme de sang sur son clavier en signe de protestation.

  • Merde ! Mais qu'est-ce qu'ils sont allé foutre dehors ?! s'emporta-t-elle en enroulant son doigts meurtri dans un mouchoir.

C'est alors qu'on toqua à la porte avec timidité, sans doute les chercheurs venus faire leur rapport. Elle leur cria d'entrer. Ils pénétrèrent dans le bureau qui ressemblait plus à un champ de bataille à présent, avec des débrits de tasses au sol qui semblaient attendre qu'on leur marche dessus, des piles de papiers impressionnantes aux quatres coins de la pièce, des dossiers disposés sur le bureau, entourés d'une collection de mugs qui n'avaient pas encore été nettoyés. Les deux chercheurs vinrent se placer face au bureau de la responsable de la base, le plus vieux avait les mains dans les poches, tandis que l'autre triturait quelques documents dans ses mains. Tous les deux notèrent immédiatement le doigt enroulé dans un mouchoir ensanglanté, mais ne se permirent pas le moindre commentaire, ne sachant pas comment ils devaient interpréter cela. Elle prit la parole la première.

  • Alors ?
  • Nous avons trouvé ceci, fit Melay en tendant les papiers qu'il tenait à la responsable.

Cette dernière les prit, les survola rapidement sans en comprendre un traître mot. Si ce n'est l'inscription en patte de mouches qu'elle savait de la main de son mari :

« Je ne peux pas laisser cette découverte à un autre, et j'ai peur de ce qui pourrait se produire si on rend ce rapport public sans savoir de quoi il retourne réellement. Est-ce que je peux te faire confiance ? »

Elle garda une expression interdite, puis demanda aux chercheurs en poussant un long soupir :

  • Je n'ai pas le bagage scientifique pour comprendre ceci, simplifiez-moi ce qui est écrit que je comprenne de quoi il retourne.

L'ancien prit la parole d'un ton patient, souhaitant faire honneur à ses années dans l'enseignement :

  • Pour faire simple, nos collègues ont enregistré de légères secousses dans le cratère.
  • Je ne suis pas une scientifique, néanmoins il me semble qu'enregistrer de telles choses n'a rien d'anormal, déclara-t-elle.
  • Ce le serait, si nous nous trouvions à proximité d'une faille, ce qui n'est pas le cas. De plus, d'après les calculs qu'on a retrouvés et déchiffrés - ce qui n'a pas été une mince affaire - il apparait que ces secousses proviennent toutes du même endroit, bien qu'à des intervalles de temps aléatoire.

Mme Briley l'interrompit d'un geste de la main, devinant sans problème la suite. Son mari avait voulut trouver l'origine de ce phénomène, et Stelitch l'a suivi à l'extérieur. Elle ne savait plus si elle devait être désespérée ou inquiète, quand l'ingénieur entra à son tour dans la pièce, tout essouflé et cramoisi. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour calmer son rythme cardiaque et pouvoir articuler quelque chose. Il finit par lâcher :

  • Quelqu'un a détourné le signal de leurs montres pour que Superviseur ne puisse plus le recevoir !

Emmeline Briley se redressait pour demander s'il pouvait récupérer le signal quand la tour se mit à tanguer dans tous les sens, comme prise de folie. La responsable fut projetée au sol, Goran poussa un glapissement terrifié en se roulant en boule par terre tandis que ses collègues tombèrent et roulèrent jusqu'à être arrêtés par une rencontre brutale avec le mur. Toutes les tasses et les papiers partir se fracasser où ils pouvaient, dont une sur la tête de la quadragénaire qui fut à moitié assommée par le choc. Ils purent entendre un bruit terrible, résultant de l'effondrement de tout un pan du cratère qui leur fit penser qu'ils vivaient leur dernière heure. Toutes les alarmes de la base se mirent à hurler, achevant de désorienter ceux qui avaient réussi à conserver un peu de leurs sens. Il était cinq heures trente.

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